Bonjour à tous,
GENERAL GALLIENI
1 photo du GENERAL GALLIENI (la 1ère)
(Voir le site de Philippe Ramona :
http://www.messageries-maritimes.org/galgallieni.html)
Rencontre avec un sous-marin. Rapport du capitaine
Quitté Philippeville le 21 Janvier à 17h30 en convoi avec VILLE D’ORAN et TAFNA, escortés du torpilleur EPIEU et du sloop ALGOL chef d’escorte.
Chargement : 1070 t de tubes, vin, peaux, laines.
177 hommes d’équipage et 1601 passagers.
Formation en ligne de front pour les navires de commerce et réglé allure sur VILLE D’ORAN avec zigzags n° 6 à partir de 21h00.
Beau temps, faible brise d’Est, mer belle.
Le 22 à 08h00 commencé zigzags n° 3 jusqu’à 16h00, puis repris n° 6. Sur un signal du chef de convoi, mis en route à 14,5 nœuds à 21h00 en compagnie d’ALGOL.
Le 23 Janvier à 05h25, aperçu une gerbe de feu droit devant, reçu SOS et demandé des instructions à ALGOL qui répond « Rentrez Marseille en continuant zigzags jusqu’au dernier moment ».
A 06h35, aperçu une torpille par bâbord courant sur nous. Venue en grand sur tribord et paré de justesse cette torpille qui nous eut touchés sans ce changement de route subit. Donné ordre aux machines de tourner le plus rapidement possible et marché en zigzags non définis pour éviter le sous-marin qui devait se trouver derrière nous.
A 06h55, deuxième attaque, la torpille venant de tribord directement sur le milieu du navire. Nous la parons en mettant la barre toute à droite. Elle passe juste sur l’arrière alors que nous sommes à 2 milles dans le S68E du phare du Planier.
Voici les routes suivies lors des deux attaques
Manœuvré ensuite de manière aussi prudente que possible pour me rapprocher du chenal de sécurité dont je m’étais écarté en évitant le sous-marin. Aux environs du chenal, rencontré une quantité d’épaves et une forte odeur de pétrole émanant d’une énorme tache qui couvrait la mer en cet endroit. Dans l’alignement du chenal, réduit la vitesse et pris le pilote à 07h45. Mouillé aux Saintes Maries à 08h00 en attendant les ordres d’entrée.
Dès la première attaque, fait tirer un coup de canon dans la direction d’où venait la torpille pour indiquer l’emplacement approximatif du sous-marin. A la 2e attaque, tiré 3 coups dans le même but. Les pièces ayant été rechargées au cas où nous en aurions eu besoin, 2 coups furent tirés en dedans du barrage en direction du but qui sert pour les tirs.
Appareillé à 10h00 et amarré au môle C à 10h30.
Pendant ces attaques successives dont nous fûmes l’objet aucune panique ne s’est produite. Les passagers et le personnel du bord, étant encouragés par mes gestes de n’avoir rien à craindre et les ordres ayant été donnés par le second capitaine au maître d’équipage et au capitaine d’armes de maintenir l’ordre, tout s’est passé comme si rien ne s’était produit. Il en fut de même dans les machines où tout le monde resta fidèlement à son poste et exécuta les ordres donnés.
Rapport de l’officier AMBC
Navire armé de 3 canons de 140 mm matricule 83/87
- 1 dans l’axe à l’arrière, champ de tir 190° sur bâbord et 90° sur tribord
- 2 sur l’avant, de chaque bord, champ de tir 140°, hausse 9200 à 11000 m
Pas d’officier de tir.
Chef de section : Second maître canonnier LE FLUART
+ 1 QM canonnier, 2 canonniers brevetés pointeurs, 3 canonniers brevetés, 6 aides pointeurs ou servants.
Tous les veilleurs sont munis de jumelles et veillent deux heures consécutivement.
Communications :
- Veille haute : un porte-voix fixe
- Veille avant : un porte-voix + sifflet
- Veille arrière : téléphone de la dunette (appareil fonctionnant mal)
Torpillage
L’équipage était aux postes d’alerte, pièces chargées quand les canonniers de veille sur tribord arrière ont aperçu le sillage d’une torpille venant presque de l’arrière. Le second maître canonnier a essayé de prévenir la passerelle et a fait tirer un coup de canon dans la direction présumée du sous-marin. L’officier de quart, apercevant le sillage, a redressé le navire sur tribord et la torpille a élongé le bâtiment à environ 15 m.
