Bonjour à tous,
Un complément sur VILLE DU HAVRE
5125 t.
(Source de la photo : "La Havraise Péninsulaire" de Charles Limonier Edition Tacussel)
Capitaine François HERRY inscrit à Binic
Effectue une traversée Saïgon – Dunkerque pour l'intendance militaire.
Armement : 1 canon de 65 mm modèle 1909. Mais difficile à manœuvrer et souvent en avarie.
Personnel :
TOUROUL Toussaint 1er lieutenant Officier de tir
LE TORRE Vincent QM canonnier Granville
KERGOUSTIN Eugène canonnier 2e dépôt
BELLECAVE Jean Fusilier Bayonne
42 hommes d'équipage en tout dont 1 Portugais, 1 Russe et 10 Sénégalais et Arabes, protégés français.
La perte de VILLE DU HAVRE
5 Janvier 1917 12h15
Le vapeur se trouve à 120 milles au N20W de Villano, route au N61E à 9 nœuds.
Vent de NNE. Mer forte. Temps clair.
Un sous-marin est aperçu à 2 milles sur trois quarts bâbord. Il tire aussitôt trois coups de canon dont les projectiles tombent à 100 ou 150 m.
VILLE DU HAVRE vient en route à l'ouest, présente l'arrière et ouvre le feu avec son 65 quand le sous-marin est à 4500. Le sous-marin tire 110 à 120 coups de canon, par séries de 10 à 15 au rythme de 4 à 5 coups/minute. VILLE DU HAVRE tire 32 coups à 4 coups par minute. Tous les documents secrets sont jetés à la mer dans un sac lesté.
A 17h15, le sous-marin plonge et disparaît. Le vapeur reprend sa route.
6 Janvier 1917 03h25
Lune voilée. Pas d'horizon.
Sans avoir rien vu, le vapeur reçoit une torpille par tribord qui provoque une déchirure dans la grande cale et dans la soute à charbon. Il prend de la gite, puis se redresse. L'une des baleinières est démolie. Un soutier et un chauffeur vont disparaître. Le reste de l'équipage évacue rapidement.
34 hommes ont pris place dans la grande baleinière avec le commandant. 8 hommes ont pris place dans le petit canot, dont le 1er lieutenant et le chef mécanicien.
La baleinière va rester sur les lieux jusqu'à 07h00 à la recherche du petit canot, mais sans le trouver. Elle met alors à la voile, cap au SE. A 17h30, aperçu un vapeur et brûlé trois costons. Les naufragés sont recueillis par le vapeur norvégien CAMILLA, capitaine Steffensen, qui va les déposer à Lisbonne.
Le petit canot recherche aussi la baleinière du commandant, mais sans la trouver. Dix minutes après l'abandon, les hommes voient le VILLE DU HAVRE disparaître. A 05h00, ils rencontrent un sous-marin faisant route en surface, feux de route allumés, qui leur fait signe d'accoster. Le commandant interroge le 1er lieutenant en anglais :
« What ship ? » - « VILLE DU HAVRE »
« French ? » - « Yes »
« Tonnage ? » - « 6000 t »
« Where is captain ? » - « In the main lifeboat »
« How many guns ? » - « One »
« Only one ? » - « Yes »
« Calibre ? » - Réponse évasive.
Le commandant paraît étonné qu'il n'y ait qu'un seul canon.
"Où sommes-nous ?" interroge le 1er lieutenant.
Le sous-marin prend alors le petit canot en remorque et fait route à 6 nœuds pour rechercher la baleinière, mais ne la trouve pas. A 06h00, le sous-marin largue la remorque et fait signe de mettre le cap à l'est. Il reste stoppé jusqu'à ce qu'il soit perdu de vue.
Le petit canot va parcourir 120 milles avec une voile de fortune. Le 7 Janvier à 04h00, il est aperçu par le vapeur norvégien NORA, de Bergen, capitaine Rasmussen (très gentil), qui recueille les naufragés. Il les dépose à Lisbonne presque en même temps que leurs camarades de la baleinière.
Marins disparus
GONIDEC Jean Soutier Douarnenez a sans doute été tué au moment de l'explosion.
ABDOU Mohamed Chauffeur Arabe de Djibouti. Etait de quart, mais a été vu remontant de la machine. A disparu par la suite.
Description du sous-marin
70 m de long
Kiosque haut de 2 m
3 paniers à torpilles vides
Antenne TSF
Canon de 77 ou 88 mm sur l'avant du kiosque monté sur affût à crinoline
Fanal à main pour signaux électriques
Peinture gris acier mouchetée de brun, très propre.
Commandant
Paraissait âgé. Grande barbe blanche.
Parlait un peu français, mais mal. Dès qu'il a su le nom du vapeur, il l'a télégraphié.
