Bonjour à tous,
Quelques autres CP de LA LOIRE
Torpillage du 31 Mars 1918
Télégrammes divers du Ministère des Affaires étrangères
1er au 6 Avril (d’Alexandrie ou Port Saïd)
Le transport LOIRE qui avait quitté Alexandrie pour Port Saïd et Tunis a été torpillé. 9 officiers, 32 sous-officiers et 396 soldats et marins ont été ramenés ici par torpilleur japonais.
LOIRE torpillé le 31 Mars à 20h00 par 37°51 N et 30°20 E. Beau temps et nuit noire. Navire semble brisé entre cales 1 et 2. Un soldat a disparu en plus du matelot déjà signalé.
Soldat Zegu et marin Quartin disparus. Evacuation en ordre parfait. On espère ramener le navire à Alexandrie. 10 hommes légèrement blessés.
Amirauté fait tous ses efforts pour échouer LA LOIRE dans la baie d’Aboukir.
Transport LOIRE venant de Marseille chargé de matériel et de troupes militaires françaises de Port Saïd torpillé hier soir après son départ d’Alexandrie. Il continue à flotter et on le remorque à la vitesse de 4 nœuds.
On déplore 2 victimes seulement et 10 blessés légers. Tous les autres passagers sont à Alexandrie. On espère échouer LA LOIRE dans la baie d’Aboukir.
Radio-télégramme intercepté annonce que LOIRE est en train de couler.
Vapeur LOIRE s’est mis à la côte dans la baie d’Aboukir à 1,5 mille au NEqE de Nelson Island.
Situation LOIRE aggravée. Cales 4 et 5 envahies par l’eau. Bâtiment enfoncé par l’arrière. Déchargement ne peut être tenté que par scaphandriers.
LOIRE Coulé par 15 m sur récif Culloden. Arrière émergeant encore, mais bâtiment s’enfonce progressivement et gite de 20° sur bâbord. Grosse houle empêche tout travail de déchargement de la cale arrière.
Deux victimes :
- CAUTIN Jean Marie, matelot canonnier 16990.4 Sa plaque d’identité portait le nom de CARTIN. Le corps de cet homme, noyé, a été retrouvé à la côte le 4 Avril.
- ZEQUEWITZ Charles, soldat de l’infanterie coloniale du 4e RIC. Sans doute tué à son poste de couchage par l’explosion. Son corps n’a pas été retrouvé.
Trois blessés dont deux grièvement, tous soldats.
Rapport du capitaine LV auxiliaire DE LANGLAIS
Quitté Alexandrie le 31 Mars 1918 à 14h00 à destination de Port Saïd avec 75 hommes d’équipage, 317 soldats dont 9 officiers et 137 marins et 991 tonnes de marchandises diverses pour le commerce et le Gouvernement, dont 222 tonnes de munitions situées dans la cale IV.
TE avant 5 m et arrière 6,20 m.
Débarqué le pilote en dehors de la passe. Route et zigzags conformément aux instructions reçues. Exercices d’attaque et d’abandon du navire effectués à 15h00. Tous les passagers sont en permanence revêtus de leurs ceintures de sauvetage. Hublots fermés. Service TSF assuré par 4 télégraphistes. Veille complète et permanente, nuit et jour, avec 2 canonniers à chaque pièce, 2 matelots dans les vigies, 2 matelots aux bossoirs, 1 timonier et 4 matelots sur les passerelles, 2 matelots aux garants des embarcations.
Les troupes passagères fournissaient en permanence 1 officier, 3 sous-officiers 16 hommes sur la passerelle haute, et échelonnés le long des pavois, et équipés de fusils.
Contre-hublots mis en place et rondes effectuées constamment pour les lumières.
Malgré cette vigilance, le bord n’a rien aperçu lors du torpillage.
A 18h45, par le travers du phare de Rosette, à 8 milles, changé de route et venu au N60E en continuant à faire des lacets. Nuit sombre, mer belle, petite brise de NE.
A 19h43, par 31°37 N et 30°25 E, à 9,5 milles au N30E de Rosette, tous feux éteints, une forte explosion se produit à bâbord avant sur l’arrière du panneau de la cale 1. L’embardée de 20° sur bâbord venait de commencer. La mâture et tout le navire sont fortement ébranlés. Aussitôt la gerbe d’eau et les débris retombés, mis les machines en arrière toute et stoppé le navire étale. Donné l’ordre au télégraphiste d’envoyer SOS et donné la position.
