GRANDE DUCHESSE OLGA
(SAGITTA)
Lancé le 2 Juillet 1898 aux chantiers Dubigeon, le GRANDE DUCHESSE OLGA appartenait à la Société des Armateurs Nantais, créée en 1897. C’était un trois-mâts barque en acier de 2600 tx. En cette fin de siècle, la France était toute à l’amitié franco-russe, et c’est pourquoi il prit le nom de la fille ainée du tsar, héritière du trône jusqu’à la naissance de son frère, le tsarévitch Alexis.
Il était le premier d’une série de sept navires : NORMANDIE, BRETAGNE, ANJOU, TOURAINE, VENDEE, GRANDE DUCHESSE OLGA et EMPEREUR MENELIK.
Mais le GRANDE DUCHESSE OLGA n’était guère un navire chanceux. Pris au neuvage par le capitaine Mahéo, son premier voyage se déroula sans encombre. Lors de la seconde campagne, en 1900, il effectua la traversée Anvers – San Francisco en 137 jours. Quittant San Francisco en Avril, il démâta de sa misaine et de son mât de grand perroquet dans le Pacifique sud et n’atteignit Tahiti qu’en Août. Le capitaine Mahéo dut aller chercher des mâts de rechange en Nouvelle Zélande, sur le vapeur FAVININI, et ne quitta finalement Papeete qu’en Janvier 1901, après plus de quatre mois d’escale.
En Mai 1904 le navire est réarmé à Liverpool avec un équipage réduit et ramené en remorque jusqu’à Nantes-Saint Nazaire.

Voici la composition de cet équipage réduit chargé de ramener le voilier.
Nom Prénom Fonction né le à Inscrit Domicile
GURIEC Achille Capitaine 02/02/1873 Penestin Le Croisic Penestin
LALEXANDRE Joseph Second 01/04/1876 Baden Auray Larmor Baden
PUREN François Maitre 01/04/1876 Locmariaquer Auray Locmariaquer
PHILIPPE Dominique Matelot 09/09/1879 Treveneuc Binic Portrieux
OSPITAL Salvat Matelot 02/02/1885 Bidart Bayonne St Jean de Luz
FRIBAULT Louis Matelot 06/12/1875 St Rémy en Mauges Nantes Nantes
KERNAONET Louis Matelot 21/03/1880 Plourivo Paimpol Plourivo
LECUYER Jean-François Matelot 27/05/1878 Trégomeu Saint Brieuc Trégomeu
BELHOMME Joseph Matelot 14/02/1875 Auray Nantes Nantes
HELLEC Armel Matelot 09/04/1885 Plouharnel Auray Auray
ALEXIS-MONTROZIER Jean-Baptiste 06/05/1880 St Pierre Martinique FdF Fort de France
REMOND Théodore Novice 10/03/1887 Louannec Lannion Perros Guirec
BICHON Georges Mousse 22/12/1888 Pornic Nantes Pornic
Parmi eux, on trouve donc un mousse de 15 ans, Georges Bichon, futur commandant à la Société Navale de l’Ouest et dont c’est le premier embarquement. Mais c’est sa deuxième apparition sur un rôle d’équipage, car il naviguait depuis l’âge de 14 ans sur le lougre UNION, appartenant à son père.

A la fin du rôle on trouve le contrat d’engagement typique des contrats de l’époque. Il est fort intéressant à lire :
« L’équipage s’engage à embarquer sur le navire GRANDE DUCHESSE OLGA à ,Birkenhead (Liverpool), la conduite jusqu’à ce port étant payée par la Société des Armateurs Nantais, et à ramener le navire, en remorque, à Saint Nazaire, à quai.
Le mécanicien fera le quart et aidera au lavage du pont à la volonté du capitaine.
La ration, d’une façon générale, sera celle de l’Etat, ou l’équivalent.
Il sera accordé 4 centilitres d’eau de vie pour le déjeuner. La goutte du lavage est faculative, selon vouloir du capitaine.
L’équipage contracte l’obligation de contribuer, au prorata de la solde, à tous frais de procès-verbaux de douane ou d’amendes encourues à bord pour fait de contrebande ou de contravention aux réglements des ports, si le coupable n’est pas découvert.
Les matelots toucheront dix francs d’avance.
Le novice touchera cinq francs d’avance.
Le mousse touchera trois francs d’avance.
Chaque matelot touchera la somme forfaitaire de vingt cinq francs pour ramener le navire à Saint-Nazaire si la durée du voyage à compter de l’heure du départ de Nantes ne dépasse pas six jours pleins.
Dans le cas contraire, il leur sera alloué une somme de trois francs par jour à compter du 7e jour et jusqu’au débarquement. Le mécanicien est embarqué dans les mêmes conditions.
Le novice touchera la somme de dix francs plus un franc et quarante centimes par jour à partir du 7e jour.
Le mousse touchera sept francs cinquante centimes plus un franc par jour à partir du 7e jour.
Les gages commenceront à courir comme dit ci-dessus, du jour du départ de Nantes.
Il sera alloué en plus une somme d’un franc et cinquante centimes par homme pour frais de retour à Nantes. »
Fait à Nantes le 4 Mai 1904
Le mousse aura donc gagné dix francs et cinquante centimes en dix jour d’embarquement. Il rembarquera ultérieurement sur le GRANDE DUCHESSE OLGA.
Bien sûr, tous les marins apposent leur signature sur le contrat. Pour le petit mousse, c'était le début d'une longue aventure.