Etait en uniforme
Vu une dizaine de marins en jerseys bleus, avec de grande bottes et armés de revolvers.
Voici la silhouette du sous-marin dessinée par le chef mécanicien
Le sous-marin attaquant
C'était donc l' U 48 de l'OL Berndt BUSS.
Le navire sauveteur
Le CAMILLA était l'ancien MAYENNE de la Compagnie d'Orbigny. Il faisait partie d'une série de navires construits en 1906 au chantier de la Méditerranée au Havre. Cette série, dite des 2456 t comprenait MAYENNE, VENDEE, SARTHE et DEUX-SEVRES.
Voici le VENDEE, donc sister-ship du CAMILLA, photographié en 1907.
CAMILLA, toujours sous le commandement du capitaine Steffensen, sera torpillé au large de Rotterdam le 1er Avril 1917 par l' UB 35 de l'OL Rudolf Gebeschus.
Le capitaine Steffensen parviendra à faire embarquer tout son équipage dans un canot qui dérivera pendant 6 jours et 6 nuits, poussé par les vent. Il finira par atterrir à Haugesund, en Norvège. 8 hommes étaient morts de froid, 3 seront amputés des jambes et le capitaine lui-même sera amputé des doigts d'un pied.
Note du Consul de France à Bergen datée de 1918
Je vous signale le cas du capitaine Steffensen qui a sauvé 34 hommes du vapeur VILLE DU HAVRE.
Le 1er Avril 1917, revenant de Baltimore avec un chargement de blé pour le ravitaillement de la Belgique, il a été torpillé au large de Rotterdam. Pendant 6 jours et 6 nuits, les rescapés ont été poussés par les vents jusqu'en Norvège.
Il est fâcheux que la reconnaissance pour le sauvetage du VILLE DU HAVRE se soit bornée à une simple carte de visite de remerciement.
Note du Capitaine de Beaurieux, attaché militaire à Christiania au Capitaine de Vaisseau Lagrenée, attaché naval à Copenhague, datée du 3 Décembre 1919
Dossier Steffensen
A sauvé l'équipage du vapeur français VILLE DU HAVRE
A été torpillé par les Allemands au cours d'un voyage d'Amérique pour ravitailler les alliés.
Sérieusement blessé lors du torpillage. Maintenant guéri. Commande le HENRIK LUND de Bergen (nota : ex HUTTON WOOD)
Situation sociale : occupe un rang très modeste dans la pléiade des capitaines au long cours de Bergen. Mais c'est un homme d'une conduite absolument irréprochable. Le consul a eu une conversation confidentielle à son sujet avec le président de l'association des CLC de Bergen. Il est d'avis que la Médaille de Sauvetage pourrait lui être donnée, comme on le fait habituellement pour les sauvetages. L'intéressé lui-même s'en contenterait.
A mon avis, Monsieur Steffensen a agit avec beaucoup d'esprit de décision. Ayant été ensuite grièvement blessé, il a subi une amputation. Je pense que notre gouvernement doit se montrer plus large et lui octroyer la Croix de Guerre.
Cette manifestation récompenserait un brave marin. Elle aurait surtout un retentissement énorme et un résultat heureux sur notre influence et notre propagande en Norvège. Celles-ci sont actuellement fortement battues en brèche, tant par la propagande ennemie que par les activités de beaucoup de nos amis.
Récompenses
Citation à l'Ordre de la Division Croix de guerre avec étoile d'argent
Capitaine Steffensen, né le 19/01/1884 à Bergen
« A sauvé 34 hommes du vapeur VILLE DU HAVRE. A collaboré au ravitaillement des alliés. Le 1er Avril 1917, chargé de ravitaillement pour l'armée belge, a été torpillé au large de Rotterdam. A pu évacuer son équipage et a atterri six jours plus tard à Haugesund (Norvège) après une terrible navigation au cours de laquelle 8 hommes sont morts de froid. Trois ont été amputés des jambes et lui-même des doigts d'un pied. »
Citation à l'Ordre de la Brigade
HERRY François Capitaine CLC Binic
« Etait parvenu par son énergie et son habileté manœuvrière à se faire abandonner d'un sous-marin qui l'attaquait au canon. A malheureusement été torpillé la nuit suivante, mais a pu sauver la plus grande partie de son équipage. »
TOUROUL Toussaint 1er lieutenant Granville
« A fait preuve d'autorité et de sang froid qui lui ont permis de conserver l'autorité sur ses hommes et de diriger un bon tir contre l'ennemi. »
Témoignage de Satisfaction du Ministre
KERGOUSTIN Eugène Canonnier
Lors de l'attaque de son navire par un sous-marin, a pu, par des moyens de fortune, assurer le tir de sa pièce qui a eu plusieurs ratés et était en avarie.)
Cdlt