Bonjour à tous,
Télégramme chiffré 23 Juin 1917 Chef de Division à Marine Paris
LE 23 à 08h00 par 35°39 N et 07°02 W vapeur français ISERE torpillé. Coulé en 2 minutes. AIGLON était à 8000 m. Rallie aussitôt et recueille 19 naufragés dont un blessé et un décédé. 13 disparus dont capitaine et tous les officiers. Aucune trace de l’ennemi. Rescapés disent périscope pas vu. Torpille seulement aperçue trop tard. Après recherches vaines pendant 2 heures AIGLON conduit naufragés Tanger en escortant jusqu’au cap Spartel un cargo-boat anglais.
Rapport du chef mécanicien MINIER
Quitté Barry le 11 Juin avec un chargement de charbon pour Oran et Marseille. Suivi le convoi jusqu’à Penzance et départ de Penzance le 14 Juin à 18h30. Traversée à 7 nœuds avec temps calme.
Le 23 Juin à 08h00, après une ronde dans la machine, je me disposais avec le personnel du 3e quart à continuer la visite du treuil n° 3 lorsqu’une effroyable détonation se fit entendre, suivie d’une gerbe d’eau énorme par le travers de la cale 2 et de la chambre des chaudières. Nous avions été touchés par une torpille. Chacun se précipita aux embarcations qui étaient suspendues en dehors du navire. Nous avons eu à peine le temps de les mettre à l’eau que le navire disparaissait d’un coup, entraînant tous ceux qui étaient à bord et engloutissant et démolissant les deux embarcations.
Après la disparition du navire, alors qu’il cherchait une épave, Monsieur Gachet affirme avoir aperçu à 50 m le périscope d’un sous-marin filant à très grande allure et émergeant de 50 cm au dessus de la surface. Les quelques rescapés et moi n’avons du notre salut qu’au ceintures de sauvetage dont nous étions munis. Remontés à la surface, chacun s’agrippa à des débris de bois que l’explosion avait transformés en épaves. Nous fûmes sauvés environ une heure après le désastre par le chalutier français AIGLON où nous avons reçu les soins les plus dévoués du capitaine et de son équipage. Le télégraphiste Reignetville était blessé à la cuisse droite. Le chauffeur Montfort est décédé peu après son arrivée sur le chalutier.
Extraits du rapport d’enquête fait par le LV DELCOURT à Casablanca
Le 3e mécanicien Gachet qui dit avoir vu le périscope a l’impression qu’après avoir torpillé ISERE, le sous-marin a fait route pour passer derrière. L’attaque avait eu lieu par tribord.
Un quart d’heure avant l’attaque, la vigie avait signalé une fumée par bâbord, probablement celle de l’AIGLON.
Le télégraphiste a tenté de lancer le signal de détresse mais n’a eu que le temps de manipuler S.O…. L’antenne et la cabine de TSF ont été démolies par l’explosion et le télégraphiste a été gravement blessé. Il est à l’hôpital de Tanger.
Le navire était équipé d’un canon de 90 mm sur affut à pivot à l’avant. Quatre canonniers
- MOGUEROU Yves Morlaix
- LE GALIOU Joseph 105128/2
- LE CAMUS Joseph Fécamp
La torpille a fait une grosse brèche. Eclatement de la chaudière tribord. Les panneaux de la cale 2 et le charbon ont volé en l’air. Le bâtiment a apiqué immédiatement et l’homme de vigie dans le mât de misaine s’est affalé immédiatement par un câble de manœuvre. Il avait déjà de l’eau aux genoux quand il est arrivé sur le pont.
Le capitaine a été aperçu après la disparition du navire, essayant de se soutenir avec un tonneau. Mais il a rapidement disparu. L’équipage comprenait des Français, un Portugais et un Espagnol (peut-être naturalisé Français).
Attitude très calme de l’équipage. Le capitaine a commandé « Aux embarcations mes enfants » et chacun s’est porté à son poste. Mais on n’a pas eu le temps de bien les amener. L’une d’elle a été entraînée avec le navire par sa bosse. Les ceintures de sauvetage étaient près des embarcations. Beaucoup les ont prises, mais n’ont pas eu le temps de les capeler. Les survivants ont été sauvés environ une demi-heure après le naufrage.
Beaucoup de survivants pensent que seuls des radeaux en bois ou en liège seraient efficaces.
Les survivants sont animés du plus bel esprit et font preuve d’un très bon moral.
J’ai l’honneur de demander une récompense pour tous ceux qui sont morts et pour le télégraphiste Jules Reignetville, blessé, et dont tous les survivants font l’éloge, ainsi qu’une récompense collective pour l’équipage.
