Forum PAGES 14-18

Bonsoir à tous,

En consultant l'année 1917 de la revue Le Pays de France, j'ai découvert par hasard, à la page 6 du n° 162 daté du 22 novembre 1917, deux étranges photographies demi-page représentant la construction de navires en ciment armé. Ces deux clichés, au demeurant d'assez mauvaise qualité, sont de la sorte légendés :

« La construction des navires en bois ou en acier nécessite des matériaux et de la main-d'oeuvre dont on est très à court, ainsi que d'assez long délais. Pour augmenter le tonnage de notre flotte de charge, on construit donc des cargo en ciment armé. En voici un sur chantier. L'ossature, en fer, a d'abord été constituée, puis elle a été revêtue de ciment coulé sans interruption. Le séchage demande un mois ; l'ensemble de la construction n'en prend pas plus de trois. Le prix de revient est inférieur d'un tiers à celui des autres navires.»

En outre, figure dans un médaillon une photographie de la maquette d'un navire de ce type nouveau, dont la conception a été manifestement dictée par les circonstances de l'économie de guerre.

Bien que sachant ce sujet quelque peu en marge du strict thème de la guerre sur et sous les mers, les éminents spécialistes de l'histoire de la construction navale que compte le présent Forum pourraient-ils m'indiquer :

1°) A qui revient l'initiative de la construction de tels navires ;

2°) Dans quels chantiers ladite construction a été effectuée ;

3°) Quel était le mode de propulsion de ces singuliers bâtiments de mer ;

3°) Quelles compagnies les ont armé, à quelles fins et pour quelles destinations ?

Subsidiairement, certains ont-ils reçu une affectation de caractère militaire et, si oui, laquelle ?

Bien à vous,
Rutilius.

Bonjour Rutilius,

Quelques éléments de réponse et quelques dates-clés :

Bateau-ciment (1848)
Zeemeeuw (1887)
Lézard (1920)
Phoenix (1944-1945)
Nennele (1948)

La paternité en revient à Joseph-Louis Lambot (1814-1887) qui réalise en 1848-1849 un "bateau-ciment" en ciment armé, brevet du bateau en 1855.

L’historiographie du béton armé fait remonter la naissance de ce matériau en 1849 lorsque Joseph Louis Lambot (1814-1887), agriculteur dans le Var, construit une barque en ciment armé pour se promener sur l’étang de sa propriété à Miraval. Cette invention, le "Bateau-ciment", présentée à l’exposition universelle de Paris en 1855, y passe pratiquement inaperçue. Il en resterait 2 exemplaires.
Le second nom classiquement cité dans l’histoire du béton armé est celui de Joseph Monier (1823-1906), horticulteur-rocailleur à Paris, qui alimente le procédé par nombre de brevets entre 1867 et 1891, et dont il ne tirera que fort peu de bénéfices…
En 1887, l’entreprise Gebruders Picha construit à Saas-van-Gent suivant les procédés de Monier une barque en ciment armé baptisée Zeemeuw. Elle fut utilisée au Zoo Artis d’Amsterdam jusqu’en 1968.

Source : Joseph Monier et la naissance du ciment armé, Ed. du linteau (Paris), 2001, 152.

A la fin de la 1ère guerre mondiale, la pénurie de matériaux stimule la construction de coques de bateaux en béton armé en substitut aux coques en acier dans de nombreux pays. Aux Etats-Unis, on ira jusqu’à construire des pétroliers à coque en béton armé de 135m de long et de plus de 7 500 tonnes de capacité. En France, plus de 100 péniches de rivière et chalands de haute mer jaugeant jusqu’à 1 000 tonnes seront lancés. On connait particulièrement la série des chalands Lézard dont le concepteur est l’ingénieur Eugène Freyssinet (1879-1962), dont la notoriété à l’époque est déjà très grande et qui inventera et développera à partir de 1928 le "béton précontraint".

Source : Le Génie Civil, Tome LXXVII, n°8, 1920, 347.

Vers 1942, l’ingénieur-architecte Pier Luigi Nervi (1891-1979) invente le ferrociment, un composite à matrice cimentaire économique et très ductile. Parmi les premières applications, on note à nouveau quelques coques de caboteurs puis, en 1948, le ketch de 12m Nennele, le propre bateau de Nervi. Il est l’ancêtre des centaines de bateaux de plaisance à coque en béton construits depuis, le plus souvent par des amateurs.

