Bonjour à tous,
CHAMPLAIN
Navire équipé d’un canon de 90mm à l’avant et d’un canon de 140 mm à l’arrière.
Naufrage du 21 Août 1918
Liste d’équipage
Rapport du second capitaine Jean-Marie PANSARD
Quitté Barry Docks le 14 Août 1918 à 20h00 avec un plein chargement de charbon pour Dakar. Arrivé à Milford Haven le 15 Août à 04h00. Le capitaine se rend à terre et reçoit les instructions de route à la conférence de capitaines du convoi. Quitté Milford Haven en convoi de 22 navires le 16 Août à 10h00. Poste immédiatement derrière le Commodore.
Le 19 à 07h00, quitté notre poste et navigué à vitesse maximum à l’arrière du convoi. Quitté le convoi sur ordre le 20 Août à 21h00.
Quatre heures plus tard, le 21 Août à 01h20, alors que nous commencions un zigzag sur la droite, le lieutenant de quart aperçoit le sillage d’une torpille sur bâbord. Venu à droite toute.
La torpille explose dans la cale 1, démolissant le poste équipage d’où les hommes sortent, à moitié asphyxiés par les gaz. Une énorme gerbe d’eau et de charbon aveugle le canonnier de l’avant qui ne peut ouvrir le feu. Appelés aux postes de combat et envoyé SOS. Le navire s’enfonçant rapidement, stoppé la machine et donné l’ordre d’amener les deux canots. La majeure partie de l’équipage y prend place avec les deux officiers, pont et machine, non de quart.
Le navire ne s’enfonçant plus, le capitaine fait remettre la machine en route, mais le navire prend alors une forte bande. Jugeant le navire définitivement perdu, le capitaine fait mettre le youyou et la baleinière à l’eau et quitte le navire en dernier avec chef mécanicien, second capitaine, TSF, 1er lieutenant, 3e mécanicien et quelques hommes.
Le navire ayant cessé de s’enfoncer, le capitaine fait revenir les canots le long du bord afin d’y remonter. Mais le sous-marin émerge alors et ouvre le feu. Les embarcations étant dans le champ de tir, elles doivent s’écarter à nouveau. Le sous-marin tire environ trente coups, puis s’approche des canots et demande nom du navire, nationalité et chargement. Le 2e capitaine doit monter à bord du sous-marin. Il essaie de cacher la présence du capitaine dans un canot et déclare que celui-ci est resté à bord. Le commandant du sous-marin se montre impératif et lui déclare qu’il le fera fusiller s’il fait une fausse déclaration. Le capitaine se présente alors lui-même et monte à bord du sous-marin où il est gardé prisonnier.
Le commandant du sous-marin donne des instructions au second sur la route à suivre pour gagner les Berlingues et lui dit de faire route en lui souhaitant « Bon voyage ».
Le sous-marin force les embarcations à s’éloigner, les escortant pendant 5 milles. Puis il revient vers le CHAMPLAIN et le canonne pendant une demi heure. On entend soudain une explosion et le CHAMPLAIN disparaît dans un nuage de fumée.
L’équipage abandonne le youyou et fait route à l’est dans 3 embarcations, par jolie brise, à une vitesse de 6 nœuds. Le 21 Août à 18h00, croisé un convoi faisant route au sud, à destination de Port Saïd. L’escorteur KILFENORA se détache et recueille les naufragés qu’il dépose à Gibraltar le 23 Août à 23h00. Embarcations abandonnées en mer.
Description du sous-marin
70 m de long
Semble avoir deux tubes lance torpilles sur l’arrière.
Coupe filet
Panneau de descente sur l’arrière du kiosque
Antenne au dessus du kiosque, amarrée sur l’arrière
Canon de 100 mm à touche l’avant du kiosque, longue volée et grand champ de tir vertical
Peinture vieille, gris fer
Vu le commandant et un sous-officier portant jumelles et revolvers, ainsi que quelques hommes.
Le commandant entre 30 et 35 ans, constitution moyenne, parle couramment anglais et un très bon français. Tous les marins s’exprimaient en anglais.
Voici la silhouette dessinée par le 2e capitaine Pansard
Le sous-marin attaquant
C’était donc l’UB 128 du KL Wilhelm CANARIS.
CHAMPLAIN fut la seule victime de ce sous-marin.
On peut lire un résumé de l’histoire de Wilhelm Canaris sur le site uboat.net sous ce lien.
http://www.uboat.net/wwi/men/commanders/43.html
Conclusions de la Commission d’enquête
La Commission d’enquête reprend les déclarations du 2e capitaine et ses conclusions sont très défavorables pour tout l’équipage. Elle écrit :
Il est regrettable que le télégraphiste ait laissé à bord le livret TSF. Personne ne sait quels documents étaient en possession du capitaine et ce qu’ils sont devenus.
