Bonjour à tous,
SAINT MARC
Rencontre avec un sous-marin le 23 Janvier 1917. Rapport du capitaine
Quitté Rouen le 19 Janvier à 08h00. Amarré à la bouée « D » pour attendre le complément d’équipage. Complet chargement de futs à destination de Huelva. Appareillé à 10h30. Changé de pilote à Villequier. Débarqué le pilote à 19h00 en rade du Havre. Beau temps. Mer calme.
Passé Barfleur et fait routes diverses à différentes allures. Arraisonné le 20 Janvier à 08h30, pris le pilote et mouillé sur rade de Cherbourg pour attendre les ordres.
21 Janvier
Appareillé à 07h30. Passé au sud d’Aurigny et des Casquets avec temps bouché. A 13h00, N/S Roches Douvres.
22 Janvier
E/W Créach, puis routes diverses dans le golfe de Gascogne.
23 Janvier
A 08h00, nous sommes à environ 40 milles dans le nord du cap Ortegal. Aperçu à 4 milles sur l’avant un navire pouvant être un grand chalutier. Quelques instants plus tard, un sous-marin sans pavillon quitte ce chalutier, passe sur son avant et fait aussitôt route sur nous. Mis immédiatement cap à l’ouest. Appelé aux postes de combat ce qui s’effectue sans aucune panique. Le sous-marin avance à toute vitesse, 18 nœuds environ, et cherche à nous couper la route pour nous prendre par le travers. Manœuvré pour présenter l’arrière. Donné ordre au chef mécanicien de monter à l’allure maximum.
A 08h30, un premier obus tombe sur tribord avant à 400 m. Fait hisser les couleurs françaises et répondu aussitôt. Beau temps calme. Légère houle d’ouest. Les obus du sous-marin tombent de chaque côté de l’avant, à peu de distance. Fait brûler par le maître d’hôtel Francis Pailler, dans le fourneau de la cuisine, tous les documents confidentiels en ma possession.
Combattu de 08h30 à 09h30. Tiré 18 obus, répondant coup pour coup au sous-marin.
A 09h30, l’ennemi vient en travers, abandonne la lutte et retourne vers le navire de surface qui se trouve sur son arrière. Je ne sais s’il a été touché, mais il est étonnant qu’il ait abandonné le combat en si peu de temps. Plusieurs de nos obus sont tombés très près, bien que le tir soit court.
Je suis sûr que le navire en surface était un ravitailleur car le sous-marin n’a ouvert le feu qu’à bonne distance de lui, puis est revenu vers lui à la fin du combat. Ce ravitailleur avait deux mâts et une cheminée sans signe distinctif. Il semblait peint en gris.
Fait ensuite route plein ouest.
L’équipage a ponctuellement suivi mes ordres. Le quartier maître fusilier Jean ROBET et le fusilier Antoine LE CAM ont conservé tout leur sang froid, ainsi que le TSF PALVADEAU qui a envoyé en clair les signaux réglementaires et la position du sous-marin. Personne n’a répondu. Tout le monde est resté calme.
24-25-26 Janvier
Temps bouché. A 10h00 le 26 aperçu Saint Vincent au sud vrai. Passé ensuite N/S Sagres, puis N/S Santa Maria.
27 Janvier
A 02h00, aperçu Punta del Picacho, mais resté au large la barre étant infranchissable. Ouragan de NW dans la nuit.
28 Janvier
Pris le pilote à 08h30 et franchi la barre avec une très forte houle. Mouillé à 10h00 en rivière. Appareillé à 13h30. A quai à 14h00.
Signé : Piquot, Commandant
(Nota : cette rivière est celle de Palos de Moguer que cite José Maria de Heredia dans son poème « Les Conquérants»)
Description du sous-marin
Longueur visible quand il s’est mis en travers : 90 à 100 m. D’après le QM Palvadeau, il disposait d’un canon d’au moins 100 mm sur l’avant du kiosque. Mais il naviguait en demi-plongée et n’offrait qu’un point de mire très réduit. Tous nos tirs étaient en bonne direction, mais trop court car il s’est tenu hors de portée.
Le sous-marin attaquant
N’est pas connu.
Toutefois, la position donnée par le capitaine Piquot et la description des circonstances du combat permettent de l’identifier presque avec certitude. Ce devait être l’U 43 du KK Hellmuth JÜRST.