Source : P.L. Nervi, Structures, F.W. Dodge Corp. (New York), 1956, 55.

Une autre illustration connue de tous dans la construction des "engins flottants en ciment" reste sans conteste la fabrication des caissons "Phoenix" qui ont servi à la réalisation des "Mulberry" (ies) lors de la création des ports artificiels en Normandie en juin 1944. Si ce ne sont pas des navires à proprement parler, ils ont néanmoins rendu de grands services (toute l’intendance qui devait suivre rapidement après le 6 juin le fut grâce à la construction de ports artificiels devant les plages du débarquement, en particulier à Arromanches), car pas moins de 232 caissons de 62 m de long en béton armé seront construits dans les rivières du sud de l’Angleterre et remorqués à travers la Manche dans les jours qui suivirent le débarquement.

Concernant le mode de propulsion, elle a, là aussi, suivi les évolutions en la matière : l’aviron, la voile, le moteur. Le ferrociment a connu son heure de gloire dans les années 1960-1970 avec les bateaux de plaisance et de pêche, mais des problèmes de corrosion dans la structure métallique des coques ont amorcé son déclin. Pour l’anectode, et pardon pour le hors-sujet, je connaissais une personne qui s’était lancé dans la construction amateur d’un ketch de 13 m en ferrociment. A la mise à l’eau, il s’est retrouvé avec un franc-bord dérisoire, le bateau à 2 doigts de couler à pic. Il s’était trompé dans ses calculs, et a dû démolir ce qui lui avait demandé des années d’efforts. Mais nombre de constructions amateurs on été menées à bien, j’ai le souvenir d’une goélette de 17 m de toute beauté, dont l’aspect extérieur de la coque, recouverte de résine époxy, ne laissait en rien deviner qu’il s’agissait là d’une construction ferrociment, tant la surface était lisse et la finition soignée.
Je n’ai, pour ma part, pas d’exemple de construction de navires militaires en ferrociment ou ciment armé. Les problèmes liés au poids (manoeuvrabilité) de ce genre de construction sont bien évidemment à prendre en considération.

Vous est-il possible de mettre ces clichés en ligne sur le forum ? Merci par avance.

Bien cordialement,
Franck, spécialiste de rien du tout

Bonsoir Franck,

Un grand merci pour cette réponse parfaitement exhaustive, une réponse en béton en quelque sorte... Votre modestie dut-elle en soufrir, le contraire m'eut étonné de votre part ! Assurément, votre réputation sur ce forum de sachant ès histoire navale - je retire le terme de "spécialiste" - n'est pas usurpée ; la qualité et la complétude de vos contributions quotidiennes en témoignent s'il en était besoin.

Pour ma part, je n'avais trouvé qu'une seule référence sur ce sujet : Daniel & Dominique BERRUYER, « Construction des bateaux en ciment », Paris, E.M.O.M., 1971, in-8°, 184 p., + figures et plans. Mais cet ouvrage n'est sans doute consultable que dans une bibliothèque spécialisée.

J'aimerais accéder à votre demande de mise en ligne des clichés en question, mais, comme je vous en ai déjà averti sur un autre fil, je suis informatiquement ignare, de sorte que je ne sais comment procéder... Mais je ne manquerai pas de le faire dès que j'aurai progressé en ce domaine.

Bien à vous,
Rutilius

Bonsoir à tous,

Je pense que Rutilius ne m'en voudra pas si je le fais à sa place.







Bien cordialement,
Alain

L'ingénieur des Ponts et Chaussées Eugène Freyssinet, inventeur du béton précontraint a construit quelques navires de ce type.

Bonsoir Alain,

Je ne vous en veux en rien, bien au contraire! Vous me tirez fort opportunément d'embaras, ce dont je vous sais le plus grand gré.

Bien à vous,

Rutilius.

