Bonjour à tous,
Un complément sur le torpillage de ce navire
Rapport du capitaine
Quitté Londres pour Nantes avec 716 tonnes de divers le 19 Mars 1918 à 16h00. Arraisonné à South End (Tamise) et reçu instructions de route de l’officier patrouilleur de garde. J’ai demandé à passer par Boulogne, cette route me paraissant plus sûre car trois navires venaient d’être torpillés dans les parages de Sainte Catherine. L’officier me répond que seuls les navires allant sur Calais ou Dunkerque prennent cette route. Ceux allant à Brest doivent passer par Penzance et suivre la côte anglaise au plus près le jour et pendant la nuit lunaire. Au coucher de la lune, s’éloigner de la côte et prendre des routes passant entre 5 et 7 milles des pointes et couper d’un cap à l’autre. Au lever du jour, rallier la terre si l’on a parcouru moins de la moitié de la route séparant deux caps. Suivi ponctuellement toutes ces indications.
Débarqué le pilote le 20 à 12h30. Passé au sud de Royal Sovereign, à toucher Beachy Head, à toucher le ponton d’Owers. Brume et faible visibilité.
Doublé Sainte Catherine vers 03h00 le 20. Nuit noire, temps clair, horizon brumeux. A 04h30, ressenti une forte secousse. Les cales n’accusent pas d’eau et je pense avoir touché une épave.
A 04h45, je suis à 12 milles au S88W de Sainte Catherine quand le maître d’équipage crie « Un sous-marin sur bâbord arrière ». Je donne l’ordre « Barre toute à droite » quand la torpille nous frappe sur bâbord arrière, sous la dunette. Elle fait sauter toute cette dernière, avec le canon et le canonnier de veille. L’arbre porte hélice est faussé, la machine stoppe, le poste TSF est enlevé. Le navire apique de l’arrière et coule rapidement. Obligés de passer par la seule échelle restante sur bâbord, les hommes se portent presque tous au canot bâbord. Je donne l’ordre à certains de passer au canot tribord, mais il est trop tard. Le navire disparaît vite et va tout engloutir. Tous les hommes embarquent donc à bâbord et un marin seul file le garant arrière. Je me précipite et file le garant avant. Le canot touche alors l’eau sans incident. La passerelle est alors dans l’eau et je suis enlevé par une lame. Je suis recueilli par ce canot bâbord, très grand et pouvant contenir 35 personnes alors que nous ne sommes que 28. Mais il est endommagé et rempli d’eau. Cinq hommes seulement ont pu monter dans le canot tribord. Le navire a coulé en 4 minutes.
Un patrouilleur anglais arrivé sur les lieux du torpillage environ 20 minutes après l’explosion recueille l’équipage avec son canot. Il manque 5 hommes.
J’ai été torpillé par un sous-marin en surface que j’ai aperçu une minute avant l’explosion. Le patrouilleur anglais ne l’a pas aperçu.
Nous avons reçu les plus grands soins sur le navire sauveteur et avons été débarqués à Porsmouth. Rapatriés en France par Southampton et arrivés au Havre le 23 Mars à 18h00.
Rapport d’enquête
La commission d’enquête est présidée par le Lieutenant de Vaisseau de Cuverville et comprend le Lieutenant de Vaisseau AMBC André, le capitaine au cabotage Castel et l’Administrateur de 1ère classe Vincent.
(Nota : je ne sais si le LV de Cuverville a un lien de parenté avec l’amiral Jules Cavelier de Cuverville ( 1834-1912) et avec le LV Albert Cavelier de Cuverville -neveu du précédent- disparu en 1928 avec l’hydravion Latham 47 du Capitaine Guilbaud et de l’explorateur norvégien Roald Amundsen dans les parages de l’île de l’Ours.)
Ce rapport reprend dans les grandes lignes celui du capitaine. Il apporte quelques précisions sur les points suivants :
L’équipage, réveillé par l’explosion, s’est précipité sur le canot bâbord, sans tenir compte du rôle d’abandon.
Le capitaine a aidé lui-même à mettre à l’eau ce canot bâbord. Il contenait alors 18 hommes, dont le second capitaine qui le commandait. Précipité à la mer, le commandant a été recueilli par cette embarcation qui avait une large voie d’eau. Elle était balayée à chaque instant par les lames et deux hommes, le chauffeur Emile Augier, de Marennes, et le novice Léon Morgat, 17 ans, du Croisic, ont été emportés et n’ont pu être retrouvés.
Le maître d’équipage, le second mécanicien et 3 autres hommes ont mis à l’eau le canot tribord et y ont pris place. Le maître d’équipage a pris le commandement de ce canot et est resté sur les lieux. Il a alors récupéré le chauffeur Lemoigne, blessé et réfugié sur le seul radeau du bord. Environ une demi-heure plus tard, il a retrouvé le canot bâbord et a pris à son bord le capitaine, le 2e capitaine et le TSF.
Le chef mécanicien était couché au moment de l’explosion. Aussitôt monté sur le pont, il a constaté l’impossibilité de descendre à la machine. Tombé à l’eau, il a nagé un certain temps et a été recueilli sans connaissance par le canot bâbord. Il a été hospitalisé pendant 6 jours à Porsmouth pour bronchite et dépression générale.
Le second mécanicien était de quart dans la machine qui a été aussitôt envahie par l’eau par la porte du tunnel non fermée. La machine, qui tournait à 97 t/mn, a stoppé d’elle-même. Le second mécanicien a fait évacuer les chauffeurs de quart et a réussi à atteindre le canot tribord qui était son poste d’abandon.