La cale 1 a le panneau complètement ouvert et est pleine d’eau. Le panneau supérieur de la cale 2 est soulagé. Et la sonde à cette cale accuse 2 m d’au. Comme il n’y a pas péril immédiat, donné ordre de ne pas évacuer le navire. Fait procéder à l’enlèvement des blessés du faux-pont n° 1 qui sont envoyés à l’infirmerie et pansés par les docteurs passagers.
Vers 11h00, l’eau montant dans la cale 2 malgré les moyens d’épuisement, l’avant du navire s’enfonce rapidement. Ordre est donné d’évacuer les passagers seulement. Radeaux et canots sont mis à la mer et les passagers y prennent place. Les radeaux sont remorqués par les canots jusqu’au convoyeur T. et les blessés sont évacués par les canots revenus vides le long du bord.
Malgré l’ordre donné à l’équipage de ne pas abandonner le navire, il ne reste pas à bord de personnel machine suffisant pour permettre au navire de faire route par ses propres moyens.
Vers minuit, les moyens d’épuisement qui fonctionnent bien à la cale 2 n’empêcheront pas l’eau de monter. Le navire s’enfonce par l’avant et prend de la gite sur bâbord. Le faux-pont 1 et les logements avant sont pleins d’eau. Les hélices émergent. Ordre est donné d’évacuer le navire, la position devenant de plus en plus dangereuse. Les passagers qui n’avaient pas voulu abandonner le navire et le reste du personnel prennent place dans les embarcations qui restent le long du bord. Le chef d’escorte signalant qu’il va remorquer le navire, le personnel du pont et de la machine remonte à bord. La remorque est donnée par l'arrière au convoyeur V. Les moyens d’épuisement continuent à fonctionner. Les embarcations sont amarrées le long du bord et remorquées avec le navire. La direction générale suivie est l’Ouest, par les étoiles, les compas soulevés par l’explosion étant tombés au fond de leurs boites. Le navire fait de grandes embardées qui fatiguent beaucoup la remorque.
Le 1er Avril 1918 à 04h00, la remorque casse au chaumard de couronnement. Vers 05h30 elle est reprise, mais elle casse à nouveau bien qu’elle soit faite par deux aussières neuves en manille de 90 mm de diamètre bout à bout. Le navire continue à apiquer et l’eau monte sur le pont à bâbord du gaillard. La cloison étanche fuit dans le faux-pont 3 qui se remplit et l’eau tombe dans la cale 3 par-dessus l’hiloire du panneau. Dans la crainte de voir le navire chavirer, je donne l’ordre d’évacuer le bord. L’équipage et les passagers restants rejoignent le convoyeur remorqueur.
Vers 06h30, les torpilleurs convoyeurs font passer tout l’équipage sur l’un et tous les passagers sur l’autre.
Le remorqueur anglais RESCUE, arrivé sur les lieux, se dispose à envoyer une remorque. Une partie de l’équipage pont et machine rejoint alors le bord et prend la remorque, puis met les moyens d’épuisement de la cale 2 à la cale 3, mais l’apiquage du navire ne permet pas une bonne efficacité de ces moyens. L’eau continue à monter lentement dans les logements et la bande devient inquiétante. A 11h45, le personnel prend place dans les embarcations, prêtes à s’écarter en cas d’accident impromptu. De temps à autre, je fais faire une ronde à bord. Vers 14h00, un second remorqueur approche et donne une remorque. Mais il s’écarte trop et la remorque hâle du travers augmentant encore la bande et mettant le navire en position critique. On largue cette remorque et le navire touche par l’avant à 14h50. La sonde donne 15 m à l’étrave, 10,5 m par le travers de la passerelle et 10 m derrière. Nous sommes échoués à l’accore de Culloden reef à 1,5 mille au N54E de l’île Nelson.
Embarqué les hommes d’équipage à bord du convoyeur japonais. Le remorqueur RESCUE reste mouillé de garde près du bord, prêt à donner tout secours. Entre 18h00 et 19h00, le vent fraîchit de NW et la mer se forme. Les lames déferlent sur le pont avant et le long du bord. Dans la nuit, la houle se forme et soulève le navire qui retombe lourdement sur le fond. Il garde un mouvement de roulis et l’avant s’enfonce de plus en plus tandis que l’arrière monte hors de l’eau. Les panneaux des cales 2 et 3 sont bien condamnés.
2 Avril 1918
Gros temps avec mer houleuse et vagues déferlantes. L’avant s’enfonce de plus en plus et l’eau arrive au panneau 2. L’arrière continue à s’élever et des secousses se produisent sous la cale 3.
Mr. BONTOUX, Agent Général des Messageries Maritimes à Alexandrie et Monsieur TUMPAKIS, Agent du Véritas, viennent pour se rendre compte de la situation du navire.
