ORNE
Vapeur de 928 tx JB 1100 tpl construit en 1903 au chantier de le Brosse et Fouché de Nantes
Armateur Paul Duval de Trouville. Non affrété
Capitaine Eugène DANIC. Paimpol
Effectue une traversée Penarth – Trouville avec 1075 t de charbon
Armé de 2 canons de 90 mm modèle 77 sur affût 1916
N° 1039 à l’avant. N° 167 à l’arrière
Rapport du capitaine
Quitté Penarth le 17 Décembre 1917 à 21h00 à destination de Trouville. Arrivé à Falmouth le 18 au matin. La route étant consignée, repris la route pour Ste Helens le 20 à 09h00 seulement. Passé Start Point à la tombée de la nuit et côtoyé la baie de Lyme à 7 milles de terre. Pris la route pour passer à 9 milles de Portland. Au N/S de ce point, gouverné EqNE pour atterrir sur Sainte Catherine.
Par 50°26 N et 02°12 W, à 6 milles au S35E des Shambles, une forte détonation se produit. Le bateau venait d’être frappé par une torpille à tribord, au travers de la cale 2, à 2 m sous la flottaison. Le second, qui était de quart à ce moment, a vu la torpille arriver, mais elle était inévitable. Il était 01h15 le 21 Décembre. La passerelle a sauté, la barre est restée dans les mains de l’homme de barre, le télégraphe est tombé à terre, tout le milieu du navire avec la cabine de TSF a été démoli, chaudière et machine ont été avariées.
Le navire a pris immédiatement une forte bande sur bâbord et toutes les embarcations et les bossoirs ont été brisés par le choc de la torpille. Comme nous avions un radeau, j’ai fait rallier tout le personnel. Le navire a coulé au bout de 7 minutes. Il y avait malheureusement deux manquants : le 2e mécanicien et le chauffeur Denis.
De 01h20 à 09h00, nous sommes restés sur le radeau. Le patrouilleur EVENING PRIMEROSE nous a recueillis et débarqués à Weymouth à 16h00. Nous avons été ensuite expédiés à Southampton.
Je fais remarquer que pendant les 9 heures passées sur le radeau, tout le monde a fait preuve d’un sang froid inouï. Nous avons eu une forte brise d’Est et les lames venaient à tout instant nous couvrir. Nous risquions d’être enlevés par des paquets de mer. Il y avait plusieurs blessés et d’autres avaient les membres paralysés par le froid.
Le second, Potric, s’est montré particulièrement actif dans le sauvetage du radeau. C’est lui qui a fait rallier au radeau car j’étais bloqué dans la chambre de veille. Toutes nos louanges au patrouilleur qui nous a recueillis pour les bons soins qu’il nous a donnés.
Blessés :
Danic : plaie au coude gauche et plaies multiples sur la jambe gauche. Se reposant dans la chambre de veille, le capitaine y a été bloqué par les débris des cloisons.
Fabre : jambe fracturée
Lefebvre (Novice) : entorse
Chavrey : blessure à la jambe
Christian : blessure à la jambe. Ce télégraphiste, soulevé dans sa cabine fendue en deux par le milieu, a été projeté dans la cale d’où il s’est difficilement sorti.
Le 2e mécanicien Vilala, a été enlevé du radeau par une lame et on n’a pas pu le retrouver à cause de la nuit complète, et malgré ses cris et ses appels que l’on entendit longtemps.
Rapport de l’officier AMBC
Le vapeur ORNE, qui avait quitté Penarth avec 1075 tonnes de charbon, a été torpillé le 21 Décembre vers 01h15 à 6 milles au Sud du feu des Shambles.
Le 2e capitaine était de quart, avec le canonnier Wellems qui ne pouvait rester sur le gaillard par suite de la grosse mer. Avec Wellems se trouvait le canonnier Delalande et un marin du commerce. Le second aperçut une noirceur à 50 m sur tribord, suivie aussitôt du sillage d’une torpille qui fit explosion à 4 m sur l’avant de la cloison étanche séparant la cale 2 de la chaufferie. Il n’a pas eu le temps de donner un ordre à la barre. Le bateau coula en 7 minutes.
Rôles de veille, de combat et d’évacuation affichés dans les postes. Exercices fréquents pour surveiller l’entraînement du personnel. Les 2 embarcations ayant été détruites par l’explosion, l’équipage s’est sauvé à grand peine sur l’unique radeau. Enlevé par une lame, le 2e mécanicien n’a pu rejoindre.
Au moment de l’attaque, tous les feux étaient éteints. Le second venait juste d’allumer le feu vert de tribord en voyant la noirceur qu’il avait prise tout d’abord pour un pêcheur.
Rapport de la commission d’enquête
Ce rapport reprend tous les éléments du rapport du capitaine. A noter qu’il désigne le patrouilleur sauveteur sous le nom d’EVELINE-PRIMEROSE… (à vérifier par les spécialistes)
En conclusion, il affirme :
L’attaque qui a causé la perte d’ORNE était impossible à conjurer. Quand l’officier de quart aperçut une masse sombre par le travers tribord, à 50 m, il démasqua son feu vert, mais la torpille fut immédiatement aperçue. Même en supposant que l’apparition du feu vert ait renforcé le point de repère de l’ennemi, la masse du bâtiment était trop visible, vu la faible distance, pour que l’attaque n’eût pas lieu avec précision. L’état de la mer et l’obscurité ont paralysé la veille, pourtant faite consciencieusement.
