Bonjour à tous,
Quelques CP d'ESPAGNE
Rencontre avec un sous-marin le 3 Septembre 1918
Rapport du capitaine A. PAOLI
Quitté La Plata le 8 Août avec un chargement de viande congelée à destination de Marseille. Fait escale du 25 au 29 Août dans le port de Dakar pour y charbonner. Repris la mer le 29 à 18h00 avec des instructions me prescrivant, pour gagner le détroit de Gibraltar de longer les côtes de Mauritanie et du Maroc à faible distance.
Le 3 Septembre à 21h00, me trouvant à 31 milles dans l’Ouest de Casablanca et à 5 milles de terre, l’officier de quart, Monsieur Silva aperçut sur tribord avant, par nuit noire et ciel étoilé, un vapeur qu’il évita en faisant « A gauche toute ». A peine était-il revenu à notre route qui était le N55E, que cet officier et l’homme de vigie Di Praia donnaient l’alerte en criant « Sous-marin droit devant ». Je bondis sur la passerelle que je venais de quitter une minute avant et où Monsieur Silva, qui ne touchait pas à la barre, me dit son intention de courir sur le sous-marin.
Je ne partageai pas cet avis et ordonnai « A droite toute » en même temps que la machine était prévenu par le signal conventionnel au télégraphe de tourner à son maximum. Je renonçai à courir sur le sous-marin car mon navire, très lent à la barre, ne pouvait se permettre d’atteindre un sous-marin rapide qui, tout en nous envoyant une torpille ou une bordée de ses pièces, était manœuvré pour éviter notre étrave. Je renonçai à le suivre parce qu’il me parut plus éloigné que ne le supposait l’officier de quart. Il m’était impossible, en arrivant sur la passerelle, de me convaincre en quelques secondes que ce navire bas et sans feux se trouvant devant nous était un sous-marin.
Alerté, l’équipage et le personnel de l’équipe volante embarqué à Dakar coururent à leur poste de combat. Notre évolution de virement sur tribord nous permit bientôt de mieux distinguer les formes de notre ennemi et de juger qu’il passerait à 500 ou 600m sur bâbord. Il nous parut de forme basse et allongée avec une faible lueur dans son kiosque et des étincelles s’échappant d’un tube qui rougeoyait. Quand nous l’eûmes par 100° bâbord, la brise qui venait de cette direction nous apporta une faible odeur de pétrole brûlé. Plus de doute à conserver sur la nature de ce navire : c’était un sous-marin et il fallait en prévenir l’attaque, ou tout au moins la troubler en attaquant nous-mêmes.
Pendant que l’équipe volante chargeait les canons de 75 mm placés sur le pont avant, Monsieur Silva donnait les instructions de pointage et le sous-marin, quand ces dispositions furent terminées, se trouvait à 10° environ sur l’arrière de notre travers. Monsieur l’EV 1 Deprez, chef de l’équipe volante vint sur la passerelle et prit la direction du tir. Le premier coup de canon partit aussitôt et nous redressâmes la barre pour permettre le réglage du tir. En effet, les canons de l’équipe, placés tous les quatre sur l’avant de la passerelle, ne battaient qu’un angle de 40° à partir de l’avant.
Au 2e coup de 75 mm, qui suivit rapidement, le sous-marin montra un éclat de son fanal Scott. Au 3e coup, les éclats se succédant nombreux, je fis cesser le feu par crainte d’une erreur tragique. Dans le Sud, les éclats d’un autre fanal Scott répondirent à ceux du sous-marin et il fut échangé entre les deux navires quelques mots que nous ne pûmes interpréter.
Nous reprîmes notre route, nous demandant si nous avions eu affaire à des Français ou à un sous-marin usant de quelque stratagème.
