Re: Combat naval du 28-10-1914 à Pénang
Publié : jeu. juin 12, 2008 8:38 am
Bonjour,
En retraçant la vie de mon grand-père, Charles Augustin BAULE, j'ai été amené à me pencher sur l'arrivée de "l'Emden" dans la baie de Pénang. Je livre ici le récit que j'ai pu en faire:
Le lieutenant BAULE aura pour premier commandement celui de La Fronde, qui fait parti des torpilleurs de Saigon. La Fronde a été, lui, lancé à Bordeaux, aux Chantiers de la Gironde, en 1902. petit bâtiment de 56 mètres de long et 6 mètres de large. Deux tubes lance-torpilles pivotants, l'un à l'avant, l'autre à l'arrière. Ce bateau n’était pas en très bon état : il avait subi les affres d’un typhon à Hongkong en septembre 1906, broyé par le heurt des navires voisins il coula. Bien que réduit à une sorte de langue de ferraille, il fut renfloué et reçu à Hongkong un nouvel avant et continua sa carrière.
A Penang il participe au Combat naval du 28-10-1914 :
Ce combat oppose le croiseur allemand Emden à des navires français et russes, dans le port de Penang, île de la côte ouest des Indes Néerlandaises (aujourd'hui Malaisie), dans le détroit de Malacca.
La Première Guerre mondiale a commencé en août 1914. Dans le Pacifique, les allemands possèdent une concession en Chine, à TsingTao. Elle abrite une escadre. L'escadre part pour une croisière qui s'achèvera aux Falklands. Le croiseur Emden part de son côté, comme corsaire, faire la guerre au commerce allié. Avant l’affaire de Penang depuis juillet 1914 et il avait coulé en trois mois dans l'océan Indien 22 navires de commerce.
Le port de Penang est sous contrôle britannique, en plus de nombreux navires marchands, on trouve des navires de guerre français et russes.
Le 27 octobre 1914 au soir, la situation est la suivante :
L’aviso d'Iberville mouillé dans la passe a commencé le démontage complet de ses machines. La Fronde est accosté à la jetée, machines démontées. Le Pistolet, accosté à la Fronde est prêt à marcher en une heure, sa T.S.F. peut recevoir mais pas émettre. Le Mousquet assure la grand-garde.
Le croiseur russe Yemtchoug est depuis le 26 octobre à Penang, pour réviser ses chaudières. Il avait été détaché pour participer à la chasse du corsaire allemand, l’Emden. Il arbore 3 feux blancs. Son commandant, le baron Tcherkassov, était resté à terre ayant fait venir sa femme passer 4 jours à Penang. Les marins permissionnaires ont été ramenés à bord dans un état d'imprégnation alcoolique important. Seuls 2 des canons sont armés, 6 obus chacun, le reste des munitions restant enfermé dans les soutes.
Vers 5h30, peu avant l'aube, un navire à 4 cheminées approche du port. 4 cheminées, c'est à dire comme les croiseurs britanniques de la classe Yarmouth. Il s'agit en fait de l'Emden qui a gréé une fausse 4e cheminée...Quand il a le russe sur son tribord, il ouvre le feu et lance une torpille. Celle-ci atteint sa cible à l'arrière. L'équipage russe cherche à riposter mais un canot été projeté sur le canon arrière. Les marins doivent amener les munitions disponibles au canon avant. Mais leur tir est sans résultat. L'allemand fait demi-tour. En repassant devant le Yemtchoug, il lance sa torpille bâbord. Le russe se brise en deux et coule. Les navires français ne peuvent intervenir.