Rapport de l’Enseigne de Vaisseau Gilbert de la ROCHEFOUCAULD Commandant AIGLON
Le 23 Juin à 04h00 recevons un « Allo » du VOLTAIRE II, puis un SOS à la position 35°42 N 06°50 W. Manœuvre immédiate pour se porter au secours de VOLTAIRE II et j’envoie le message « Secours….) à ce vapeur. A 06h25, VOLTAIRE II signale « Saved ». Continué ma route pour me rapprocher du point où l’ennemi a été signalé. A 07h10 aperçu un navire faisant route au N80W que je suppose être VOLTAIRE II. Malgré une veille attentive, ne découvrons ni sillage, ni périscope.
A 07h35, aperçu la cheminée et les mâts d’un vapeur qui paraît se diriger vers l’Est. Manœuvré pour me rapprocher et le dérouter en dehors du cercle dangereux.
A 08h00, ce vapeur qui était l’ISERE, de la Cie Gle Transatlantique, port d’attache Saint Nazaire, et qui transportait 3000 tonnes de charbon pour Oran, est torpillé. AIGLON était encore à 8000 mdans l’ENE. Fait route à toute vitesse sur le vapeur et appelé aux postes de combat. Ennemi invisible pour nous. A 09h30, arrivons sur les lieux. Pas une embarcation n’a pu être mise à l’eau, mais des radeaux, des morceaux de bois, quantité de débris divers sur lesquels se trouvent des naufragés. AIGLON stoppe, met ses deux doris et son youyou à l’eau et se porte au secours des naufragés. Décrit des cercles pour découvrir l’ennemi mais recherche vaine. A 08h45, les embarcations ayant recueilli 18 naufragés, stoppé à nouveau pour les faire monter à bord. Il y a un blessé et un homme gravement indisposé. 14 hommes manquent à l’appel. Doris et youyou repartent tandis qu’AIGLON continue ses recherches toujours vaines.
A 09h15, le sloop britannique CELANDINE rallie. Demandé un médecin pour le blessé et le malade, médecin qu’il nous envoie avant d’exécuter dans le Sud des recherches aussi vaines que les nôtres. Autre sloop en vue dans le Nord. Le médecin panse sommairement le blessé dont la fracture ne peut être réduite à bord, et réconforte le malade qu’un bol de café bouillant remet d’aplomb. A 09h30, un doris ramène le corps du chauffeur Michel Montfort, trouvé inanimé entre deux eaux. Pratiqué la respiration artificielle suivant les conseils du médecin, mais sans succès. A 10h30, le médecin constate le décès. Les embarcations n’ont retrouvé aucun des 13 autres disparus parmi lesquels le commandant et tous les officiers à l’exception du chef mécanicien et du 3e mécanicien.
A 10h30, sans espoir de retrouver d’autres survivants, remis le médecin à bord du CELANDINE, hissé les embarcations et fait route sur un vapeur qui manœuvrait de façon bizarre, puis restait immobile. J’ai pensé à un complice de l’ennemi, rien ne pouvant justifier cette attitude peu naturelle et extraordinaire de rester ainsi pendant deux heures exposé aux dangers d’un torpillage.
A 10h45 arraisonné ce vapeur, l’Anglais WOOLBRIDGE, qui allait à Gibraltar. Ce navire ne paraissant pas un complice du sous-marin, ni un navire déguisé, j’avoue que sa manœuvre me semble encore inexplicable.
AIGLON, escortant WOOLBRIDGE, fait alors route sur Tanger pour y déposer les naufragés de l’ISERE. Mouillé à 18h00 en rade de Tanger.
Voici le graphique dessiné par l'EV de La Rochefoucauld pour illustrer son rapport
Note du CV commandant le LAVOISIER, Commandant Supérieur des bâtiments français à Gibraltar.
AIGLON avait quitté Gibraltar le 8 Juin à 18h00 pour renforcer le MARRAKCHI, en croisière au large du cap Spartel, parages dans lesquels avait été signalé un sous-marin ennemi. Le 9 Juin, il est venu au secours de l’AUBE, poursuivi par un sous-marin à la position 35°58 N et 07°15 W. Il a ouvert le feu à 10000 m et le sous-marin a riposté. Mais voyant que le tir de l’AIGLON était bien réglé, il a vite abandonné, plongé et disparu.