Le vent mollit dans la nuit, mais la houle reste forte. Moyens d’épuisement toujours en action. Essayé de remettre en état le poste TSF avarié.
3 Avril 1918
Les vagues déferlent violemment et couvrent tout l’avant jusqu’à la passerelle. L’avant est encore plus enfoncé et le gouvernail est hors de l’eau. Le panneau 3 est défoncé et la gite augmente sur bâbord. Un ingénieur anglais vient avec les capitaines de RESCUE et JERICHO. Vers 10h00, l’eau gagne rapidement la cale 3 et le bateau prend 23° de gite sur bâbord. Le RESCUE repartant pour Alexandrie, j’y envoie le 2e capitaine pour rendre compte de la situation. L’eau atteint la chaufferie et éteint les feux, puis envahit la machine et les cales 4 et 5. Le navire se redresse.
Le chalutier JERICHO jugeant la situation dangereuse m’ordonne par écrit de faire évacuer le navire avant la nuit. Je consens à lui envoyer mon équipage à condition qu’il revienne le lendemain. Il est convenu que je reste à bord, avec une embarcation armée par mes hommes à proximité. Mais à 15h00, le JERICHO part sans préavis pour Alexandrie alors qu’il reste encore 22 hommes à bord. Commandé de l’eau et des vivres à Aboukir.
4 Avril 1918
Le vent mollit et la houle de NW tombe. Mais la mer continue à briser sur le pont. L’eau monte dans le compartiment des machines qui sont complètement couvertes et dans les cales 4 et 5. Le bâtiment est échoué par le travers et les sondes montrent qu’il monte sur le banc.
A 18h00, arrivée de Monsieur MAGOT, intendant militaire, chef du transit maritime de Port Saïd, et Henry BONTOUX, Agent Général des Messageries Maritimes, accompagnés d’entrepreneurs de sauvetage et du 2e capitaine.
5 Avril 1918
Le navire continue à s’enfoncer et le sable étant chassé par la mer, les sondes accusent des fonds de roches friables. Le commandant du JERICHO monte à bord. Le navire fatigue mais n’est pas cassé. A 17h00, 10,5 m par le travers de la passerelle, 7,5 m à la cale 4, 9,5 m à l’hôpital, 8,5 à la cale 5 et 7 m à l’arrière. A partir de la cale 4 le navire ne porte donc pas.
6 Avril 1918
Même situation. L’ingénieur et le capitaine du RESCUE viennent à bord.
A 10h00 j’embarque sur ce navire avec 12 hommes pour régler la situation de mon équipage voir les autorités et déposer mon rapport. Le 2e capitaine reste à bord avec 9 hommes.
Commentaire
L’explosion est certainement due à une torpille. Les débris trouvés à bord le confirment, entre autres deux vis marquées 9835 zeta. Un des canonniers de la pièce avant a aussi tiré 3 coups, croyant apercevoir le sous-marin par tribord, 10 minutes après l’explosion. Un convoyeur japonais a aussi tiré un coup.
Les deux convoyeurs, T et V, ont fait tout leur possible pour atténuer les conséquences du torpillage et assurer le sauvetage du navire et des passagers. Pendant l’évacuation sur l’un, l’autre patrouillait sans arrêt et nous entourait d’un nuage de fumée. Vers 10h00, le sous-marin aurait à nouveau été aperçu et aurait lancé une torpille contre le convoyeur V. Les bâtiments anglais accourus à notre aide ont aussi prêté toute l’assistance possible, surtout le RESCUE.
Je tiens à signaler le sang froid et l’aide donnée par tous les officiers passagers pour l’évacuation de leurs soldats qui sont restés très disciplinés. Le commandant d’armes, le capitaine PIGEAUD est resté sur la passerelle jusqu’à l’évacuation du navire à 06h00 le 1er Avril, ainsi que le capitaine GRENET qui a pris le commandement d’une embarcation. Le médecin major de 1ère classe THIBAUDET, le médecin major de 2e classe VIERON se sont particulièrement signalés en aidant les officiers et les marins grâce à leur énergie et à leurs qualités de marins.
Dans le détachement je signale
- Le QM de timonerie BLOUIN François, Saint Brieuc 34175, qui n’a pas quitté un seul instant la passerelle et a été d’un grand secours pour le sauvetage. (POTHUAU et CASTELLORIZO)
- Le QM POIREAU (JAUREGUIBERRY) qui a coopéré avec la plus grande ardeur au sauvetage.
- Le timonier breveté DUPAIN Auguste qui s’est très bien conduit
- Une dizaine de marins qui se sont les mieux comportés, mais dont je n’ai pu savoir les noms.