Vingt minutes plus tard, une 2e torpille a été aperçue à 1 quart sur tribord avant du travers à 200 m. Le QM canonnier a aperçu le sillage, tiré un coup de canon et rechargé la pièce. Le navire évoluant, le second maître aperçoit aussi le sillage et fait ouvrir le feu (2 coups) dans une direction qu’il pense être celle du sous-marin. Ouvert le feu avec une hausse d’attente de nuit, soit 1200 m. Obus en fonte chargés en poudre noire, le bord ne possédant pas d’obus de type A. Ces derniers avaient été mis en dépôt à Sidi Abdallah lors du séjour du navire à Bizerte de Mars à Mai 1917.
Vitesses des torpilles : 1 – 15 nœuds, 2 – 16 nœuds
Après l’alarme, la pièce arrière a été déchargée en tirant vers le large. Le projectile de la pièce bâbord avant a été chassé avec la douille prise dans le canon tribord avant. Le projectile de la pièce tribord avant a été retiré avec l’aide d’un tire-fond.
Conclusions
Nombre de veilleurs suffisant, mais la veille n’est pas organisée de façon méthodique et rationnelle. On aurait pu utiliser des passagers gradés militaires et donner ainsi à chaque veilleur un secteur moins étendu. Le capitaine dit ne pas pouvoir compter sur des passagers militaires et ne pas vouloir encombrer le pont des embarcations.
L’ordre permanent donné aux canonniers de tirer sur un sillage de torpille est contraire aux règlements en vigueur. Une ouverture inopportune du feu peut être dangereuse pour un navire transportant 1800 hommes.
Le mauvais état du téléphone de la dunette aurait pu mettre le navire en mauvaise posture si les veilleurs de la passerelle n’avaient pas aperçu à temps le sillage de la torpille. Il importe donc de doter ce bâtiment de moyens de communication robustes et sûrs entre les pièces et la passerelle de navigation.
Le service d’artillerie a été entièrement confié au second maître canonnier. Celui-ci a maintenu les consignes de veille et d’alerte d’un bâtiment militarisé. Les exercices de détail ont continué à se faire, mais le service des pourvoyeurs a été perdu de vue.
Au départ de Philippeville, il n’a pas été effectué d’exercice de branle-bas de combat. L’exercice d’abandon a été effectué, mais le 2e capitaine déclare avoir eu beaucoup de peine à obtenir que chaque homme revête sa bouée de sauvetage.
Les obus A auraient dû être maintenus à bord et tirés en cette circonstance.
Après l’alerte, le second maître canonnier a fait décharger les pièces et a pris sur lui, dans le but d’économiser un projectile, de retirer de la pièce tribord avant l’obus en fonte chargé de poudre noire et possédant des trous de tirefonds. Ce gradé ne pensait pas, en ouvrant la culasse d’un canon chargé ¾ d’heure après le départ d’un coup, qu’il y eût danger et pensait se conformer aux consignes. Au cours de deux alertes précédentes, il avait d’ailleurs reçu l’ordre de décharger les pièces. Quoique contraires aux règlements du service d’artillerie, cette façon de procéder trouve son excuse dans le désir d’économiser les munitions. Dans la circonstance actuelle, la pièce avait tiré un coup de canon et le 2e coup aurait donc dû être tiré.
Le centre AMBC de Marseille s’est préoccupé de remplacer le second maître canonnier par un chef de section à défaut d’un officier de tir. Ce dernier, demandé télégraphiquement à Toulon, est arrivé après le départ du bâtiment. Pour conserver au navire une certaine valeur défensive, le centre AMBC de Marseille a cru devoir conserver à bord quelques canonniers de l’équipage militaire pour former les nouveaux aides et servants. C’est pourquoi le personnel ne correspond pas aux prescriptions du 4 Novembre 1017.
Rapport du Lieutenant de Vaisseau Charles MILLOT, commandant ALGOL au Commandant de la Division des Patrouilles de Provence.
J’ai l’honneur de vous rendre compte des incidents qui ont marqué l’entrée de GENERAL GALLIENI à Marseille le 23 Janvier 1918.
GENERAL GALLIENI avait quitté Philippeville le 21 Janvier en convoi avec VILLE D’ORAN et TAFNA, escorté par ALGOL et EPIEU. La vitesse prévue de 10 nœuds aurait dû nous faire arriver à Marseille le 25 Janvier vers 10h00. Mais avant le départ, j’avais reçu du délégué des routes l’autorisation de détacher GALLIENI du convoi dans la nuit du 22 au 23 et de rallier Marseille à 15 nœuds, au jour le 23. Les deux autres bâtiments restaient avec EPIEU.
Ce mouvement s’effectua sans incident le 22 à 21h00, et à 05h20 nous apercevons la première lueur du Planier dont la portée a été réduite à 15 milles.
A 05h45, aperçu dans l’Est du Planier une haute colonne de flamme provenant d’une explosion, reconnue plus tard comme étant celle de DROME.