Augustin BAULE a la rage de ne pouvoir rien faire quand l’Emden coule sous ses yeux le Yemtchoug ; voici son récit à son épouse sur cet évènement :
« Et nous, pendant ce temps là, nous assistions impuissant à ce terrible drame, accostés à l’appontement, sans pression, sans pouvoir même tirer un coup de canon ; nous regardions tout cela ahuris, la rage au cœur de ne pouvoir rien faire et attendant tout simplement que notre tour vint. Quant il aura fini avec le Yemtschoug, nous disons nous, il se retournera contre nous et, en dix coups de canon, il nous enverra par le fond. A chaque bordée nouvelle de l’Emden chacun disait tout haut : celle-là est pour nous et on s’attendait à recevoir les projectiles. Mais non, tout est pour le Russe Mais quand celui-ci a été achevé il nous a paru de plus en plus évident que notre tour était arrivé ; aussi, quel n’a pas été notre étonnement de voir l’Emden s’ébranler et manœuvrer tout doucement pour sortir de la rade. Cela ne nous paraissait pas possible. Mais si, le bateau s’éloignait petit à petit, canonnant en partant une chaloupe à vapeur qu’il prenait sans doute pour un torpilleur, et alors nous nous sommes tous regardés, n’en pouvant croire nos yeux de nous voir tous en vie. Par quel miracle avons nous échappé à une mort qui, quelques minutes avant, nous paraissait si évidente, je me le demande. Peut être l’Emden ne nous a-t-il pas vus, nos coques grises, dans la pénombre du petit jour se confondant avec le noir de l’appontement… Je ne saurai pas te peindre mes émotions pendant les dix minutes qu’a duré cette tragédie, mais jamais de ma vie je n’oublierai ce réveil par la canonnade, ce spectacle d’un combat naval tout près de nous, ce serrement de cœur en voyant ce pauvre bateau russe littéralement écrabouillé et si vite achevé et, par dessus tout, cette impression si angoissante de sentir qu’il n’y a plus rien à faire qu’à attendre la mort. Eh bien, malgré tout, il n’y a pas eu à bord le moindre affolement ; chacun faisait automatiquement ce qu’il avait à faire, avec la sensation cependant bien nette que tout ce qu’on faisait était bien inutile. Mais je n’ai vu personne manifestant par exemple une velléité quelconque de se sauver alors qu’il était bien facile de filer sur l’appontement sans même qu’on puisse le voir. Et pourtant ces braves marins se rendaient bien compte, comme moi, que c’était fini ; l’un d’eux pleurait à chaudes larmes sans trop savoir pourquoi, je crois, et cela faisait rire les autres. Et chez tous c’était la même rage de ne rien pouvoir faire. Le sentiment unanime c’était que d’aller par le fond ce n’était rien, mais y aller sans même avoir pu tirer un coup de canon, sans se défendre, subir sans résistance cette boucherie dont nous venions d’avoir le spectacle pour nos pauvres amis russes, cela paraissait par trop dur. Ah ! ma pauvre chérie, par quelles minutes nous avons passé là ! Et cependant ne t’imagine pas que ce soit si terrible que cela ; je m’imaginais que c’était plus dur, qu’on devait perdre la boule à des moments pareils ; mais non, on reste bien soi-même, on se sent le cœur un peu serré à l’idée du grand saut à franchir, on pense un peu plus vivement à tous les siens, mais surtout on a trop à faire dans des cas pareils pour penser à soi ».
L’Emden s’éloigne et c'est le petit torpilleur Mousquet au large, en surveillance qui se précipite à l'assaut. La seule arme qui lui permette d'infliger des dégâts au corsaire est une torpille. Mais d'un modèle ancien, elle ne porte qu'à 600 mètres. La troisième salve de l’Emden atteint le torpilleur, les suivantes le détruisent. Müller, commandant du croiseur allemand recueille les survivants.
J'espère que ce récit permettra à la division navale de l'Indochine, quelque peu oublié par l'Etat-major français, d'exister à nouveau.
Mes sources :
-Service historique de la Marine, Vincennes : dossier militaire de Charles Marie Augustin Baule.
-Claude Farrère et Paul Chack : Combats et batailles sur mer.1925.
-Lettres d’Augustin Baule à son épouse Marthe (1914-1915).