Bonjour Alain,
Bonjour Rutilius,
Bonjour à tous,

Merci beaucoup pour la mise en ligne des photos, c'est enregistré

Bien cordialement,
Franck

Bonsoir Franck,
Bonsoir à tous,

Quelques précisions sur les premiers essais en mer du chaland en ciment le Lézard, construit à Rouen :

■ Ouest-Éclair – éd. de Caen –, n° 7210, Vendredi 2 mai 1919, p. 3, en rubrique « Nouvelles maritimes – Marine de commerce» :

« Le premier chaland en ciment a résisté

LE HAVRE, 29 avril. ― Les essais du premier chaland de mer en ciment armé construit en France conformément au programme du commissariat de la Marine marchande viennent d’avoir lieu avec succès.
Parti le 4 avril à la remorque du Sioux, de la marine de l’État, le Lézard est arrivé sur lest à Cardiff le 6, après une bonne traversée.
Après un chargement de charbon, il est reparti pour Cherbourg où il est arrivé ces jours derniers. Pendant tout le trajet, il a affronté du gros temps au cours duquel il donna entière satisfaction. Ce chaland a été construit à Rouen.
Pendant son escale de Cardiff, il a été visité par les autorités anglaises.
Le ciment armé est-il véritablement appelé à remplacer bientôt, dans l’art difficile des constructions navales, le fer et le bois ? Les progrès réalisés depuis le début de la guerre dans cette technique nouvelle sont à tout le moins impressionnants. »

Bien amicalement à vous,
Daniel.

Bonjour

A t on des informations sur le programme et notamment à quelle date il fut lancé (avant ou aprés la fin de la guerre ?)

A bientot

Some additional informations about barges built of concrete, named for reptiles:
"L'Écrevisse", built 1920, Francisation 06.04.21, 670 BRT. 1923 owned by Union Francaise Maritime, Bordeaux, but became "réservoir à crustacés"
"L'Alligator", built 1921, Francisation 26.12.21, 622 BRT, same owner, 1924 ponton
"La Salamandre", Francisation 04.12.21, otherwise like "L'Alligator"
(Some additional dates for the last two: 580 NRT, 50,40 x 10,00 m, 1000 tdw)
"Le Serpent", Union Francaise Maritime, Le Havre, 632 BRT, built 1920 in France, Francisation 07.03.21, 1924 sold to other French owner
"L'Orvet", Francisation 18.04.21, otherwise like "Le Serpent", 1924 exported
"La Rainette", built 1920, Francisation 07.03.21, otherwise like "L'Orvet"
"Le Lézard", Union Francaise Maritime, Boulogne, 589 BRT, built 1918 in France, Francisation 08.06.20, 1924 exported
"Le Reptile", like "La Rainette", including date of Francisation
Another ship of this class of reptiles may have been the "Vipère", which was owned by Desmarais Frères.
Four of these ships were still in service in WW II and were taken over by the Hafenkommandant Le Havre in 05.42. Her are the German informations about them:
"Gavial", about 500 t; 56,00 x 14,00 x 2,00 m; Betonprahm (= chaland en béton); 5.1942 Haka Le Havre
"Grénouille", 58,00 x 14,00 x 2,00 m; about 500 t; Betonprahm; 5.1942 Haka Le Havre
"La Vipère", about 500 t; 58,00 x 14,00 x 2,00 m; Betonprahm; 5.1942 Haka Le Havre
"Tortue", 58,00 x 14,00 x 2,00 m; about 500 t; Betonprahm; 5.1942 Haka Le Havre

Other known ships,may be of other groups:
"Caille", Union Francaise Maritime , Brest, 707 BRT, built 1920 in France, Francisation 07.10.20. 1923 exported.
"La Panthère", Union Francaise Maritime, Le Havre, 749 BRT, 1921 buil in France, Francisation 23.05.22, 1923 sold to other French owner.
"Le Fauve", Francisation 18.04.21, otherwise like "La Panthère"
"Le Jaguar", like "La Panthère", including date of Francisation
"La Hyène", 1921 built in France, Union Francaise Maritime, 1924 exported
"Le Chacal" like "La Hyène"
"L'Ours" like "La Hyène"
"La Bécassine", Gouvernement Francais (Marine Marchande), Brest, 707 BRT, built 1921 in France, Francisation 18.10.21, 1924 sold to other French owner.
And here is a picture of "Gavial" and "Tortue":

Merci Klaus !!!