Re: SEEADLER Corsaire allemand
Publié : ven. juin 12, 2009 2:36 pm
Bonjour à tous,
SEEADLER
Voici une note très intéressante, établie par les services de renseignements de la Marine, publiée le 2 Mai 1917 par l’Etat-Major Général.
Elle concerne le corsaire allemand SEEADLER.
Note de renseignements
« Cette note a pour but de récapituler tout ce que nous savons à propos du corsaire allemand SEEADLER.
Ce corsaire est l’ancien trois-mâts PASS OF BALMAHA, 1498 tx, construit à Glasgow en 1888. Coque en acier.
Il a été pourvu d’un moteur Diesel à 4 cylindres lui donnant une vitesse d’environ 11 nds par beau temps calme. Avec forte brise, il pourrait atteindre 16 nds.
Il est armé de deux canons de 105 mm, l’un à tribord, l’autre à bâbord avant. Deux mitrailleuses de l’armée peuvent être fixées en différents endroits et sont d’ordinaire sur le gaillard et la dunette. Un télémètre sur le gaillard.
Il posséderait des torpilles, mais le fait n’est pas certain.
Fusils Mauser à chargeurs, grenades à main, appareils fumigènes fabriqués à la fabrique de couleurs de Hoechst.
Il est doté d’un dispositif qui lui permet de relever les émissions TSF.
Plusieurs points permettent de reconnaître le SEEADLER.
Le filet placé sous le beaupré est spécialement grand.
Il y a quatre focs. Le petit foc est très petit par rapport au faux foc.
Les seules voiles d’étai sont une pouillousse et un foc d’artimon.
La hauteur du mât de misaine est égale à celle du grand mât. Le mât d’artimon est plus court d’environ trois mètres.
Chaque perroquet volant a une hauteur double de celle du perroquet fixe correspondant.
La voile barrée n’est jamais enverguée.
L’artimon est toujours ferlé et il n’y a pas de gui.
Les haubans d’artimon partent du pont et les galhaubans de la dunette.
L’antenne TSF consiste en un fil de cuivre enrobé dans un filin qui va de la tête du mât de misaine à la tête du grand mât. On voit ce même filin descendre en suivant les galhaubans des mâts de grand et de petit cacatois.
Les embarcations automobiles sont énormes et très apparentes. Les hélices sont masquées par des planchettes. Les bossoirs de ces embarcations sont très robustes. Le dôme du compas étalon, porté par une petite passerelle, est visible au dessus de la lisse des embarcations automobiles.
Sur le roof de l’équipage se trouvent trois embarcations ordinaires. Ce roof porte la cheminée de la cuisine qui est spécialement haute (6m environ) et une cheminée grosse et courte (60 cm) qui est l’échappement du moteur. Cet échappement ainsi placé peut donner l’illusion d’être la cheminée de la chaudière auxiliaire qu’il traverse en effet de bas en haut. Quand le moteur fonctionne, les gazd’échappementsont visiblessur la voile, quand on est au vent du voilier.
Au milieu de la dunette se trouve une chambre de veille en teck verni. Derrière cette chambre de veille, on remarque une grande claire-voie de salon, et sur l’avant, une autre claire-voie pointue avec de chaque bord un grand hublot d’environ 60 cm de diamètre. A l’arrière de la dunette se trouve l’appareil à gouverner qui possède une seule roue à bras.
On doit également tenir compte des remarques suivantes
Il existe en réserve à bord du SEEADLER un gui et une corne probablement destinés à être mis en place pour changer la physionomie du voilier. Il faut admettre que de trois-mâts carré, le SEEADLER peut être transformé en trois-mâts barque.
On aperçoit toujours un homme de veille sur les vergues du grand cacatois. Quand un navire est proche, la vigie simule un travail de réparation du grand cacatois.
Ne pas se laisser tromper par l’apparence pacifique que les Allemands essaient de donner au SEEADLER en jouant la comédie suivante :
Quand il est à moyenne distance d’un navire dont la qualité n’a pas encore été reconnue, le maître d’hôtel s’affuble de vêtements féminins et arpente la dunette à l’abri d’une ombrelle tandis que le commandant, le comte von Lückner, endosse un vêtement civil et se coiffe d’une casquette de voyage et se promène à côté de la fausse passagère sans s’inquiéter de la manœuvre qui est confiée à l’officier de quart.