Les matelots de l’équipage ont montré le plus grand calme et ont fait tout leur possible pour éviter toute panique et tout désarroi parmi les passagers.
Tous les officiers ont fait leur devoir avec la plus grande énergie, inspirant pleine confiance aux passagers. Grâce à leur valeur professionnelle et leur courage, deux passagers seulement ont disparu et le navire a pu être maintenu à flot et échoué. Les officiers mécaniciens ont fait pleinement leur devoir, maintenant les pompes en activité jusqu’au dernier moment. Malgré le danger permanent, tous les officiers sont restés à bord pour coopérer au sauvetage du navire et de la cargaison. Je signale d’une façon tout à fait spéciale :
- Le 2e capitaine Jean Marie POITEVIN
- Le chef mécanicien Célestin GUILLOU
Ainsi que les deux lieutenants et les deux officiers mécaniciens.
Parmi le personnel pont je signale Caradec, Le Nénan, Le Goff, Duval, Caravano, Gomis et le fusilier Calvez.
Parmi le personnel machine : Allain, Casanova, Yacomo, Gauthier, Tricot, Mallet, Lofficial et Matecat.
Le restaurateur Brun est toujours resté à bord.
Les plis secrets ont été jetés à la mer. Les papiers du bord et les 3 chronomètres ont été transportés sur le JERICHO.
Rapport du Commandant d’Armes, Capitaine PIGEAUD du 22e colonial
LA LOIRE a quitté Alexandrie le 31 Mars 1918 à 14h00 pour Port Saïd. Effectif des passagers : 7 officiers, 2 médecins, 32 sous-officiers et 396 marins et soldats.
Vers 19h50 le paquebot est soulevé par une explosion qui se produit à l’avant et commence à couler. L’alerte est aussitôt donnée et les consignes prévues appliquées. Le commandant prescrit l’évacuation pour les passagers. Les servants de la pièce avant ouvre le feu qur un objectif qui leur semble être un sous-marin à fleur d’eau.
L’évacuation s’effectue avec calme malgré l’obscurité et la perte de nombreux radeaux produite par la trombe d’eau. On eut à surmonter des difficultés assez grandes pour retirer les blessés de la cale où ils étaient ensevelis sous des débris divers et alors que les escaliers étaient détruits. A 21h10 le dernier homme des troupes embarquées avait évacué le paquebot. Les troupes furent transportées sur le destroyer convoyeur japonais T où elles furent reçues avec beaucoup de soins et de courtoisie.
Entre 23h00 et 05h00, le 2e destroyer de l’escorte essaie sans réussir de prendre LA LOIRE en remorque. A chaque fois, les aussières cassent. A 05h30, le commandant, jugeant que son navire pouvait disparaître d’un moment à l’autre, donne l’ordre d’évacuation complète. Le bord fut quitté par l’équipage restant, officiers, médecins, commandant d’armes, 2e capitaine et capitaine dont l’émotion bien visible prenait au cœur.
Les pertes sont de 2 disparus et 10 blessés. Les troupes passagères ont été ramenées par le torpilleur japonais T à Alexandrie où elles ont été reçues par l’autorité militaire anglaise et l’autorité civile française et installées au camp 4.
Les rescapés ; qui s’étaient sauvés avec très peu d’effets, en ont reçus de l’intendance anglaise. Ils ont été l’objet des soins les plus dévoués de la part du Consul de France, de la colonie française et des différentes œuvres de secours aux blessés de guerre, ainsi que des autorités anglaises.
Après un séjour de 24 heures à Alexandrie, les rescapés, sauf un détachement laissé pour aider au sauvetage du matériel laissé à bord de LA LOIRE ont quitté Alexandrie par train spécial et sont arrivés à Port Saïd le 2 à 07h00 du matin.
J’ai l’honneur de signaler la brillante attitude de Monsieur le LV auxiliaire de LANGLAIS, commandant de LA LOIRE, qui s’est montré d’un calme et d’un sang froid remarquable, d’un esprit de décision très net et d’un courage à toute épreuve.
Un état de propositions sera établi en faveur des officiers du bord et de la troupe, des marins et des soldats qui se sont particulièrement distingués au cours de l’évacuation du navire et du transbordement des passagers sur les destroyers d’escorte.
Les officiers et marins des destroyers japonais V et T ont fait aux rescapés un accueil très cordial et très empressé. Je laisse au commandant de LA LOIRE le soin de faire ressortir la façon active qu’ils ont apportée à la protection du navire et à son sauvetage.
(A suivre)
Cdlt