Bonjour à tous,
SAUTERNES
Note du Préfet de Gironde au Ministre de la Marine 29 Mai 1917
Le 22 Mai 1917 à 11h30 du matin, à dix milles au large de Bayonne, la vigie du vapeur SAUTERNES de la Compagnie Worms aperçut à la surface de la mer un sillage. Quelques secondes après apparut sur la mer un point noir assez volumineux.
Ordre fut donné de tirer au canon dans la direction où était apparu l’objet suspect. 4 coups furent tirés sans qu’il fût possible de juger des résultats obtenus.
Les batteries du Boucau ouvrirent le feu à leur tour et tirèrent dans la même direction. Il n’a pas été possible de déterminer la nature de l’objet apparu à la surface de la mer.
Le sous-marin (si sous-marin il y a) n’est pas identifié.
Naufrage du 5 Août 1917.
Note envoyée de Madrid à Marine Paris
Le bruit circulait hier dans l’après midi que le SAUTERNES avait été coulé. Je suis allé aux renseignements à Hendaye où j’ai pu avoir confirmation du fait par le représentant à Pasages de la maison Worms, également venu aux renseignements.
Il résulte que le SAUTERNES a été torpillé hier Lundi vers 04h00 du matin à 7 ou 8 milles du Capbreton. Trois hommes de l’équipage manquent et le reste de l’équipage a été recueilli par les patrouilleurs et ramené à Saint Jean de Luz.
Un fait particulier est que le capitaine habituel du Sauternes, Monsieur Brin, se trouvait actuellement en congés et que son remplaçant, le capitaine Prigent a déjà été torpillé et a perdu il y a quelque temps le vapeur SAINT ELOI de la Société Denain-Anzin.
Je ne possède pas d’autres détails pour le moment et vous enverrai les renseignements complémentaires que j’aurai pu obtenir.
Signature illisible
Télégramme chiffré de Saint Jean de Luz à Marine Paris, BMCR Rochefort, La Rochelle, Bayonne et Bordeaux du 5 Août 1917
Fais connaître deux bâtiments ont été coulés.
Premier, nom inconnu, du convoi montant le 4 à 17h00 par torpille, à 60 milles S60W du cap Ferret, 6 survivants.
(Nota : il doit s’agir de l’Anglais COUNTESS OF MAR, 2234 t, traversée Bilbao-Cardiff)
Deuxième SAUTERNES, convoi descendant, à 03h00 le 5 à 12 milles, même relèvement. Trois hommes manquants.
Rapport du capitaine
Vapeur SAUTERNES 539 tx Immatriculé au Havre. Appartenant à la Cie Worms
Quitté Bordeaux le 4 Août avec un chargement de futs vides à destination de Pasages, panneaux bien condamnés, navire en parfait état de navigabilité. Quitté le quai à 07h00 et changé de pilote à Pauillac. Mouillé au Verdon à 12h15 pour attendre le convoi.
Appareillé à 15h00, n° 1 de la ligne de 9 navires, pilote du convoi à bord. Sortie de la passe du Matelier à 19h00. A 19h25 venu au S500 sur ordre du chef de convoi.
Beau temps, ciel nuageux, légère brise de NW, mer peu houleuse.
5 Juillet à 01h25, par le travers du cap Ferret. Beau clair de lune, ciel clair.
A 02h30, une forte explosion se produit sur tribord arrière, sur l’avant de la dunette.
L’arrière du vapeur s’enfonce instantanément et se trouve immergé jusqu’au spardeck. Je télégraphie à la machine de stopper et prend les dispositions de sauvetage.. Les deux embarcations sont amenées et l’équipage, muni de ceintures de sauvetage y prend place. Celle de bâbord est dans de bonnes conditions, mais celle de tribord se remplit d’eau et s’engage sous le pont arrière. Je me rends près d’elle et, l’ayant dégagée, j’y prends place après m’être assuré que l’équipage a quitté le navire. L’arrière s’enfonce rapidement et je fais déborder les embarcations en nous maintenant assez éloignés du bord pour me rendre compte de la situation et ne pas être entraîné par le remous.