Lorsqu’un navire est en vue, les manches à air en toile sont amenées.
Les pavillons norvégiens peints sur la coque grise sont parfois barbouillés de peinture, et ainsi dissimulés.
Navires armés
D’après un exercice fait en prenant le voilier LA ROCHEFOUCAULD comme objectif représentant un vapeur armé, la tactique d’attaque est la suivante :
- Approcher le plus près possible sans laisser reconnaître son caractère. Emploi d’un pavillon neutre. Les officiers et les hommes dissimulent leurs uniformes sous de vieux vêtements civils.
- Par un tir très violent de fusils, pistolets, mitrailleuses, empêcher l’armement du canon du vapeur d’approcher de sa pièce
- Par un tir rapide du canon, détruire le poste TSF , mettre le canon hors service et, si le navire essaie de fuir, tirer sur la passerelle.
Croisière du SEEADLER
Depuis son départ d’Allemagne jusqu’au 21 Mars sa croisière est la suivante :
12/1916 Départ de Gestemünde avec éclairage par sous-marin en mer du Nord. Remonté vers l’Irlande.
09/01/17 GLADYS ROYAL Cardiff-Montevideo avec 5000 t de charbon coulé par 35°N 25°W
10/01/17 LUNDY ISLAND Maurice-Nantes avec 4500 t de sucre coulé par 35°N 22°W
21/01/17 CHARLES GOUNOD Dunkerque-Queenstown avec 3050 t de maïs coulé par 07°N 28°W
28/01/17 PERSEE Halifax-Nantes avec 4000 t de morues coulé par 03°N 28°W
03/02/17 ANTONIN Iquique-France avec 4000 t de nitrate et 50 t de peaux salées coulé par 07°N 35°W
09/02/17 BUENOS AYRES Antofagasta-Gibraltar avec 3000 t de salpêtre coulé par 05°N 32°W
19/02/17 PENMORE Buenos Ayres-Fayal avec 3850t de blé coulé par 08°N 35°W
26/02/17 BRITISH YEOMAN Montevideo-Bordeaux avec 3000t de blé coulé par 04°30N 31°W
27/02/17 LA ROCHEFOUCAULD Iquique-Rochefort avec 3050 t de nitrate coulé par 05°N 31°30W
05/03/17 DUPLEIX Tocopilla-Queenstown avec 3000t de salpêtre coulé par 01°10N 28°12W
11/03/17 HORNGARTH Montevideo-Plymouth avec blé coulé par 02°20S 26°W
21/03/17 CAMBRONNE capturé par 20°10 S et 25°50 W. Tous les prisonniers (300 environ) ont été transférés sur ce navire et conduits à Rio de Janeiro. La cargaison de salpêtre du CAMBRONNE a été avariée en jetant dans les cales des dizaines de tonnes d’eau. Les mâts ont été sciés à un mètre au dessus du chouque, en deux endroits différents, sur un tiers de l’épaisseur. Les dromes ont été coupées, les volants dévergués et jetés à la mer ainsi que toutes les voiles en soute. »
Voici le dessin qui accompagne cette note

Je replace à la suite de cette note tous les renseignements déjà fournis sur le SEEADLER à la fiche CHARLES GOUNOD.
Le SEEADLER (aigle des mers) dissimulé sous le nom de NORGE, était en fait un trois-mâts franc américain, le PASS OF BALMAHA, que les Allemands avaient capturé au début de la guerre.
C’était d’ailleurs au moment où les Anglais l’avaient arraisonné et le conduisait au port de Kirkwall, dans les Orcades, pour en vérifier la cargaison (du coton destiné à Arkangelsk).
Il avait été transformé en croiseur auxiliaire à Geestermünde. On l’avait doté d’un moteur diesel de mille chevaux, lui donnant une vitesse de dix nœuds et l’on avait embarqué pour deux années d’approvisionnements.
