Bonjour à tous,
Complément sur JEANNE CONSEIL. Rapport du capitaine
JEANNE CONSEIL. 2306 tx JB. Société Anonyme des Affréteurs Réunis.
35 hommes d’équipage
Après avoir complété un chargement de fûts de vin commencé à Alger, avons quitté Oran le Lundi 19 Novembre à 14h30. Navigué en convoi pour traverser la Méditerranée. Arrivé à la pointe Sabinal, reçu avis du commandant du convoi que, vu notre faible vitesse, il fallait me rendre seul à Gibraltar. Convoi parti, fait route le long de terre sans incident et mouillé en rade de Gibraltar le 21 vers 11h00.
Sorti de la baie vers 18h30, par temps brumeux et navigué au plus près de terre. Remonté en longeant les côtes du Portugal. Entre Saint Vincent et Finisterre, reçut par deux fois des avis de guerre de Gibraltar signalant « Sous-marin au large du Ferrol et de Bilbao. »
Doublé Finisterre le 25 à 11h00. Le fonctionnement de la machine laissant à désirer à l’aller comme au retour, pris l’avis du chef mécanicien. Monsieur Parey me répondit que le coussinet de haute pression lui donnait de l’inquiétude par les chocs qu’il donnait et que d’un moment à l’autre, comme à l’aller, on serait obligé de stopper. « S’il vient du mauvais temps, je serai très embêté », me dit-il. Or arrivé à Villano, il ventait fort du Nord et la mer devenait grosse.
Je consultai le chef mécanicien une seconde fois et voyant son peu d’assurance, plus la présence de sous-marins, je me demandai quoi faire ? Risque de sous-marins ? Proche de la côte par gros temps ? Ou large pour réparer les avaries ?
Je pris le choix du zigzag pour traverser le golfe, avec une vitesse de 5 nœuds… ! Et encore par beau temps. Fait route au Nord pour m’éloigner du Ferrol, puis à l’ENE, au NE et enfin au Nord pour atterrir sur Penmarch.
Le 26 Novembre à 06h00 ; le collier de l’excentrique a cassé, ainsi qu’un des boulons. Cette avarie nous a mis en panne pendant 15 heures. Les mécaniciens en ont profité pour installer des cales sur les coussinets.
J’étais à 30 milles dans l’Ouest de Belle Ile et il était 17h46 quand le canonnier de l’arrière a crié : "Une torpille vient de passer sur notre arrière ". Appelé aux postes de combat et donné l’ordre à chacun de mettre sa ceinture de sauvetage. Donné 4 coups de sifflet et donné l’ordre au chef d’augmenter la pression. Mis la barre moi-même à droite toute. Le navire commençait juste son abattée et tous les hommes n’avaient pas encore eu le temps de capeler leurs ceintures quand une 2e torpille a frappé JEANNE CONSEIL par le travers du panneau 3. Il était 17h50.
De la passerelle, j’ai crié d’amener les baleinières et un grand nombre s’est dirigé vers celle de tribord, et quelques uns vers celle de bâbord. Le navire plongeait rapidement de l’arrière et j’ai sauté pour larguer les palans du youyou. Quand je remontai sur la passerelle, le clapotement de l’eau était déjà à la hauteur du spardeck. J’ai donné un coup d’œil aux saisines du youyou puis me suis jeté à la mer. Quand je revins péniblement en surface, JEANNE CONSEIL avait disparu. Il s’était écoulé 40 secondes depuis l’explosion.
Une grande partie de l’équipage se tenait sur une baleinière renversée. Je dois citer le chauffeur Le Goffic qui, sans ceinture, fit des prodiges pour la redresser. Cet homme était de quart au moment du torpillage et s’est sauvé avec un maigre pantalon de toile et un tricot tout déchiré.
Le sous-marin est venu en surface et, depuis son gaillard, deux hommes ont demandé nom du bateau, tonnage, armé ou non. L’équipage demandait un seau pour vider l’eau de la baleinière. Comme le boche ne répondait pas, j’ai lâché le youyou et me suis diriger à la nage vers lui avec l’intention de l’apitoyer si possible sur notre sort. J’avais fait un bon bout de chemin quand je l’ai vu s’éloigner.
Je suis revenu vers la baleinière. Les hommes ont placé des madriers pour en faire un radeau. D’autres, qui avaient trouvé un baril de galère, l’ont défoncé et en ont fait une écope pour vider le youyou. N’en pouvant plus, je fus embarqué par eux. J’ai fait l’appel de tous et vu que nous étions 20 survivants. A notre avis, beaucoup avaient été saisis par le froid et frappés de congestion au moment du naufrage.
En nous dégageant des barriques et des débris, nous avons trouvé Herry, le 1er chauffeur, installé sur un léger radeau. Un des hommes du canot a dit : »Tiens, voilà Herry sur son auto » ! C’est dire quel était, malgré la situation, le moral des hommes.
Avec le radeau et le canot en remorque, j’ai donné la route en me guidant sur la lune. Deux ou trois heures plus tard, nous avons aperçu le balai du feu de Belle Ile.
Je suis heureux d’affirmer et de dire bien haut que, pendant les 22 heures passées dans cette situation, pas un homme n’a perdu courage. Les relèves pour le radeau, la baleinière et la nage dans le youyou se firent toujours avec bonne volonté.
Au nom de tous les survivants et en mon nom, j’adresse nos sincères et chaleureux remerciements au dirigeable CAPITAINE CAUSSIN et au patron et à l’équipage du chalutier GRONDIN qui nous ont sauvés.
Récompenses
Médaille d’Honneur en bronze
SAUNIER Charles CLC EV1 auxiliaire
Lors du torpillage de son bâtiment a conservé un sang froid digne d’éloge et fait tout ce qui était en son pouvoir pour porter secours à ses hommes.
LE GOFFIC Pierre Chauffeur Lannion 2792
Lors du torpillage de son bâtiment, a fait preuve d’une belle énergie en redressant dans des circonstances difficiles une embarcation chavirée.
Croix de Guerre avec étoile de bronze. Légion d’Honneur en Mars 1922
PAREY Charles
LECRIVAIN Léon
BARRANX Eugène
Disparus en mer le 28 Novembre 1917 au cours d’une attaque de leur bâtiment par l'ennemi
Médaille Militaire
Pour les 6 hommes disparus de l’équipage
Croix de guerre avec étoile de bronze
Pour les 5 hommes disparus de l’AMBC
Cdlt