Le TSF était de quart dans le poste radio. Par suite du choc, tous les appareils ont été brisés : gigger, self d’antenne, tableaux de charge tombés sur le sol. Ne pouvant envoyer aucun message, le TSF est sorti sur le pont qui était déjà sous l’eau. Il est parti à la nage. Il a été recueilli par le canot tribord.
Le chauffeur Lemoigne était couché dans le poste des chauffeurs situé entre la dunette et le panneau 3. Couvert de débris de toutes sortes, blessé à la tête, il a réussi à s’échapper du poste et à s’agripper au radeau qui avait été projeté sur le panneau 3. Il a été recueilli par le canot tribord et est hospitalisé au Havre.
C’est le patrouilleur MAID OF HONOUR qui était dans les environs et qui, au bruit de l’explosion, s’est dirigé sur les lieux du sinistre et a recueilli l’équipage qu’il a débarqué à Porsmouth.
Cinq hommes ont disparu :
- Le canonnier Pontoizeau était de quart et veillait à sa pièce. Il a du être tué par l’explosion.
- Le 1er chauffeur Baudet était couché dans le poste. Sa couchette était au dessus de celle du chauffeur Lemoigne qui n’a entendu ni cri ni gémissement. Il a sans doute été tué sur le coup par les débris du poste.
- Le matelot Moyon était couché dans le poste avant. Il est sorti sur l’avant et, dans l’obscurité, s’est violemment heurté contre un treuil. Il a du perdre connaissance aussitôt et a disparu avec le navire.
- Le chauffeur Aubier et le novice Morgat ont malheureusement été enlevés par une lame alors qu’ils se trouvaient dans le canot bâbord.
Les survivants disent qu’AZEMMOUR a coulé 2 à 3 minutes après l’explosion de la torpille.
Rapport de l’officier AMBC
Chef de section QM canonnier JEHANNO Jean
Canonnier breveté PONTOIZEAU Emile
Aide canonnier THIBAUD Joseph
Servant RABALLAND Pierre
Le 20 Mars vers 04h40 l’officier de quart donne l’alerte car il vient d’apercevoir à 200 m sur l’arrière du travers un sous-marin en surface. La manœuvre « A droite toute » ne peut éviter que la torpille ne frappe le navire sur bâbord quelques secondes plus tard. Le canonnier Pontoizeau, dont la bonne veille venait d’être contrôlée a été surpris au moment où il s’apprêtait à ouvrir le feu et a disparu. Sa pièce était chargée et a été renversée par l’explosion.
Conclusions de la Commission d’enquête
Le capitaine a suivi les instructions en naviguant en zigzags et tous feux éteints. Veille réglementaire et vigilante, d’autant plus qu’un choc violent, 15 minutes avant l’attaque, avait attiré l’attention du chef de quart. Epave, torpille manquée, ou sous-marin lui-même surpris sur sa route et qui aura alors émergé en surface pour lancer sa torpille ? Toutes ces explications sont plausibles. Quoi qu’il en soit, l’offensive de l’ennemi fut rapide et sans possibilité de s’y opposer.
La porte du tunnel était restée ouverte ce qui a été vivement reproché au 2e mécanicien de quart et au chef mécanicien responsable. Le navire ne pouvait que couler et le capitaine ne pouvait que songer au sauvetage de son équipage.
Mais l’évacuation fut défectueuse, faute de direction et de commandement. Le commandant a quitté la passerelle sans donner d’ordres et sans signal au sifflet. L’équipage s’est porté presque en totalité sur le canot bâbord. L’encombrement de cette embarcation n’a pas été étranger à la perte de deux hommes enlevés par une lame.
Mais le capitaine a fait preuve d’esprit de devoir en s’efforçant de sauver son personnel et en prenant toutes les dispositions pour la destruction des instructions confidentielles.
C’était son premier commandement et dans les reproches qu’elle lui adresse sur l’évacuation défectueuse, la Commission tient compte de ce fait et aussi des difficultés réelles auxquelles il a du faire face en quelques minutes. Elle tient compte d’une initiation toute récente au maniement des hommes et aux charges de l’autorité. Elle estime ses qualités de mer suffisantes pour lui conserver sa faculté de commander.
Elle ne propose ni sanctions, ni récompenses, sauf un Témoignage de Satisfaction pour le maître d’équipage.
(Nota : Je ne sais si le maître d’équipage et le capitaine, qui portent le même nom, était parents…)
Récompenses
Citation à l’Ordre du Régiment
PONTOIZEAU Emile Canonnier Ile d’Yeu
Tué à son poste de combat au cours d’une rencontre avec un sous-marin ennemi.
Témoignage Officiel de Satisfaction
GUILLAUME Ernest Maître d’équipage Belle Ile
A contribué avec activité et dévouement au sauvetage de l’équipage de son bâtiment coulé par l’ennemi.
Le sous-marin attaquant
C’était donc l’UB 59 du KL s/z Erwin WASSNER.
Il avait reçu la Croix « Pour le Mérite » 15 jours auparavant. Il est décédé en 1937.
Voici la silhouette du sous-marin dessinée par le capitaine Guillaume.
Lettre de la Cie Gle Transatlantique au Ministre de la Marine Avril 1918
Monsieur le Ministre,
Notre vapeur AZEMMOUR a été attaqué et coulé à la torpille le 20 Mars dernier à 51 milles au large de l’île de Wight.
Il semble ressortir du rapport de notre capitaine qu’au cours de cet accident tout le monde à bord du navire a accompli son devoir sans la moindre panique. C’est grâce à cet esprit de discipline que nous n’avons à déplorer que la perte de cinq hommes.
Dans ces conditions, nous vous serions très obligés de bien vouloir nous communiquer les conclusions de l’Administration Maritime sur cet incident.
Cdlt