A 02h50, le convoyeur DU COUEDIC nous recueille et le navire ne semble plus s’enfoncer. Je fais monter l’équipage sur le navire sauveteur et constate qu’il y a trois manquants. Je reste dans la baleinière avec le 2e capitaine, le 2e mécanicien, le maître d’équipage et le matelot Toulouse pour retourner à bord et tenter le sauvetage du navire et des manquants. Mais au moment où la baleinière approche, se produit l’explosion des chaudières. SAUTERNES se dresse verticalement et disparaît brusquement dans les flots. Il est 03h10.
Le navire disparu, après avoir exploré les épaves sans aucun résultat je me suis dirigé sur le convoyeur qui nous a recueillis.
Je signale le calme et la conduite de l’équipage pendant les opérations de sauvetage ainsi que la promptitude du convoyeur à nous porter secours. Je signale aussi la conduite et le sang froid du pilote de la flotte Bargain qui, craignant une autre attaque, s’est précipité sur la barre pour faire évoluer le navire et contribuer, avec le 2e capitaine à effectuer les opérations de sauvetage.
Remarques de l’officier enquêteur
Le SAUTERNES a très certainement été torpillé puisqu’un sous-marin était signalé dans les parages. Mais nul ne peut l’affirmer et il y a autant de raisons pour qu’il ait touché une mine. Le seul fait certain est qu’il a coulé et qu’il n’y avait malheureusement rien à faire pour le sauver.
Le capitaine a sauvé les instructions délivrées au départ du Verdon, le mot clé pour le mois d’Août, et le modèle de chiffrement et de déchiffrement des radios. Ces trois documents ont été remis à l’officier enquêteur et détruit par l’officier adjoint du commandant de la Marine à Bayonne.
Mais la question se pose à nouveau de l’intérêt qu’il y a à faire naviguer les convois de nuit ou de jour. La meilleure des veilles reste inefficace la nuit et peu efficace le jour contre un ennemi caché. Mais les possibilités favorables sont pour la veille de jour. Je ne défends pas une thèse personnelle mais une thèse soulevée avec raison à mon avis par certains long-courriers auxquels on pourrait reprocher de ne pas s’être suffisamment entendus entre eux pour faire valoir leur opinion mûrement réfléchie et discutée.
Nos patrouilleurs, peu nombreux et très fatigués par un service continu n’ont pas la vitesse voulue pour être de bons chiens de garde. Tout au plus peuvent-ils aider au sauvetage des équipages torpillés. C’est beaucoup, mais c’est le côté secondaire de la mission qui leur est confiée. Avec une route unique qu’ils surveilleraient de jour comme de nuit, les médiocres patrouilleurs que nous avons n’assureraient-ils pas une protection plus efficace à des navires armés circulant librement ? L’expérience seule pourrait solutionner cet intéressant problème.
Note du Chef du Personnel Militaire de la Flotte
A propos des récompenses, il y aurait inconvénient grave à citer à l’Ordre de l’Armée le canonnier Garniou, tué le 5 Août 1917. Il est probable que ce marin qui a été projeté en l’air au moment de l’explosion est tombé à la mer et n’a pas reparu. Il a été tué, mais ce n’est pas une certitude. Le corps n’ayant pas été retrouvé, aucun acte de décès n’a pu être établi. Le matelot Garniou doit donc être considéré comme disparu, droit qui cesse dès que le décès est constaté (corps retrouvé dans le cas en cause). Le motif de la citation serait donc "Disparu lors du torpillage de son bâtiment". Est-ce un motif suffisant pour une citation à l’Ordre de l’Armée ? J’estime que non.
Le motif de citation du canonnier auxiliaire Berteaud ne rentre pas plus que celui de Garniou dans le cadre fixé par la circulaire du 2 Décembre 1916.
La seule récompense à proposer au Ministre est la citation du Capitaine au Long Cours Prigent à l’Ordre du Régiment.
Récompenses
Citation à l’Ordre du Régiment
PRIGENT Louis Joseph CLC EV auxiliaire Auray 57
Pour les qualités d’énergie dont il a fait preuve lors du torpillage de son bâtiment. Avait déjà été victime d’un torpillage.
Signé : Amiral Salaun
Le sous-marin attaquant
C'était donc, comme pour le COUNTESS OF MAR, l'U 61 du Kptlt Victor DIECKMANN
Cdlt