A notre premier coup de canon, le radiotélégraphiste, ayant la position du navire, avait lancé le signal de détresse. Il était 21h45 GMT. Casablanca capta le signal et à 21h48 un navire ayant l’indicatif NDK, sans doute un patrouilleur, lança le signal « Annulez SOS ». Le lendemain, à Gibraltar, nous apprîmes par l’officier de liaison qui avait reçu un câblogramme de Casablanca, que nous avions tiré sur le sous-marin français DUPUY DE LOME.
Je me réjouis très vivement du résultat inefficace de notre tir qui, on doit en tenir compte, ne faisait que commencer. Il n’en est pas moins vrai que si le sous-marin avait été boche, il nous eut peut être échappé grâce à l’obscurité. Cette dernière empêchera toujours de discerner séance tenante, alors que les secondes ont tant de valeur, la nature du navire aperçu et sa distance.
Avec l’assentiment de mes collègues, j’ai proposé fin Décembre 2017 à la DGSM de doter les navires de fusées éclairantes et de pistolets automatiques que je destinais dans ma pensée à éclairer les sauvetages de nuit après torpillage. La principale raison qui fit écarter le projet fut que la lumière éclairant le navire torpillé éclairait le convoi. Sans entrer dans des développements qui ne sont pas de mise dans ce rapport, je persiste à croire que l’obscurité est uniquement favorable aux sous-marins. Ces derniers, qui attaquent en surface ou en demi-plongée, se risqueraient moins à nous approcher sachant que nous pouvons, au moyen d’une fusée lancée dans leur direction, les éclairer et concentrer immédiatement sur eux le tir du navire ou du convoi. La raison qui a fait écarter le projet eut dû, à elle seule, le faire accepter.
Je me plais à signaler qu’en cette alerte, mon équipage et le personnel de l’équipe volante ont fait preuve de calme et que tous ont été très rapidement à leur poste de combat. Entre le moment de cette mise au poste et le premier coup de canon il s’est écoulé le temps que le navire a mis pour évoluer de 100° sur tribord.
J’appelle spécialement votre attention sur l’officier de quart, Monsieur SILVA, qui mérite des éloges pour sa vigilance, la rapidité de son jugement et son esprit de décision.
Note sur l’EV1 DEPREZ, chef de l’équipe spéciale
Cet officier avait le 1er Juillet 1917 succédé sur le trois-mâts JEAN (ex-NORMANDY) à l’enseigne Trinité-Schillemans, tué au combat. Il avait pris le commandement de la 3e équipe spéciale. Le 14 Juillet 1917, il avait été attaqué par un sous-marin à 4 milles d’Aurigny. Le récit de ce combat figure dans « Marins à la bataille » de Paul Chack.
Voir aussi ce lien
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Edouard DEPREZ avait alors été cité à l’Ordre de l’Armée « Pour les qualités de commandement très réelles, le sang froid et l’énergie dont il a fait preuve lors d’une attaque de son navire par un sous-marin ».
(Bien sûr, il n’y aura aucune récompense pour l’attaque du DUPUY DE LOME)
Edouard Deprez, devenu Capitaine de Frégate puis Capitaine de Vaisseau aura une brillante carrière lors de la 2e guerre mondiale et participera notamment à l’expédition de Narvik en 1940 comme commandant du contre-torpilleur LE MALIN, et au débarquement de Juin 1944 comme commandant du MONTCALM.
Il est décédé le 28 Août 1956.
(Source : Ecole Navale traditions)
Le sous-marin rencontré
Voici le DUPUY DE LOME
- Tel que l’ont vu les hommes d’Espagne
- Après sa refonte de 1923 à La Seyne sur Mer

Ce sous-marin fut retiré du service en 1935 et démoli en 1938. Notons que cette rencontre avec ESPAGNE n’était pas sa première mésaventure. Affecté à la Division Navale du Maroc et basé à Gibraltar il avait ouvert le feu le 31 Mars 1917 sur un rassemblement d’indigènes à l’Oued Arksis, sans doute par erreur. En Juin 1917, il avait été attaqué par méprise et endommagé par une vedette anglaise en plein milieu du détroit. Bref c’était un habitué…
Cdlt