Bonsoir Franck,
Bonsoir Yves,
Vous avez bien évidement raison tous les deux : pour les navires de guerre, le tonnage s'exprimait déjà à la fin du XIXe siècle en tonnes de déplacement.
Dans son Dictionnaire des transports maritimes et mixtes et des ventes maritimes (Éditions des Juris-classeurs, Paris, 1924, 630 p.), Pierre Bayard, avocat à la Cour d'appel d'Alger, définissait de la sorte le terme « Déplacement » :
« C'est le poids total du navire ; il s'exprime en tonneaux de 1.000 kilos et est égal au produit du volume de la carène immergée par la densité de l'eau de mer (1.026). Le déplacement varie évi-demment avec le chargement du navire ; aussi, dans la marine de commerce, il est très rare qu'on indique le déplacement du navire.
Pour les navires de guerre, au contraire, on donne toujours leur déplacement ; ainsi, quand on dit que la République déplace 14.865 tonnes, on entend que ce cuirassé pèse 14.865 tonnes de 1.000 kilos. Ce poids comprenant la coque, la cuirasse, l'artillerie, l'armement et les deux tiers de l'approvisionnement de charbon » (op. cit., p. 511, V° "Tonnage").
Les règles applicables aux navires marchands étaient fixées par le décret du 24 décembre 1872 modi-fiant le mode de jaugeage des navires de commerce prescrit par la loi du 12 nivôse an II (Bull. des lois, XIIe série, n° 116, p. 778), dont l'article 1er était ainsi rédigé : « Les navires de commerce seront jaugés d'après les méthodes appliquées en Angleterre en vertu du Bill du 10 août 1854. Les dimensions servant au calcul du tonnage seront exprimées en mètre et fractions décimales du mètre. / Leur produit sera divisé par deux mètres cubes quatre-vingt-trois centièmes. / Le nombre de tonneaux obtenus sera gravé au ciseau sur les faces, avant et arrières du maître bau.» Pour assurer l'égalité des conditions de concurrence entre les pavillons des deux nations, l'administration française s'est donc résignée à déter-miner le tonnage des navires de commerce français par référence à la méthode anglaise dite « Méthode Moorsom », selon laquelle un tonneau de jauge équivalait à 100 pieds cubes anglais, soit 2,83 mètres cubes. Ceci constitue assurément en Droit français un exemple unique d'application d'une loi anglaise par un acte réglementaire pris par le Président de la République, en la circonstance Adolphe Thiers !
Les opérations de jaugeage proprement dites devaient être effectuées selon les prescriptions du décret du 24 mai 1873 relatif au jaugeage des navires de commerce (J.O. 31 mai 1873 ; Bull. des lois, XIIe série, n° 137, p. 716), modifié par les décrets des 21 juillet 1887 (J.O. 7 août 1887 ; Bull. des lois, XIIe série, n° 1.123, p. 833), 7 mars 1889 (Bull. des lois, XIIe série, n° 1256, p. 1175) et 22 juin 1904 (J.O. 25 juin 1904 ; Bull. des lois, XIIe série, n° 2.558, p. 1043). Pour établir la jauge nette, ou tonnage net, ces prescriptions, qui reprenaient la Méthode Moorsom, déterminaient les déductions à opérer sur le tonnage brut pour, d'une part, les navires à voile (volume des compartiments affectés à l'usage exclusif du personnel de bord, et espaces dit « de navigation »), et, d'autre part, les navires à vapeur (soit le tonnage des espaces réellement affectés aux machines, chaudières et leurs dépendances, y compris les soutes à charbon ; soit une part proportionnelle, exprimée en pourcentage, du tonnage brut, ou « tonnage » ; soit le tonnage des espaces réellement affectés aux machines et aux chaudières, à l'exclu-sion des soutes, avec majoration de 75 % dans le cas d'un navire à hélices, ou de 50 % dans le cas d'un navire à aubes). Bref, les règles nationales de jaugeage étaient déjà fort complexes !
Pour les navires marchands, le premier instrument contraignant à vocation universelle tendant à harmo-niser les règles nationales disparates fut, me semble-t-il, la Convention pour l'adoption d'un système uniforme de jaugeage des navires, adoptée à Oslo le 10 juin 1947, à laquelle était annexé le Règlement international relatif au jaugeage des navires, établi par la Société des Nations et daté du 30 juin 1939 ( V. L. n° 55-1430 du 4 nov. 1955 portant ratification de la convention : J.O. 5 nov. 1955, p. 10.890 ~ D. n° 56-1182 du 3 nov. 1956 portant publication de la convention : J.O. 23 nov. 1956, p. 11.202). S'est ultérieurement substituée à la convention d'Oslo la Convention internationale du 23 juin 1969 sur le jaugeage des navires (V. D. n° 82-725 du 10 août 1982 portant publication de la convention : J.O. 20 août 1982, p. 2.614), toujours en vigueur, dont l'article 4-1 (a) indique explicitement qu'elle « ne s'ap-plique pas aux navires de guerre » ni, du reste, « aux navires d'une longueur inférieure à 24 mètres (79 pieds) ».
Pour en revenir aux caractéristiques du torpilleur de haute mer Chevalier que j'ai relevées dans la Revue maritime et coloniale du deuxième trimestre 1894 — revue publiée par le Ministère de la Marine et des Colonies de l'époque, faut-il le rappeler —, il n'y avait, eu égard à tout ce qui précède, aucune espèce de confusion dans mon esprit entre tonnes de déplacement et tonnes de jauge. En revanche, je reconnais que j'eus dû formuler différemment mon observation, notamment en utilisant une formu-lation interrogative : comment expliquer que les rédacteurs de la revue en question ont utilisé le tonneau et non la tonne métrique pour déterminer la masse de ce bâtiment ? Par habitude ou absence de rigueur, le terme « Tonneau » a-t-il continué à être utilisé dans la marine militaire en lieu et place de celui de « Tonne » ? En vérité, la question se pose.
Quant à la puissance et à la vitesse dudit navire, je partage entièrement les réserves formulées par Franck : il est des unités de mesure qui s'expriment à vue de nez, d'ou leur qualification de « pifométriques » ; il en est ainsi de certaines unités comme la « giclée », unité de volume couramment utilisée par les mécaniciens des salles des machines pour le dosage de l'huile ...