Bien cordialement à tous.
Michel
En retraçant la vie de mon grand-père, Charles Augustin BAULE, j'ai été amené à me pencher sur l'arrivée de "l'Emden" dans la baie de Pénang. Je livre ici le récit que j'ai pu en faire:
Le lieutenant BAULE aura pour premier commandement celui de La Fronde, qui fait parti des torpilleurs de Saigon. La Fronde a été, lui, lancé à Bordeaux, aux Chantiers de la Gironde, en 1902. petit bâtiment de 56 mètres de long et 6 mètres de large. Deux tubes lance-torpilles pivotants, l'un à l'avant, l'autre à l'arrière. Ce bateau n’était pas en très bon état : il avait subi les affres d’un typhon à Hongkong en septembre 1906, broyé par le heurt des navires voisins il coula. Bien que réduit à une sorte de langue de ferraille, il fut renfloué et reçu à Hongkong un nouvel avant et continua sa carrière.
A Penang il participe au Combat naval du 28-10-1914 :
Ce combat oppose le croiseur allemand Emden à des navires français et russes, dans le port de Penang, île de la côte ouest des Indes Néerlandaises (aujourd'hui Malaisie), dans le détroit de Malacca.
La Première Guerre mondiale a commencé en août 1914. Dans le Pacifique, les allemands possèdent une concession en Chine, à TsingTao. Elle abrite une escadre. L'escadre part pour une croisière qui s'achèvera aux Falklands. Le croiseur Emden part de son côté, comme corsaire, faire la guerre au commerce allié. Avant l’affaire de Penang depuis juillet 1914 et il avait coulé en trois mois dans l'océan Indien 22 navires de commerce.
Le port de Penang est sous contrôle britannique, en plus de nombreux navires marchands, on trouve des navires de guerre français et russes.
Le 27 octobre 1914 au soir, la situation est la suivante :
L’aviso d'Iberville mouillé dans la passe a commencé le démontage complet de ses machines. La Fronde est accosté à la jetée, machines démontées. Le Pistolet, accosté à la Fronde est prêt à marcher en une heure, sa T.S.F. peut recevoir mais pas émettre. Le Mousquet assure la grand-garde.
Le croiseur russe Yemtchoug est depuis le 26 octobre à Penang, pour réviser ses chaudières. Il avait été détaché pour participer à la chasse du corsaire allemand, l’Emden. Il arbore 3 feux blancs. Son commandant, le baron Tcherkassov, était resté à terre ayant fait venir sa femme passer 4 jours à Penang. Les marins permissionnaires ont été ramenés à bord dans un état d'imprégnation alcoolique important. Seuls 2 des canons sont armés, 6 obus chacun, le reste des munitions restant enfermé dans les soutes.
Vers 5h30, peu avant l'aube, un navire à 4 cheminées approche du port. 4 cheminées, c'est à dire comme les croiseurs britanniques de la classe Yarmouth. Il s'agit en fait de l'Emden qui a gréé une fausse 4e cheminée...Quand il a le russe sur son tribord, il ouvre le feu et lance une torpille. Celle-ci atteint sa cible à l'arrière. L'équipage russe cherche à riposter mais un canot été projeté sur le canon arrière. Les marins doivent amener les munitions disponibles au canon avant. Mais leur tir est sans résultat. L'allemand fait demi-tour. En repassant devant le Yemtchoug, il lance sa torpille bâbord. Le russe se brise en deux et coule. Les navires français ne peuvent intervenir.