On l'avait armé avec deux canons de 105 sur Td et Bd avant, deux mitrailleuses installées d'ordinaire sur la dunette et le gaillard, mais que l'on pouvait déplacer, de nombreux fusils Mauser et des pistolet "parabellum". Des pavois à charnières basculaient pour dévoiler les canons. Il y avait aussi des grenades à mains et des mines fumigènes.
L’entrepont était aménagé pour recevoir 400 prisonniers. 64 hommes constituaient l’équipage. Déguisé en bâtiment de commerce neutre, il ne fallait aucune fausse note susceptible d’éveiller le doute chez l’adversaire. C’est pourquoi un marin allemand, que ses camarades avaient surnommé Jeannette, se promenait sur le pont à la vue de tout le monde, travesti en femme et portant une ombrelle, quand on approchait d'un adversaire, tandis que les hommes armés, tapis derrière les bastingages, étaient parés pour l’abordage.
Si l’ennemi avait des velléités de résistance, des mégaphones annonçaient le torpillage imminent, alors que le SEEADLER n’avait ni tube lance-torpilles, ni torpilles.
Voici le SEEADLER (tableau de Willy Stöwer, 1925)

Et voici le commandant Felix von Lückner

Von Lückner fut un marin tout à fait atypique. Formé sur les grands voiliers du début du siècle, notamment sur l’Anglais Pinmore qu’il coula, la mort dans l’âme, le 19 Février 1917, il se résolut à mener une guerre « propre ».
Il avait confié à son second et ami privilégié, Friedrich Lüdemann, après avoir coulé le cargo LUNDY ISLAND :
« Je crois que je suis en train de réussir notre pari : faire la guerre sans nous salir les mains »
Comme Lüdemann lui faisait remarquer que beaucoup d’Allemands souffraient de cette guerre, au moins autant que leurs adversaires, il avait répondu :
« Retenez bien ceci Lüdemann : nous n’avons pas su défendre autrement que par les armes notre bonheur sur cette terre. Un peuple qui cautionne ses chefs est aussi coupable qu’eux des horreurs qu’ils dispensent. Sur ce navire, nous ne sommes plus en train de faire la guerre, mais d’essayer de reconstruire l’avenir ».
Ce corsaire avait quelque chose de visionnaire dans son appréhension de l’avenir et de l'Histoire.
Sur le SEEADLER, équipage et prisonniers vécurent en bonne harmonie. La liberté de déplacement était totale, sauf lorsqu'une nouvelle victime approchait. Beaucoup de marins avaient retrouvé des camarades prisonniers comme eux. Les officiers pouvaient se réunir dans leurs cabines ou le logement commun qui leur était affecté.
Les officiers anglais, en particulier, discutaient facilement avec les Allemands tandis que les marins fréquentaient volontiers les bordées allemandes qui étaient au repos. Le soir, on jouait ensemble de la musique...
Enfin, les marins qui travaillèrent sur le SEEADLER (car il fallait assurer le fonctionnement d'un navire transportant à la fin de l'odyssée plus de 300 hommes) furent rémunérés sur la base des salaires versés par leur compagnie.
Voici un cliché montrant corsaires et prisonniers en bonne harmonie sur le pont du SEEADLER

Plus tard, le SEEADLER s’échoua sur un atoll perdu du Pacifique et von Lückner fut prisonnier des Néo-Zélandais. Libéré mi-Mars 1919, il rentra dans sa ville de Halle et put même revoir son père, âgé de 95 ans, qui mourut quelques semaines plus tard.
Toujours fidèle à sa patrie, il s’occupa alors de l’instruction des cadets de la nouvelle marine et navigua sur le voilier école NIOBE.
Nommé capitaine de corvette en 1922, il démissionna pourtant et, s’étant marié avec une jeune suédoise, il se rendit aux Etats-Unis où il demeura plusieurs années.
En 1933, il s’opposa ouvertement, par des conférences publiques, au national socialisme. Sa tête fut mise à prix . La gestapo le considéra comme un traitre et sa condamnation à mort fut proclamée par le führer en 1939. Il s’installa alors aux Etats-Unis puis, en 1950 et définitivement, à Malmö, en Suède. Il est décédé le 13 Avril 1966.
