Les circonstances de la perte du transport auxiliaire Himalaya
• Canonnière Impatiente — alors commandée par le lieutenant de vaisseau Lucien Joseph Louis MOUREN —, Correspondance du commandant — 6 juill. 1916 ~ 26 févr. 1918 — : Service historique de la Défense, Cote SS Y 276, p. 118 à 126, 130 et 131 [p. num. 935 à 939 et 941].
Le Lieutenant de Vaisseau Mouren, commandant la canonnière Impatiente
à Monsieur le Capitaine de Vaisseau
à Monsieur le Capitaine de Vaisseau
Au sujet de la perte de l’Himalaya.
Commandant,
J’ai l’honneur de vous adresser le présent rapport pour vous rendre compte des circonstances dans les-quelles a eu lieu la perte du vapeur Himalaya le 22 à 2 h. 50 centrale par 38° 6’ et 11° 30’.
L’Himalaya naviguait en convoi avec les deux vapeurs Ville-de-Paris et Condé. Ce convoi était escorté par deux canonnières, Impatiente (chef de convoi) et Capricieuse.
Avant l’appareillage de Bizerte. — J’avais été informé par Monsieur le Capitaine de Vaisseau, chef du Service des escortes à Bizerte, à l’arrivée de l’Impatiente dans ce port, le 20, vers 23 h. (1), que cette canonnière et la Capricieuse devaient dans l’après-midi du lendemain escorter un convoi à Milo par Messine et Navarin. En même temps, j’avais reçu l’ordre de me rendre à bord des bâtiments du convoi à 11 heures pour leur donner des instructions.
Vers 9 h., reçu à bord de la Catapulte les instructions de Monsieur le Capitaine de Vaisseau, chef du Service des escortes (Pièce I.).
A 11 h., fait route avec une vedette vers l’Himalaya mouillé dans le goulet puis vers Sidi-Abdallah où se trouvent Ville-de-Paris, Condé et Capricieuse.
Remis aux Capitaines des trois vapeurs et au Commandant de la Capricieuse les instructions du Chef de service des escortes et rédigé pour chacun d’eux un complément d’instructions (Pièce II.). Remis en même temps un graphique de zigzags (Pièce III.), ajouté à mes instructions écrites quelques commen-taires et rappelé quelques recommandations dont voici le résumé :
1°) Les zigzags seront utilisés en particulier dans les deux cas suivants :
a) Nécessité de traverser une région particulièrement dangereuse ;
b) Nécessité de diminuer la vitesse dans le jour de la route afin de franchir de nuit certains parages.
2°) Recommandation pressante de bien tenir les distances. A considérer qu’il vaut mieux que le gise-ment de l’Himalaya soit plutôt supérieur à 60° qu’inférieur.
3°) En cas de rencontre d’un sous-marin, la meilleure manœuvre à faire sera en général :
a) Si le sous-marin est aperçu à un faible gisement — 50° environ— , essayer de l’aborder ;
b) Dans tous les autres cas, monter l’arrière, s’éloigner le plus rapidement possible, reprendre ensuite la route.
4°) En principe, l’Himalaya suit la route prescrite par les instructions ou celle signalée par l’Impa-tiente. Dans tous les cas — en particulier les sorties et entrées de port, les passages à Messine et Cervi —, Impatiente prendra les fonctions de guide au signal : « Me suivre. », l’Himalaya redevenant guide au signal : « Continuez votre route. ».
Le Condé ayant été prévenu un peu tard ne put appareiller qu’environ une heure après l’heure fixée.
Depuis l’appareillage jusqu’à 20 heures 10, le 22. — Le convoi sort du port vers 16 h. 30. Les bâti-ments se trouvent en ligne de file. Après le point P., signalé se former route au N. 55 E. Les bâtiments prennent la formation en angle de chasse. A 19 h. 55, signalé « Ligne de file. » (2). Donné pour la nuit aux officiers de quart les ordres suivants :
« Route à bâbord du convoi en se tenant entre 250 et 600 mètres du Condé et le relevant entre 60 et 90°. — Vitesse 10 nœuds environ ; suivre exactement l’estime. Me prévenir si l’Himalaya faisait une route l’écartant de plus de 4 milles de la route vraie.
Au jour, signaler : " Se former". Et faire une route distante de 400 mètres du Condé en relevant l’Hima-laya à 90°.— Me prévenir de tout incident. »
Navigué sans incidents importants jusqu’à 2 heures 10 à la vitesse de 11 nœuds 5, supérieure à celle prévue (10 nœuds).
A 21 h. 20, j’avais signalé à Ville-de-Paris qui était en arrière : « Efforcez-vous de vous tenir à 500 mètres de l’Himalaya. » Ville-de-Paris m’ayant aussitôt signalé : « Prière au guide d’allumer son feu de poupe. », l’Impatiente était venue par le travers de l’Himalaya et j’avais signalé à ce bâtiment d’allumer son feu de poupe atténué. Constaté que ce feu était très peu visible.