Augustin BAULE a la rage de ne pouvoir rien faire quand l’Emden coule sous ses yeux le Yemtchoug ; voici son récit à son épouse sur cet évènement :
« Et nous, pendant ce temps là, nous assistions impuissant à ce terrible drame, accostés à l’appontement, sans pression, sans pouvoir même tirer un coup de canon ; nous regardions tout cela ahuris, la rage au cœur de ne pouvoir rien faire et attendant tout simplement que notre tour vint. Quant il aura fini avec le Yemtschoug, nous disons nous, il se retournera contre nous et, en dix coups de canon, il nous enverra par le fond. A chaque bordée nouvelle de l’Emden chacun disait tout haut : celle-là est pour nous et on s’attendait à recevoir les projectiles. Mais non, tout est pour le Russe Mais quand celui-ci a été achevé il nous a paru de plus en plus évident que notre tour était arrivé ; aussi, quel n’a pas été notre étonnement de voir l’Emden s’ébranler et manœuvrer tout doucement pour sortir de la rade. Cela ne nous paraissait pas possible. Mais si, le bateau s’éloignait petit à petit, canonnant en partant une chaloupe à vapeur qu’il prenait sans doute pour un torpilleur, et alors nous nous sommes tous regardés, n’en pouvant croire nos yeux de nous voir tous en vie. Par quel miracle avons nous échappé à une mort qui, quelques minutes avant, nous paraissait si évidente, je me le demande. Peut être l’Emden ne nous a-t-il pas vus, nos coques grises, dans la pénombre du petit jour se confondant avec le noir de l’appontement… Je ne saurai pas te peindre mes émotions pendant les dix minutes qu’a duré cette tragédie, mais jamais de ma vie je n’oublierai ce réveil par la canonnade, ce spectacle d’un combat naval tout près de nous, ce serrement de cœur en voyant ce pauvre bateau russe littéralement écrabouillé et si vite achevé et, par dessus tout, cette impression si angoissante de sentir qu’il n’y a plus rien à faire qu’à attendre la mort. Eh bien, malgré tout, il n’y a pas eu à bord le moindre affolement ; chacun faisait automatiquement ce qu’il avait à faire, avec la sensation cependant bien nette que tout ce qu’on faisait était bien inutile. Mais je n’ai vu personne manifestant par exemple une velléité quelconque de se sauver alors qu’il était bien facile de filer sur l’appontement sans même qu’on puisse le voir. Et pourtant ces braves marins se rendaient bien compte, comme moi, que c’était fini ; l’un d’eux pleurait à chaudes larmes sans trop savoir pourquoi, je crois, et cela faisait rire les autres. Et chez tous c’était la même rage de ne rien pouvoir faire. Le sentiment unanime c’était que d’aller par le fond ce n’était rien, mais y aller sans même avoir pu tirer un coup de canon, sans se défendre, subir sans résistance cette boucherie dont nous venions d’avoir le spectacle pour nos pauvres amis russes, cela paraissait par trop dur. Ah ! ma pauvre chérie, par quelles minutes nous avons passé là ! Et cependant ne t’imagine pas que ce soit si terrible que cela ; je m’imaginais que c’était plus dur, qu’on devait perdre la boule à des moments pareils ; mais non, on reste bien soi-même, on se sent le cœur un peu serré à l’idée du grand saut à franchir, on pense un peu plus vivement à tous les siens, mais surtout on a trop à faire dans des cas pareils pour penser à soi ».
L’Emden s’éloigne et c'est le petit torpilleur Mousquet au large, en surveillance qui se précipite à l'assaut. La seule arme qui lui permette d'infliger des dégâts au corsaire est une torpille. Mais d'un modèle ancien, elle ne porte qu'à 600 mètres. La troisième salve de l’Emden atteint le torpilleur, les suivantes le détruisent. Müller, commandant du croiseur allemand recueille les survivants.
J'espère que ce récit permettra à la division navale de l'Indochine, quelque peu oublié par l'Etat-major français, d'exister à nouveau.
Mes sources :
-Service historique de la Marine, Vincennes : dossier militaire de Charles Marie Augustin Baule.
-Claude Farrère et Paul Chack : Combats et batailles sur mer.1925.
-Lettres d’Augustin Baule à son épouse Marthe (1914-1915).
Bien cordialement à tous.
Michel