Personne n’a songé à remonter à bord du CHAMPLAIN et personne n’a eu l’idée que si le sous-marin tirait, c’est qu’il était en surface donc vulnérable. La seule préoccupation des esprits a été de se mettre à l’abri des obus. Il fallait s’éloigner à force de rames, se mettre à l’abri ; on n’a pas songé à riposter, à utiliser l’artillerie, pourtant puissante.
Le commandant du sous-marin a reproché durement au second capitaine d’avoir menti. Celui-ci a répondu que c’était par discipline et pour obéir aux ordres. En entendant le mot de discipline, le commandant du sous-marin s’est aussitôt calmé. Il a libéré le second, lui a indiqué la route à suivre et la distance (180 milles) pour atteindre les Berlingues, et lui a souhaité « Bon voyage ! ».
Avant le torpillage, les hommes de veille de l’AMBC n’étaient pas à leurs pièces.
En conclusion, la Commission estime que :
- Le capitaine a été en dessous de sa tâche. Il a payé sa défaillance de sa liberté, ce qui évite à la Commission de réclamer contre lui un blâme formel.
- L’état-major a manqué d’initiative et d’énergie. Il a témoigné une soumission, sinon coupable, du moins regrettable aux ordres du capitaine

(nota : réflexion vraiment surprenante....) L’esprit de discipline justifie-t-il une telle abdication ? La Commission n’ose pas répondre à ce problème.
- L’équipage et l’armement militaire n’ont pas donné l’exemple du sang froid et de la discipline.
La Commission, pour éviter le retour d’un tel évènement, demande qu’une nouvelle circulaire aux capitaines préconise :
- qu’on ne doit abandonner son bâtiment que coulant bas.
- que si l’évacuation s’impose, l’armement militaire doit quitter le bord en dernier et utiliser ses pièces jusqu’à la dernière minute.
Rapport du capitaine lors du retour de captivité
« Parti de Milford Haven en convoi, je l’ai quitté à 21h00 le 20 Août et j’ai fait route à l’ouest en zigzaguant irrégulièrement, suivant les instructions. Tous feux masqués. Hommes à leurs postes de veille suivant instructions de l'AMBC. Dispositions de sauvetage prises depuis le départ d’Angleterre.
Vers 01h15 du matin le 21, je fus brusquement réveillé et projeté du canapé où je me trouvais. Lancé les papiers à la mer, donné l’ordre au télégraphiste d’envoyer un signal de détresse et monté à la passerelle. Le navire s’enfonçait très rapidement et prenait de la bande sur bâbord. Fait stopper la machine et amener les trois grands canots dans lesquels une partie de l’équipage prit place avec les officiers non de service.
Remis la machine en avant et constaté que le navire apiquait et changeait brutalement de bande, sans prendre de vitesse. Ayant la conviction que le navire était perdu et dans l’impossibilité d’engager le combat puisqu’on ne voyait pas le sous-marin, j’ai jugé de mon devoir de sauver l’équipage demeuré à bord. En conséquence, j’ai amené le youyou et la baleinière dans laquelle je suis descendu le dernier.
Le navire restant à flot, j’ai voulu m’en approcher pour y remonter. Le sous-marin a alors émergé et nous a canonnés, nous obligeant à nous éloigner. Il est venu ensuite accoster les embarcations. Voyant que personne ne voulait désigner le capitaine, le commandant du sous-marin a pris le second en otage et a menacé de le fusiller s’il faisait une fausse déclaration. Je me suis alors levé et me suis rendu à bord du sous-marin où j’ai été gardé prisonnier.
Le télégraphiste était resté à son poste jusqu’au dernier instant, mais n’avait reçu aucune réponse à ses appels. Je ne me souviens plus des coordonnées géographiques exactes du point où nous nous trouvions.
L’équipage a fait son devoir conformément à mes ordres et les bordées de quart n’ont quitté le navire qu’au tout dernier moment. »
Complément au rapport du capitaine
Le 5 Janvier 1919, le capitaine Leclère va envoyer au Lieutenant de Vaisseau de Cuverville, chef de la Police de la Navigation, un document fort intéressant dans lequel il raconte les dix sept jours passés à bord de l’UB 128 avec le commandant Canaris (dont il ne connaît pas le nom).
« Une fois à bord du sous-marin, le commandant m’a fait descendre et m’a donné la couchette d’un homme d’équipage. Il a remis les moteurs en avant et quelques temps après je l’ai entendu canonner le CHAMPLAIN ; puis… plus rien.