La perte de l’Himalaya. — A 2 h. 10, on aperçut d’immenses lueurs à bord de l’Himalaya. Je suis pré-venu dans la chambre de veille de la passerelle.
J’attribue d’abord les lueurs à un incendie. Aucun bruit d’explosion n’est entendu. Je fais rappeler au branle-bas de combat. Je recommande en particulier d’être prêt à lancer des grenades et nous nous di-rigeons à toute vitesse sur l’Himalaya. Je m’assure que les deux autres bâtiments du convoi font demi-tour et s’éloignent rapidement. Après un court instant d’hésitation, je crois préférable de ne rien leur signaler pour ne pas montrer de feu pouvant indiquer leur position — ces bâtiments faisant d’ailleurs la seule manœuvre logique — et aussi pour ne pas perdre du temps.
La mer est houleuse, la nuit obscure ; il souffle une jolie brise.
En arrivant près de l’Himalaya, constaté que l’avant est déjà immergé ; toujours de grandes lueurs le long du mât avant et dans son gréement. Essayé de me rapprocher le plus possible et espéré un instant pouvoir accoster. L’état de la mer, le vent, la nécessité de stopper à chaque instant à cause des hom-mes à l’eau rend cette manœuvre à peu près impossible. Mis aussitôt nos embarcations à l’eau. Le you-you, la baleinière et un berthon entreprennent des recherches et amènent les naufragés à bord ; le berthon, après avoir sauvé 9 hommes en trois voyages, s’emplit et chavire ; des bouts sont amarrés sur nos bouées et celles-ci sont envoyées aux hommes se trouvant à faible distance du bord. Nous manœu-vrons dans le but d’accélérer le plus possible le sauvetage. Tout le monde à bord s’emploie de son mieux avec la plus grande activité et dans un calme absolu. Plusieurs font preuve du plus grand dé-vouement.
Un quartier-maître se jette à l’eau pour porter une amarre à une embarcation par le travers que la houle éloigne de nous.
Trois hommes de l’Impatiente remplacent dans une baleinière de l’Himalaya des hommes de ce bâti-ment. Cette embarcation reste sous le commandement d’un lieutenant de l’Himalaya et prend une grand part aux recherches. Etc...
La Capricieuse procède de son côté au sauvetage (3).
Les opérations de sauvetage sont rendues très difficiles par l’état de la mer, l’obscurité et d’autres motifs que j’exposerai plus loin.
Presque tous les naufragés que nous recevons sont recueillis sur des épars par nos embarcations. Vers 2 h. 50, nous sommes tout à fait à proximité de l’Himalaya quand ce bâtiment coule par l’avant. Nous sauvons aussitôt quelques hommes restés à bord jusqu’au dernier moment, notamment plusieurs blessés.
Continué les recherches tant avec le bâtiment qu’avec les embarcations. A 4 h. 12, je fais signaler à la Capricieuse : « Dès que votre présence ne sera plus utile au sauvetage, faites route le plus rapidement possible vers Messine en tachant de rallier le reste du convoi. Tenez-moi au courant ; suivez la route. Je ferai route à 10 milles plus Nord. »
A 4 h. 20, la Capricieuse me signale : « Nous avons à bord une centaine de naufragés dont le comman-dant, qui croit que son bateau n’a pas été torpillé, une série d’explosions de munitions ayant suivi l’in-cendie spontané dans la cale avant. »
A 5 h., la Capricieuse fait route.
A 7 h. 35, après m’être assuré qu’il y a toutes les chances que tous les survivants sont sauvés, je fais mettre en route à 14 nœuds.
Nous avons à bord :
— 8 officiers de l’Himalaya et les 2 officiers passagers ;
— 15 hommes de l’équipage de l’Himalaya ;
— 51 militaires passagers.
La Capricieuse signale avoir recueilli :
— 2 officiers de l’Himalaya ;
— 44 hommes de l’équipage ;
— 54 militaires passagers.
Il y avait donc en tout 175 sauvés sur 204.
Vers 6 h., aperçu la Capricieuse.
Vers 9 h., la Capricieuse signale : « Convoi en vue. »
Hypothèses sur les causes de la perte de l’Himalaya. — Les faits observés par le personnel de quart à bord de l’Impatiente peuvent se résumer ainsi : apparition de flammes venant à former rapidement une véritable gerbe de feu dépassant la mâture et diminuant brusquement d’intensité. Dans la deu-xième phase, incendie dans la mâture. Entendu aucun bruit.
Le lieutenant officier de quart à bord de l’Himalaya a observé avant toute chose une forte explosion dans la partie du bâtiment située sur l’avant du mât avant, à tribord, très près de la coque. Cette ex-plosion a été suivie immédiatement d’une gerbe de feu très élevée, suivie elle-même de flammes et d’une forte chute de débris à tribord avant — dans cette partie du pont, se trouvaient des camions automobiles renfermant d’après certains témoignages de l’essence. Cet officier a observé aussi de petits crépitements ; il n’a vu ni sillage, ni silhouette, ni gerbe d’eau.