En effet, d’après uboat.net, il se trouvait ce 23 Janvier 17 à environ 60 milles au NNE du cap Villano où il capturait un petit caboteur norvégien de 699 t, le DONSTAD. Ce caboteur, chargé de pyrite de cuivre allait de Viana do Castello à Caen.
60 milles au NNE de Villano nous place à peu près à 40 milles au nord d’Ortegal.
Le DONSTAD ne sera d’ailleurs envoyé par le fond que 3 jours plus tard, à 12 milles dans le NW de Villano. Peut-être Jürst a-t-il voulu préserver ou récupérer d’une manière ou d’une autre le chargement de ce caboteur, précieux pour l’Allemagne. La pyrite de cuivre, ou sulfure de cuivre, sert notamment à la fabrication de l’acide sulfurique. S’il a abandonné aussi vite le SAINT MARC, c’est peut-être pour s’occuper de la proie qu’il venait de capturer.
Les hommes du SAINT MARC ont probablement assisté à cette capture du DONSTAD sans comprendre la situation. Il ne s’agissait évidemment pas d’un ravitailleur. Le KTB de l’U43 pourrait peut-être nous éclairer sur cette affaire…
Récompenses
Citation à l’Ordre de la Division
PIQUOT Capitaine au Long Cours Saint Vast n° 54
Son navire étant attaqué par un sous-marin, a réussi par son énergie, son sang froid et ses qualités manœuvrières à se faire abandonner de l’ennemi.
Citation à l’Ordre du Régiment
ROBET Jean Quartier maître fusilier 1er dépôt
LE CAM Antoine Fusilier breveté 3e dépôt
PALVADEAU Quartier maître TSF Noirmoutier n° 376
Se sont distingués par l’habileté de leur tir et par leur sang froid au cours d’un combat d’une heure contre un sous-marin qui dut abandonner la poursuite.
Témoignage Officiel de Satisfaction
A tout l’équipage pour sa tenue excellente au cours d’un combat d’une heure avec un sous-marin
Signé : de BON
Commentaire complémentaire
Ce récit nous renvoie à la question posée en 2008 par Boued Avel (voir ce lien :
pages1418/Forum-Pages-d-Histoire-aviati ... _1.htm#bas)
Le SAINT MARC inscrit au Tableau d’Honneur de Saint-Nazaire pour un évènement survenu en 1917 pourrait avoir été celui de la Société Navale de l’Ouest. Mais à mon avis, c'est plutôt celui de la Compagnie des Vapeurs Charbonniers, dont le siège était à Saint Nazaire et qui a lui aussi rencontré un sous-marin en Janvier 1917, trois jours seulement avant celui de la SNO (voir ce lien :
pages1418/Forum-Pages-d-Histoire-aviati ... _1.htm#bas) Ce serait donc à bord de ce dernier que décéda en Décembre 1916 le marin Jean Claude LE MAO.
Le capitaine Piquot débarqua du SAINT MARC (celui de la SNO) quelques mois plus tard, le 1er Juillet 1917. Il fut remplacé par le capitaine Georges BICHON que nous avons déjà rencontré à plusieurs reprises, sur BABIN CHEVAYE, GRANDE DUCHESSE OLGA, SAINT ROGATIEN et SAINT JEAN. Il était l’un des rescapés du vapeur SAINT SIMON sur lequel, 2e capitaine, il avait été torpillé au large de La Galite par l’UC 37 de l’OL Otto Launburg, le 3 Avril 1917. Quinze marins, dont le capitaine, avaient alors trouvé la mort.
SAINT MARC était son premier commandement et il y restera neuf mois, jusqu’à fin Mars 1918. C’est pourquoi il en fera exécuter un tableau par le peintre Victor ADAM. Voici ce tableau du SAINT MARC en 1917, devant Notre Dame de la Garde à Marseille. On voit parfaitement les deux canons montés sur le gaillard et sur la dunette.
Il y a eu deux peintres du même nom spécialisés dans les marines, le père Edouard, et le fils Victor.
http://historic-marine-france.com/huile/adam.htm
Victor est aussi l'auteur du tableau montrant le torpillage du SAINT SIMON
http://www.histomar.net/GSM/htm/simon.htm
Cdlt