Par la suite, le voilier continuera sa navigation sous les ordres des capitaines Hervé, puis Le Floch.
A noter que le capitaine Mahéo, qui l’avait pris au neuvage, disparut tragiquement avec le voilier TAMAYA alors qu’il se trouvait au mouillage de St Pierre de la Martinique lors de l’éruption de la montagne Pelée en Mai 1902.
Il sera finalement vendu en Juillet 1911 à un armateur norvégien et rebaptisé MOSVOLD. En 1915, il était à nouveau vendu à Christiansand et rebaptisé SAGITTA.
La perte du SAGITTA
C’est le consul de France à Christiansand qui envoie à Marine Paris le rapport suivant :
« J’ai l’honneur de porter à votre connaissance que le voilier SAGITTA, commandant Johannesen, armateur Stray de Christansand a été coulé le 2 Avril 1917 par 60°00 N et 02°00 E.
Le SAGITTA allait de Savannah à Kalunborg (Danemark) chargé de tourteaux de coton lorsque le 23 Janvier, par le travers des Shetlands il fut arrêté par un patrouilleur anglais et conduit à Lerwick par un équipage anglais d’escorte. Le 30 Mars seulement, le trois-mâts fut autorisé à continuer son voyage.
Le 2 Avril, par petite brise et mer houleuse le navire tirait des bords à 3 ou 4 nœuds lorsque vers 19h15 des coups de canons se firent entendre. Des obus éclatèrent au dessus du navire lui-même. Le commandant vit à 2 milles la silhouette indiscutable d’un sous-marin. Il n’a vu que le kiosque et la ligne très vague de la coque immergée et ne peut donc fournir aucun renseignement valable sur ce sous-marin.
L’équipage mit les embarcations à la mer et fit force de rame pour s’éloigner car les obus se succédaient, tombant près des canots. Le capitaine m’a déclaré - suit une longue phrase en norvégien que le consul traduit en gros par – « les Allemands visaient les canots et c’est un miracle que personne n’ait été tué ».
Le sous-marin continua à tirer pendant deux heures et finalement le SAGITTA sombra.
Le sous-marin ne s’approcha à aucun moment des embarcations de sauvetage et disparut dans la nuit.
L’équipage des deux canots resta 72 heures en mer. Ils abordèrent, exténués à Utsire et furent recueillis à Haugesund. Le capitaine est rentré ici hier.
Dès l’annonce du sinistre j’avais pris les mesures nécessaires pour être renseigné à la première heure et j’ai pu rencontrer le capitaine Johannesen grâce au fondé de pouvoir de l’armateur. Malheureusement, les circonstances ne permettent pas d’avoir des renseignements plus utiles.
Les procédés d’attaque des sous-marins allemands causent ici un impression considérable. Ils provoquent contre nos ennemis une antipathie et une haine qu’il est utile de constater, car elle peut avoir une répercution considérable sur notre opinion publique… »
Ce rapport appelle les commentaires suivants
Outre que l’on peut s’étonner de voir les Anglais retenir plus de deux mois un navire allié, on sent que ce brave consul se fait un peu « mousser ».
On ne peut que douter du tir volontaire sur les canots, car si cela avait été le cas, les marins n’auraient fort probablement pas été là pour le raconter .
De plus, le souci d’un bon coup de propagande apparaît évident.
Le sous-marin attaquant était l'U 78 du KL Otto DRÖSCHER.
Voici un tableau de Willy Störer montrant l'attaque d'un voilier norvégien par un sous-marin allemand.

Coincidence dûe aux hasards de l'Histoire, le 3 Avril 1917, lendemain du naufrage du SAGITTA, l'ancien mousse Georges Bichon, dont il avait été le premier navire, était à son tour torpillé. Il était alors second capitaine du SAINT SIMON...
Cdlt