Le 13 Juin à 07h00, l’ennemi, probablement le même sous-marin, a attaqué le vapeur norvégien FRITJOHF qui allait de Liverpool à Penzolles avec du charbon. Se méprenant sur la force de l’AIGLON, il a abandonné son tir sur le Norvégien pour commencer le feu sur AIGLON. Celui-ci, avec beaucoup de sang froid a évité de riposter avant de s’être rapproché et de laisser l’ennemi dans l’incertitude sur la valeur de sa pièce (un canon de 100 mm). Voyant que les hommes du sous-marin descendaient à l’intérieur et qu’il se préparait à plonger, AIGLON a ouvert le feu à 7000m, ce qui a fait immédiatement disparaître le sous-marin.
L’équipage du FRITJOHF, qui avait évacué son bord, y est remonté et a fait route sur le cap Spartel escorté par AIGLON.
Je fais remarquer les qualités d’initiative et d’allant de cet officier qui me semble tout à fait digne d’éloges.
Note sur le commandant de l’AIGLON
Gilbert Camille Alfred Alexandre de La Rochefoucauld, Duc de La Roche Guyon (1889/1964), né et décédé au château de La Roche Guyon, sera cité à l’Ordre de l’Armée Navale en Août 1917 pour sa belle conduite comme commandant de l’AIGLON. Il recevra la Croix de Guerre et sera fait Chevalier de la Légion d’Honneur. Par la suite, il atteindra le grade de Capitaine de Vaisseau.
Pendant la 2e guerre mondiale, son château de La Roche Guyon sera réquisitionné par la Wehrmacht et le maréchal Rommel y installera son PC en 1944. Rommel et son état-major occuperont tout le rez-de-chaussée, laissant le 1er étage à la famille de La Rochefoucauld. Bien que n’étant pour rien dans cette réquisition, l’officier français n’en sera pas moins inquiété après la guerre pour cette proximité pourtant fortuite avec Rommel qui, circonstance peut-être aggravante, s'était montré d'une extrême courtoisie avec lui.
Propositions de récompenses formulées par l’EV de La Rochefoucauld
Citation à l’Ordre de l’Armée
LOREAL Capitaine
ROTHAU Second capitaine
Se sont occupés jusqu’au dernier moment, sans souci de leur propre sécurité, de donner les ordres les plus opportuns pour l’évacuation du bâtiment et d’en assurer l’exécution. Ont donné à tous l’exemple du courage et du sang froid. Disparus avec leur navire.
CUISINE Second mécanicien
De quart au moment du sinistre, est resté à son poste et a disparu avec le navire.
GUAPPAILLE Maître d’équipage
S’est occupé jusqu’au dernier moment de disposer les moyens de sauvetage conformément aux ordres du capitaine. A disparu avec le navire.
REIGNETVILLE Radiotélégraphiste
Resté à son poste jusqu’au dernier moment pour essayer de transmettre le signal de détresse. N’est sorti de sa cabine que quand celle-ci était envahie par la mer. Blessé et sauvé.
Citation à l’Ordre du régiment
MINIER Chef mécanicien
A donné à tous l’exemple du sang froid . Sauvé.
QUINTEL Matelot
RENAUD Chauffeur
Ont fait preuve du plus grand sang froid et ont contribué, par leur exemple, a remonter le moral de tous. Sauvés.
Enfin, l’EV demande la
Médaille de Sauvetage pour l’un de ses marins
LE BLOND Emile QM fusilier 28463/1
N’a pas hésité à se jeter à l’eau tout habillé pour secourir un homme frappé d’un commencement de congestion, qui se serait certainement noyé sans cette intervention opportune. Déjà titulaire de 30 points exceptionnels pour avoir fait preuve d’énergie et de présence d’esprit dans la capture d’un agent ennemi le 5 Avril 1917.
Il propose aussi des points exceptionnels pour :
POURRET Jean Baptiste Matelot chauffeur Boulogne 400
PLOUGUERNE François Matelot chauffeur
POLLET Auguste Matelot sans spé Boulogne 185
PAPEGAY Louis Matelot sans spé Boulogne 2045
LE GURUN Yves Matelot canonnier Belle Ile 96
LE DORE Louis Matelot gabier Saint Brieuc 3468
« Ont fait preuve du plus grand dévouement en se portant au secours des naufragés de l’ISERE »
Le Gurun est déjà titulaire de 20 points pour le même motif que Le Blond.
Le Dore a été blessé aux Dardanelles.
Le sous-marin attaquant
C'était donc l'U 39 du Kptlt Walter FORTSMANN. Voici la silhouette de ce sous-marin dessinée par l'EV de La Rochefoucauld.
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