Bonjour à tous
Retrouvé dans les archives nationales de GB (série ADM 137-3988), cette lettre du Cdt Robert écrite le lendemain de son combat au canon avec deux sous-marins. Le texte en est parfois un peu décousu mais écrit quelques heures après cette chaude échauffourée, on imagine que le brave homme n'avait sans doute pas à l'esprit de faire oeuvre littéraire
Voici donc reproduit in extenso le rapport qu'il adresse au commandement du quartier de La Rochelle.
Cie Générale Transatlantique
LE GARD
La Pallice le 6 Mai 1917
L’Enseigne de Vaisseau auxilliaire ROBERT Etienne,
Commandant Le Gard
A
Mr le Capitaine de Vaisseau Commandant de la Marine à La Rochelle
Commandant,
J’ai l’honneur de vous faire connaître que parti de Nantes le 4 Mai à destination de Casablanca, mon navire a été attaqué le 5 mai à 5 h 25 par deux sous-marins. A ce moment, le navire faisait route selon les indications données par la Police de la Navigation à St Nazaire.
Au moment de l’attaque, le navire se trouvait par 46°14’N et 3°44’O, la route vraie suivie étant le S38O (
P.T. ?), mer belle, jolie brise d’E. Dès que le 1er s/m a été signalé, j’ai fait faire le branle bas de combat et 3 minutes après, chacun était à son poste. Au 1er coup de canon du s/m j’ai fait commencer le feu. Apercevant en même temps un 2e s/m de couleur plus claire arrivant vers nous à 1 quart environ sur Bd du premier, j’ai fait alors jeter à la mer 7 fumigènes Berger pour essayer de maintenir ce 2e s/m dans la fumée.
Au 2e coup du premier, le grand-mât est traversé et la TSF coupée en 5 morceaux. Au 7e coup, la claire-voie de la machine est traversée, de nombreux éclats crèvent nos life-boats, crèvent un tuyau de pression, endommagent le gros collecteur de vapeur et celui de la barre. Le même coup tue le chauffeur Malcoste, blesse grièvement le chauffeur Herledan et légèrement, le chef mécanicien et le 2e mécanicien. Puis les coups se succèdent sans interruption, environ une trentaine, un autre coup coupe les haubans de Td AR, défonçant un radeau de sauvetage et criblant le pont et le grand mât d’éclats. Je manœuvre de façon à mettre le 2e s/m dans la fumée et à tenir le premier par l’AR. Un coup du 2e s/m nous atteint par le travers de la passerelle, au-dessous de la flottaison. De nombreux éclats criblent la passerelle et blessent le timonier Grenier qui ne bouge pas de son poste. A ce moment je fais route à l’ouest, le 1er s/m ne voulant pas entrer dans la fumée des fumigènes, vient sur Td, nous montre le travers et tire avec ses 2 pièces.
A 5 h 35, au 14e coup de canon tiré par le Gard, nous l’atteignons en plein à 4200 mètres ; aussitôt nous apercevons nettement une flamme verticale s’élever à environ 20 mètres, une fumée noire très différente de la fumée des fumigènes, s’élever en bouquet ; puis le s/m apique par l’AR, le nez en l’air, avec rapidité ; nous avions tiré 15 coups de canon sur ce 1er s/m. A ce moment, m’apercevant que le GARD apique rapidement de l’AV par suite de l’eau qui envahit la cale n° 2, je viens sur Bd, cap au S puis au SE, mettant ainsi le 2e s/m dans la panne de fumée et tâchant tout en évitant, de rallier la terre.
A 6 h. le 2e s/m qui a assisté à la perte de son matelot et a dû faire cap au S sort de la panne et nous donne la chasse à toute vitesse en tirant un coup de canon auquel nous répondons d’ailleurs aussitôt ; mais notre pièce de 90 AR ne revient pas en batterie, je ne peux me servir du canon AV, ne voulant pas présenter le flanc au s/m. Je donne les ordres à la machine pour faire l’impossible et fais allumer les fumigènes Verdier mais ceux-ci fonctionnent mal, gênant considérablement les canonniers qui, à l’aide d’un palan, remettent la pièce en batterie. La chasse continue toujours, le s/m nous gagne, le navire très gèné par la voie d’eau (la cale n° 2 et les soutes sont pleines), n’est plus dans sa ligne, l’eau est aux écubiers, il gouverne mal mais file cependant 11 n.
A 7 h 40, le combat recommence, nous répondons coup pour coup, le frein fontionne mal mais en poussant la pièce à la main, elle revient en batterie ; nous envoyons 8 coups bien encadrés qui obligent le s/m à cesser le tir et à abandonner le combat.