Cdlt
Olivier
SEEADLER
Voici une note très intéressante, établie par les services de renseignements de la Marine, publiée le 2 Mai 1917 par l’Etat-Major Général.
Elle concerne le corsaire allemand SEEADLER.
Note de renseignements
« Cette note a pour but de récapituler tout ce que nous savons à propos du corsaire allemand SEEADLER.
Ce corsaire est l’ancien trois-mâts PASS OF BALMAHA, 1498 tx, construit à Glasgow en 1888. Coque en acier.
Il a été pourvu d’un moteur Diesel à 4 cylindres lui donnant une vitesse d’environ 11 nds par beau temps calme. Avec forte brise, il pourrait atteindre 16 nds.
Il est armé de deux canons de 105 mm, l’un à tribord, l’autre à bâbord avant. Deux mitrailleuses de l’armée peuvent être fixées en différents endroits et sont d’ordinaire sur le gaillard et la dunette. Un télémètre sur le gaillard.
Il posséderait des torpilles, mais le fait n’est pas certain.
Fusils Mauser à chargeurs, grenades à main, appareils fumigènes fabriqués à la fabrique de couleurs de Hoechst.
Il est doté d’un dispositif qui lui permet de relever les émissions TSF.
Plusieurs points permettent de reconnaître le SEEADLER.
Le filet placé sous le beaupré est spécialement grand.
Il y a quatre focs. Le petit foc est très petit par rapport au faux foc.
Les seules voiles d’étai sont une pouillousse et un foc d’artimon.
La hauteur du mât de misaine est égale à celle du grand mât. Le mât d’artimon est plus court d’environ trois mètres.
Chaque perroquet volant a une hauteur double de celle du perroquet fixe correspondant.
La voile barrée n’est jamais enverguée.
L’artimon est toujours ferlé et il n’y a pas de gui.
Les haubans d’artimon partent du pont et les galhaubans de la dunette.
L’antenne TSF consiste en un fil de cuivre enrobé dans un filin qui va de la tête du mât de misaine à la tête du grand mât. On voit ce même filin descendre en suivant les galhaubans des mâts de grand et de petit cacatois.
Les embarcations automobiles sont énormes et très apparentes. Les hélices sont masquées par des planchettes. Les bossoirs de ces embarcations sont très robustes. Le dôme du compas étalon, porté par une petite passerelle, est visible au dessus de la lisse des embarcations automobiles.
Sur le roof de l’équipage se trouvent trois embarcations ordinaires. Ce roof porte la cheminée de la cuisine qui est spécialement haute (6m environ) et une cheminée grosse et courte (60 cm) qui est l’échappement du moteur. Cet échappement ainsi placé peut donner l’illusion d’être la cheminée de la chaudière auxiliaire qu’il traverse en effet de bas en haut. Quand le moteur fonctionne, les gazd’échappementsont visiblessur la voile, quand on est au vent du voilier.
Au milieu de la dunette se trouve une chambre de veille en teck verni. Derrière cette chambre de veille, on remarque une grande claire-voie de salon, et sur l’avant, une autre claire-voie pointue avec de chaque bord un grand hublot d’environ 60 cm de diamètre. A l’arrière de la dunette se trouve l’appareil à gouverner qui possède une seule roue à bras.
On doit également tenir compte des remarques suivantes
Il existe en réserve à bord du SEEADLER un gui et une corne probablement destinés à être mis en place pour changer la physionomie du voilier. Il faut admettre que de trois-mâts carré, le SEEADLER peut être transformé en trois-mâts barque.
On aperçoit toujours un homme de veille sur les vergues du grand cacatois. Quand un navire est proche, la vigie simule un travail de réparation du grand cacatois.
Ne pas se laisser tromper par l’apparence pacifique que les Allemands essaient de donner au SEEADLER en jouant la comédie suivante :
Quand il est à moyenne distance d’un navire dont la qualité n’a pas encore été reconnue, le maître d’hôtel s’affuble de vêtements féminins et arpente la dunette à l’abri d’une ombrelle tandis que le commandant, le comte von Lückner, endosse un vêtement civil et se coiffe d’une casquette de voyage et se promène à côté de la fausse passagère sans s’inquiéter de la manœuvre qui est confiée à l’officier de quart.