A 05h55 recevons deux séries de SOS et GALLIENI me signale en scott « Recevons SOS, demande instructions ». La position donnée dans les SOS étant à 2 ou 3 milles sur l’arrière, je réponds au GALLIENI : « Rentrez à Marseille et faites des zigzags jusqu’au dernier moment ».
A 06h15 reçoit : « SOS 4314 0519 chenal de sécurité Marseille DROME.
A ce moment GALLIENI va entrer dans le chenal de sécurité et ALGOL est à 400 m derrière lui. Dans le but de lui faire faire demi tour et de gagner Toulon, je lui signale en scott : « Suivez-moi » et mets la barre à gauche toute. Le signal est répété plusieurs fois avant d’être compris et, une fois compris, n’est pas immédiatement exécuté. Je le répète en le soulignant d’un coup de sirène et mets cap au Sud.
GALLIENI semble enfin comprendre et vient sur la gauche, mais arrête son embardée cap à l’Ouest, c’est-à-dire sensiblement sur le Planier. Je répète mon signal au scott de tête de mât et, le jour commençant à se faire, fait hisser le signal du code : « SOS. Suivez-moi ». A ce moment, un projecteur s’allume dans le Nord de Gallieni et l’éclaire par brusques saccades.
(C’était le projecteur du D’IBERVILLE).
A 06h25, GALLIENI tire un coup d canon en direction du SE, vient sur la droite et lance une série de SOS : « SOS.SOS.4712.0518.5 milles SE Planier. GENERAL GALLIENI ».
ALGOL qui, son signal « Suivez-moi » battant, avait mis le cap sur Toulon, fait demi tour et se dirige vers le GALLIENI.
A 06h48, GALLIENI, qui fait route en direction de Pomègues, tire encore 3 ou 4 coups de canon dont deux gerbes seulement sont aperçues dans différentes directions. Il lance à nouveau son signal SOS, marche à bonne allure et ne semble aucunement avarié. Il continue sa route sur le château d’If en passant à l’Ouest du chenal de sécurité et stoppe sous Pomègues pour prendre le pilote. Il pénètre ensuite à l’intérieur des filets.
Prévenu par D’IBERVILLE que la passe est minée, je me place sous ses ordres et croise avec lui à l’entrée de Marseille jusqu’au moment où nous recevons l’ordre de rentrer par le chenal Nord.
Aucune trace de sous-marin ou de torpilles n’a été aperçue du bord. Au moment de l’attaque, ALGOL était assez éloigné de GALLIENI par suite de la manœuvre effectuée pour lui faire faire demi-tour et l’entraîner loin de la partie dangereuse du chenal.
Nota : A propos du Lieutenant de Vaisseau Charles Millot, voir ce lien :
pages1418/Forum-Pages-d-Histoire-aviati ... _1.htm#bas
Cet officier de marine (1880 Vesoul – 1959 Buenos Aires) deviendra par la suite un dessinateur célèbre, peintre officiel de la Marine, sous le pseudonyme de Gervèse. Ses cartes postales et dessins humoristiques sur la Marine sont devenus des œuvres cultes.
Un très bel ouvrage a été publié sur lui en 1979 aux éditions de la Cité par Jean Randier, en collaboration avec Jacques Schirmann : « Gervèse et la Marine de son temps ».
Jacques Schirmann, Capitaine au Long Cours, Commandant à la Compagnie Maritimes des Chargeurs Réunis, puis capitaine d’armement de cette même compagnie, est le petit neveu et le filleul de Gervèse. Il a aussi publié en 2006, aux éditions du Gerfaut un ouvrage intitulé : « Gervèse : Peintre et marin ».
Le sous-marin attaquant
C’était à l’évidence l’UC 67 du Kptlt Karl NEUMANN qui venait juste de mouiller ses mines dans le chenal de sécurité de Marseille.
On peut estimer, même si le capitaine Benteu a dit à ses hommes qu’il n’y avait rien à craindre, ceci afin d’éviter toute panique, que le risque couru par le paquebot fut extrême ce jour-là. Après DROME et KERBIHAN, c’est une catastrophe qui a sans doute été évitée de justesse.
Les récompenses
Citation à l’Ordre de la Division
BENTEU Albert Lieutenant de Vaisseau auxiliaire
Dans des circonstances très difficiles, a fait preuve des plus belles qualités de sang froid et a réussi par sa manœuvre à éviter deux torpilles lancées par un sous-marin.
Témoignage Officiel de Satisfaction du Ministre
Vapeur GENERAL GALLIENI
Pour l’attitude disciplinée et le calme dont chacun a fait preuve lors de deux tentatives de torpillage de ce vapeur par un sous-marin le 23 Janvier 1918.
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