L’enquête a constaté la bonne tenue des rôles de veille et l’application régulière de toutes les instructions générales. La rapidité du sinistre et les dégâts qu’il a causé ont empêché l’action de l’artillerie et de la TSF dont les consignes étaient bien observées.
Il y a toutefois lieu de signaler qu’ORNE ne possédait pas les Mercantile Tables, ce qui mettait le télégraphiste dans l’impossibilité d’interpréter les avis de guerre anglais lancés dans la journée. Il a été répondu à la commission que ces tables devaient être délivrées au bâtiment au retour de ce même voyage.
Une autre faute relevée est que les embarcations étaient sur le pont, où elles ont été détruites, et non prêtes à être amenées sous les bossoirs comme l’exige le règlement. Le seul radeau se trouvant à bord avait heureusement été embarqué à Trouville 2 mois auparavant. La difficulté de son lancement lors de l’abandon démontre la nécessité que ces appareils auxiliaires de secours soient placés sur des superstructures et non à plat sur le pont. Il y a aussi intérêt à ce qu’ils soient munis des objets réglementaires, en particulier de bouées à phosphore de calcium. Une telle bouée lumineuse aurait peut-être permis de sauver le malheureux Vilala, perdu dans l’obscurité.
En face de la situation désespérée de son bâtiment, le capitaine ne pouvait s’attacher qu’au salut de son équipage et c’est ce qu’il a fait avec beaucoup d’énergie malgré ses blessures, et un grand esprit de devoir et de commandement.
Il a été particulièrement soutenu dans sa tâche par son second, Monsieur Potric, dont l’initiative et le dévouement ont eu une large part au succès de l’évacuation du bâtiment.
La commission est heureuse de les en féliciter, comme elle félicite l’équipage qui, à une discipline parfaite, a su joindre une bonne volonté et une endurance à la hauteur des difficultés traversées.
Signé : de Cuverville
Récompenses
Témoignage Officiel de Satisfaction
DANIC Eugène Capitaine
Pour son énergie et son esprit de commandement lors du sauvetage de l’équipage de son bâtiment coulé par l’ennemi. Blessé au bras et à la jambe.
POTRIC Jean-Louis 2e capitaine
Pour l’initiative et le dévouement dont il a fait preuve lors de l’évacuation de son bâtiment
Equipage vapeur ORNE
Pour la discipline et l’endurance qu’il n’a cessé de montrer malgré les circonstances difficiles lors de l’évacuation de son bâtiment coulé par l’ennemi.
Le sous-marin attaquant
C’était donc l’UB 54 du Kptlt z/s Egon von WERNER.
Ce sous-marin, alors sous les ordres de l’Oblt Erich HECHT, disparaîtra avec tout son équipage, un peu plus de 2 mois plus tard, en Mars 1918, sur cette même zone de patrouille de Portland Island.
Note de Janvier 1918, du CV chef d’Etat Major concernant le vapeur ORNE
Sur le vapeur ORNE, torpillé le 21 Décembre 1917, le commandant n’était pas encore à cette date en possession des Mercantile Tables. Or ces Tables ont été expédiées de Paris le 27 Septembre 1917 à tous les commandants de la Marine de nos ports, qui doivent en assurer la répartition conformément aux dispositions de la circulaire secrète de Septembre 1917.
Je vous prie de me faire connaître quels sont les ports où ce navire a fait escale depuis le 1er Octobre dernier et de m’informer des raisons de la non délivrance de ces tables.
Réponse du LV de Cuverville, Président de la commission d’enquête
Voici les renseignements que j’ai pu recueillir du capitaine Danic, commandant de l’ORNE
- Depuis le 1er Octobre, la seule escale en dehors des ports anglais a été Trouville.
- Le capitaine Danic ne commandait l’ORNE que depuis 2 mois et ignorait l’existence de ces Mercantiles Tables. Les instructions de route étaient données à Trouville par le syndic des gens de mer qui n’en a jamais fait mention. Du reste, ORNE ne restait que 24 heures dans ce port et rejoignait toujours le convoi partant de la rade du Havre.
- Le capitaine n’a connu l’existence de ces Mercantile Tables que lors de l’interrogatoire de la commission d’enquête. Comme le navire ne s’arrêtait pas au Havre, l’attention du Lieutenant de Vaisseau ne s’est pas portée sur lui. En fait, c’est le syndic de Trouville qui aurait dû être avisé de la remise de ces tables.
Lettre du 16 Février 1918 du CA DIDELOT, commandant Marine Le Havre, Gouverneur militaire, au Ministre de la Marine
Je vous rends compte que les seules escales faites par le vapeur ORNE depuis le 1er Octobre 1917 ont été Trouville et des ports anglais.
Aucun stock de Mercantile Tables n’a jusqu’à présent été constitué à Honfleur et Trouville, et ORNE n’a donc pas reçu le document en question.
Le Capitaine de Corvette Croissandeau, de l’Etat Major Général, venu hier en mission au Havre m’a informé que des ordres allaient être donnés pour l’approvisionnement en documents secrets des bâtiments relâchant dans ces deux ports.
Cdlt