Il m’a demandé quelques renseignements sur la route des convois mais, voyant que je ne voulais pas répondre, il n’a pas insisté. Il m’a dit que s’il m’avait aperçu, c’était grâce à la partie un peu claire du camouflage qui était frappée par la lune. Mes zigzags l’avaient beaucoup gêné et il s’apprêtait à lancer une deuxième torpille quand il a vu que nous quittions le navire.
« - Vous n’avez pas eu de chance, m’a-t-il dit, je vais de Kiel à Cattaro et vous vous êtes trouvés juste sur ma route. »
Alors commença pour moi une croisière de 17 jours pendant laquelle je n’eus pas à me plaindre du traitement auquel j’étais soumis ; Lorsqu’il n’y avait rien en vue, je pouvais monter sur le pont prendre l’air. Je ne devais descendre en bas que lorsqu’il y avait quelque fumée en vue, où lorsqu’il se disposait à attaquer.
J’avais la même nourriture que l’équipage et que le commandant car tous mangeaient la même chose. La façon de servir était identique pour eux et pour moi. La nourriture se composait de thé, café, chocolat, pain en boite, conserves de viande, fromage, macaronis et marmelade. J’étais logé avec 6 hommes, dans un endroit assez exigu, dans le passage des machines. Pour ne pas entraver la circulation, je devais rester très souvent couché.
Le commandant me dit que son sous-marin était un modèle un peu nouveau. Sur une longueur d’un mètre, le diamètre de son périscope n’excédait pas celui d’un manche de balai. Un 2e périscope, avec une lentille spéciale, permettait de surveiller les aéroplanes. Il était muni de deux moteurs diesels et de deux moteurs électriques. Il y avait 8 torpilles devant et 1 sur l’arrière.
L’équipage comportait 34 hommes. Je n’ai pu voir le numéro du sous-marin. Il était équipé d’un canon de 105 mm et d’une mitrailleuse.
Après trois jours passés sans succès dans l’Atlantique, nous avons passé Gibraltar dans la nuit du 25 au 26 Août. Nous sommes arrivés en surface jusqu’à Tarifa, puis nous avons plongé et franchi le reste du détroit à 40 m de profondeur. Mais à la fin de cette plongée, une soupape s’est coincée et le sous-marin a soudain apiqué d’une façon effrayante. Les outils, les malles de l’équipage et pleins d’objets ont glissé vers l’avant. Les hommes ne pouvaient plus remonter cette inclinaison pour passer sur l’arrière. Ils poussaient des cris dont rien ne peut donner une idée. Je me crus englouti avec eux. Le manomètre de profondeur avait atteint la marque de 80 m. Soudain, le sous-marin fut soulevé comme un bouchon et remonta en surface. La catastrophe avait été évitée.
Il continua sa croisière en Méditerranée : côtes d’Espagne, Baléares, Algérie, Sardaigne, mais en se tenant très loin de terre. Le 3 Septembre, il franchit le canal d’Otrante à 40 m de profondeur de 05h30 le matin jusqu’à 19h30. Le 4 nous arrivâmes à Cattaro (Kotor), le 5 à Spalato (Split) et le 7 à Pola. La veille de l’arrivée dans ce port, le sous-marin s’échoua sur un haut fond et talonna toute la nuit. Il fut tiré de là par un remorqueur mais avec, je suppose, quelques avaries.
Pour les sous-mariniers, la campagne totale avait duré 24 jours et CHAMPLAIN avait été leur seule victime. D’après ce que j’ai pu voir, le commandant craignait beaucoup les bombes d’avion. Il pensait qu’à 40 m, il était à l’abri de leurs effets.
Je fus dirigé sur Karlsruhe où je fus interrogé sur ce qui se passait en France et en Angleterre, mais je ne donnai aucun renseignement. Il faut dire que nos armées allaient alors de victoires en victoires et je voyais sur les visages de nos ennemis qu’ils n’avaient plus beaucoup d’espoir.
Au bout d’un mois, je fus envoyé à Torgau sur Elbe avec d’autres officiers français. Logés au fort Zimma, nous avons alors souffert de la faim. Après l’armistice, nous fûmes transférés au fort de Brückenkopf où la discipline était très relâchée.
J’ai ensuite embarqué à Hambourg sur le BATAVIA, de la Hamburg Amerika Linie. Il était armé par des Allemands, mais un lieutenant de vaisseau français, aviateur prisonnier depuis 1916, avait été désigné pour les contrôler et la traversée se déroula sans incident. J’ai débarqué à Cherbourg le 5 Janvier 1919. »
Cdlt