Lorsqu’un navire est en vue, les manches à air en toile sont amenées.
Les pavillons norvégiens peints sur la coque grise sont parfois barbouillés de peinture, et ainsi dissimulés.
Navires armés
D’après un exercice fait en prenant le voilier LA ROCHEFOUCAULD comme objectif représentant un vapeur armé, la tactique d’attaque est la suivante :
- Approcher le plus près possible sans laisser reconnaître son caractère. Emploi d’un pavillon neutre. Les officiers et les hommes dissimulent leurs uniformes sous de vieux vêtements civils.
- Par un tir très violent de fusils, pistolets, mitrailleuses, empêcher l’armement du canon du vapeur d’approcher de sa pièce
- Par un tir rapide du canon, détruire le poste TSF , mettre le canon hors service et, si le navire essaie de fuir, tirer sur la passerelle.
Croisière du SEEADLER
Depuis son départ d’Allemagne jusqu’au 21 Mars sa croisière est la suivante :
12/1916 Départ de Gestemünde avec éclairage par sous-marin en mer du Nord. Remonté vers l’Irlande.
09/01/17 GLADYS ROYAL Cardiff-Montevideo avec 5000 t de charbon coulé par 35°N 25°W
10/01/17 LUNDY ISLAND Maurice-Nantes avec 4500 t de sucre coulé par 35°N 22°W
21/01/17 CHARLES GOUNOD Dunkerque-Queenstown avec 3050 t de maïs coulé par 07°N 28°W
28/01/17 PERSEE Halifax-Nantes avec 4000 t de morues coulé par 03°N 28°W
03/02/17 ANTONIN Iquique-France avec 4000 t de nitrate et 50 t de peaux salées coulé par 07°N 35°W
09/02/17 BUENOS AYRES Antofagasta-Gibraltar avec 3000 t de salpêtre coulé par 05°N 32°W
19/02/17 PENMORE Buenos Ayres-Fayal avec 3850t de blé coulé par 08°N 35°W
26/02/17 BRITISH YEOMAN Montevideo-Bordeaux avec 3000t de blé coulé par 04°30N 31°W
27/02/17 LA ROCHEFOUCAULD Iquique-Rochefort avec 3050 t de nitrate coulé par 05°N 31°30W
05/03/17 DUPLEIX Tocopilla-Queenstown avec 3000t de salpêtre coulé par 01°10N 28°12W
11/03/17 HORNGARTH Montevideo-Plymouth avec blé coulé par 02°20S 26°W
21/03/17 CAMBRONNE capturé par 20°10 S et 25°50 W. Tous les prisonniers (300 environ) ont été transférés sur ce navire et conduits à Rio de Janeiro. La cargaison de salpêtre du CAMBRONNE a été avariée en jetant dans les cales des dizaines de tonnes d’eau. Les mâts ont été sciés à un mètre au dessus du chouque, en deux endroits différents, sur un tiers de l’épaisseur. Les dromes ont été coupées, les volants dévergués et jetés à la mer ainsi que toutes les voiles en soute. »
Voici le dessin qui accompagne cette note

Je replace à la suite de cette note tous les renseignements déjà fournis sur le SEEADLER à la fiche CHARLES GOUNOD.
Le SEEADLER (aigle des mers) dissimulé sous le nom de NORGE, était en fait un trois-mâts franc américain, le PASS OF BALMAHA, que les Allemands avaient capturé au début de la guerre.
C’était d’ailleurs au moment où les Anglais l’avaient arraisonné et le conduisait au port de Kirkwall, dans les Orcades, pour en vérifier la cargaison (du coton destiné à Arkangelsk).
Il avait été transformé en croiseur auxiliaire à Geestermünde. On l’avait doté d’un moteur diesel de mille chevaux, lui donnant une vitesse de dix nœuds et l’on avait embarqué pour deux années d’approvisionnements.