A 8 h., cessez le feu, à 7800 mètres, le s/m qui avait viré de bord à 9 h. disparaît à l’horizon par 46°02’N et 03°20’O
A 7 h 15 la TSF venant d’être réparée, je lance des appels qui sont entendus et répétés par les postes de Lorient, Rochefort et Le Bouscat qui lancent des appels à tous. J’envoie plus tard d’autres appels de secours chiffrés, de façon à ne pas éveiller l’attention du s/m. Depuis 6 heures, je fais route au S66E vrai et à 14 heures j’ai pris la route à l’E vrai pour me diriger sur Cordouan et j’aperçois la fumée du Sans-Souci. A 14 h 30, elle nous approche et nous donne l’ordre de la suivre à La Pallice où nous avons mouillé à 20 h 15 par nos propres moyens.
Pendant le combat, tous les hommes avec un sang-froid et une discipline admirables, réparent la TSF et les embarcations, tout cela sous la mitraille. Un jeune matelot, Berlivet, au mépris de tout danger monte en tête du grand-mât très avarié, dégager les antennes. Le personnel de la machine s’emploie avec activité à fermer les portes de soutes et à étaler l’eau dans la chaufferie ; l’eau est cependant rendue au cendrier, la cale n°1 monte à son tour ; le maître d’équipage bouche les trous de la cloison avec du bois.
Commandant, j’ai à vous signaler tout particulièrement la belle conduite de quelques membres de l’équipage :
M. BERCEGER Fernand, 2° Capitaine n°372, St Nazaire, ex canonnier de l’Etat, chef de tir qui, sans télémètre ni râteau a conduit son tir avec une précision remarquable.
Le NAOUR Isidore, Lieutenant n° 23 CC. Agent de liaison dirige sous la mitraille la réparation des life boats et de la TSF.
Le GUAY Henri, chef mécanicien, n°4071 Le Havre qui avec un sang-froid remarquable entraîne ses hommes dans l’eau jusqu’au ventre, fait fermer les portes de soute, active la chauffe et ordonne l’épuisement
Le HUEDE Pierre, 3e mécanicien n° 3751 SM qui s’occupe de la machine et des auxilliaires malgré la vapeur qui envahit le compartiment, répare les tuyaux avariés avec l’aide de :
IZAGUARD Jean, 2e mécanicien n° 3232 SN.
BOIZARD Charles opérateur Marconi TSF n° 14534 SB qui après avoir été à la réparation des antennes ne bouge plus de son poste jusqu’aux secours.
Tout particulièrement :
MALCOSTE Pierre, chauffeur n° 8819 L tué par des éclats d’obus au moment où il montait tourner les manches d’aération de la chaufferie.
HERLEDAN Emmanuel 1er chauffeur n° 3315 CC blessé grièvement par un éclat d’obus étant à son poste sur les grillages dans la machine.
LEFEUVRE Gabriel Q/M canonnier-pointeur du 90 AR n° 21455-3 visant avec calme et précision, et les servants :
GOURLAOUEN Ernest, fusilier breveté n° 18159-3 et
DANIEL Pierre canonnier breveté n° 4546-DO (blessés pendant le combat) , tous trois remarquables par leur sang-froid et leur énergie et enfin :
NICOLAS François, Maïtre d’équipage n° 940 SN qui monte les approvisionnements de la pièce AV et aidé du matelot
GUITTARD Antoine, n°1262 SN et du charpentier FAURE André, inscrit provisoire, blessé à la main, répare les antennes et les embarcations.
BERLIVET Eugène, Matelot n° 64 Brest qui après avoir été pourvoyeur AR monte en tête de mât dégager le sans fil.
CLAQUIN François, 1er chauffeur n° 3903 SN et
BESCOND Joseph, 1er chauffeur n° 3703 SN qui conduisent et activent la chauffe avec énergie
KERSAUDY Marc chauffeur n° 1579 Aud. Qui plonge à plusieurs reprises dans la fosse pour dégager le charbon qui empêche de refermer les portes de soutes
MERCIER Frédéric, restaurateur, n° 150 attaché à SN et
PAGEAUD Alfred, Maître d’hôtel n° 4538 attaché à Auray, qui sont pourvoyeurs de piève AR et s’improvisent infirmiers.
En résumé Commandant, je suis heureux de vous signaler que chacun a fait courageusement son devoir sans aucune défaillance.
Veuillez agréer Commandant l’assurance de mes sentiments respectueux et dévoués.
Le Capitaine du Gard
Signé Etienne ROBERT
Il ne reste plus qu'à retrouver quels étaient les sous-marins impliqués dans cette affaire.
Cdlt
Yves