On l'avait armé avec deux canons de 105 sur Td et Bd avant, deux mitrailleuses installées d'ordinaire sur la dunette et le gaillard, mais que l'on pouvait déplacer, de nombreux fusils Mauser et des pistolet "parabellum". Des pavois à charnières basculaient pour dévoiler les canons. Il y avait aussi des grenades à mains et des mines fumigènes.
L’entrepont était aménagé pour recevoir 400 prisonniers. 64 hommes constituaient l’équipage. Déguisé en bâtiment de commerce neutre, il ne fallait aucune fausse note susceptible d’éveiller le doute chez l’adversaire. C’est pourquoi un marin allemand, que ses camarades avaient surnommé Jeannette, se promenait sur le pont à la vue de tout le monde, travesti en femme et portant une ombrelle, quand on approchait d'un adversaire, tandis que les hommes armés, tapis derrière les bastingages, étaient parés pour l’abordage.
Si l’ennemi avait des velléités de résistance, des mégaphones annonçaient le torpillage imminent, alors que le SEEADLER n’avait ni tube lance-torpilles, ni torpilles.
Voici le SEEADLER (tableau de Willy Stöwer, 1925)

Et voici le commandant Felix von Lückner

Von Lückner fut un marin tout à fait atypique. Formé sur les grands voiliers du début du siècle, notamment sur l’Anglais Pinmore qu’il coula, la mort dans l’âme, le 19 Février 1917, il se résolut à mener une guerre « propre ».
Il avait confié à son second et ami privilégié, Friedrich Lüdemann, après avoir coulé le cargo LUNDY ISLAND :
« Je crois que je suis en train de réussir notre pari : faire la guerre sans nous salir les mains »
Comme Lüdemann lui faisait remarquer que beaucoup d’Allemands souffraient de cette guerre, au moins autant que leurs adversaires, il avait répondu :
« Retenez bien ceci Lüdemann : nous n’avons pas su défendre autrement que par les armes notre bonheur sur cette terre. Un peuple qui cautionne ses chefs est aussi coupable qu’eux des horreurs qu’ils dispensent. Sur ce navire, nous ne sommes plus en train de faire la guerre, mais d’essayer de reconstruire l’avenir ».
Ce corsaire avait quelque chose de visionnaire dans son appréhension de l’avenir et de l'Histoire.
Sur le SEEADLER, équipage et prisonniers vécurent en bonne harmonie. La liberté de déplacement était totale, sauf lorsqu'une nouvelle victime approchait. Beaucoup de marins avaient retrouvé des camarades prisonniers comme eux. Les officiers pouvaient se réunir dans leurs cabines ou le logement commun qui leur était affecté.
Les officiers anglais, en particulier, discutaient facilement avec les Allemands tandis que les marins fréquentaient volontiers les bordées allemandes qui étaient au repos. Le soir, on jouait ensemble de la musique...
Enfin, les marins qui travaillèrent sur le SEEADLER (car il fallait assurer le fonctionnement d'un navire transportant à la fin de l'odyssée plus de 300 hommes) furent rémunérés sur la base des salaires versés par leur compagnie.
Voici un cliché montrant corsaires et prisonniers en bonne harmonie sur le pont du SEEADLER

Plus tard, le SEEADLER s’échoua sur un atoll perdu du Pacifique et von Lückner fut prisonnier des Néo-Zélandais. Libéré mi-Mars 1919, il rentra dans sa ville de Halle et put même revoir son père, âgé de 95 ans, qui mourut quelques semaines plus tard.
Toujours fidèle à sa patrie, il s’occupa alors de l’instruction des cadets de la nouvelle marine et navigua sur le voilier école NIOBE.
Nommé capitaine de corvette en 1922, il démissionna pourtant et, s’étant marié avec une jeune suédoise, il se rendit aux Etats-Unis où il demeura plusieurs années.
En 1933, il s’opposa ouvertement, par des conférences publiques, au national socialisme. Sa tête fut mise à prix . La gestapo le considéra comme un traitre et sa condamnation à mort fut proclamée par le führer en 1939. Il s’installa alors aux Etats-Unis puis, en 1950 et définitivement, à Malmö, en Suède. Il est décédé le 13 Avril 1966.
Cdlt
Olivier