Le capitaine de la Ville-de-Paris, qui se trouvait à 400 mètres derrière l’Himalaya, a eu l’impression d’une explosion dans une cale avant du bâtiment.
Parmi les hommes sauvés par la Capricieuse, deux disent avoir vu un sillage à 15 mètres par bâbord.
Avec ces observations et beaucoup d’autres encore plus confuses, il est difficile d’établir avec netteté ce qui s’est passé. A mon avis, si toute torpille qui explose produit une gerbe d’eau, il est très peu pro-bable qu’il y ait eu torpillage, car tous les témoins, l’officier de quart en particulier, sont tous catégo-riques sur ce point : pas de gerbe d’eau.
L’hypothèse du torpillage devient au contraire possible si, dans certaines circonstances, l’explosion d’une torpille peut ne pas produire de gerbe d’eau. On peut admettre comme tout aussi vraisemblable l’hypothèse d’une mine en dérive, d’un incendie à bord suivi d’une explosion spontanée, la partie avant du bâtiment renfermant une très grande quantité de munitions.
Par ailleurs, je dois attirer encore l’attention sur le fait que la nuit était très noire, la visibilité très faible ; si on ajoute à cela que la mer était houleuse, il y a lieu d’être très surpris qu’un sous-marin ait pu attaquer dans ces conditions le premier bâtiment du convoi.
Observations au sujet du sauvetage. — Il m’a paru établir d’après divers témoignages qu’en plus des circonstances de temps excessivement défavorables, la perte des 28 hommes manquants est due en par-tie à deux causes :
1°) Précipitation trop grande avec laquelle les embarcations de l’Himalaya ont été amenées ;
2°) Erre conservée trop longtemps par le bâtiment dont les machines paraissent n’avoir été stoppées complètement que très tard.
Cette dernière circonstance a aggravé l’inconvénient d’avoir amené trop vite les embarcations, car elle est cause que plusieurs de celles-ci se sont brisées, se sont emplies, ont chaviré, ou se sont abordées.
Je crois devoir faire part de l’observation suivante, qui semble montrer qu’une fraction importante de l’équipage de l’Himalaya est pour une part responsable de la trop grande hâte avec laquelle les em-barcations et radeaux ont été amenés. Les circonstances ont amené les deux canonnières — dont les rôles se sont complétés — à opérer le sauvetage dans des conditions un peu différentes. A cause du très long parcours fait par l’Himalaya après la catastrophe, les naufragés se trouvaient sur une très grande étendue.
La Capricieuse a opéré dans la partie où se trouvaient les embarcations et radeaux qui paraissaient avoir été amenés dès les premiers instants ; l’Impatiente a opéré à l’endroit où l’Himalaya a stoppé et coulé et, comme je l’ai dit, a recueilli surtout les isolés se tenant sur des épaves : d’après la remar-que faite, ce sont ceux qui ont quitté le bord les derniers. Or, on peut rapporter de ces circonstances le fait que, sur la Capricieuse, il y a eu 44 hommes de l’équipage sauvés, tandis qu’il n’y en a eu que 15 sur l’Impatiente ; qu’au contraire sur l’Impatiente il y a eu 10 officiers sur 12 sauvés et quelques hommes blessés au moment même où le bâtiment a disparu ; parmi eux, un soldat ayant eu une jambe complètement fracturée par la chute de caisses tout à fait au dernier moment.
J’ajoute que quelques hommes de l’équipage de l’Himalaya paraissent au contraire avoir eu une con-duite tout à fait digne d’éloges, par exemple ceux qui, partis tard avec leur lieutenant dans une baleinière, ont effectué des recherches jusqu’à ce qu’ils soient remplacés par trois hommes de l’Impa-tiente.
Je ferai part encore de mon impression que l’erre trop grande conservée longtemps par le bâtiment a hâté sa disparition.
J’ai dit que tous les gradés et matelots de l’Impatiente avaient fait tout leur devoir. Je crois pouvoir affirmer qu’il n’a malheureusement pas été en leur pouvoir de sauver tout le monde. Au contraire, sans le dévouement dont ont fait preuve plus particulièrement quelques gradés et matelots, les pertes eussent été sensiblement plus élevées.
Je tiens à signaler plus spécialement à votre attention Monsieur Loisel, Premier maître élève officier, qui, étant sur le pont arrière, a rendu les plus grands services en dirigeant le sauvetage à cet endroit du bâtiment, et en me fournissant des renseignements me permettant de manœuvrer en arrière dans l’obscurité pour hâter le sauvetage : a pris plusieurs fois d’heureuses initiatives ; en particulier, a jeté sa ceinture dans une embarcation qui poussait à la recherche des naufragés, le rhum contenu dans cette ceinture ayant permis de ramener plusieurs naufragés épuisés ; n’a laissé partir le quartier-maître Belliot qu’après l’avoir fait amarrer, ce qui a permis de ramener ce quartier-maître à bord où il est arrivé à demi asphyxié.
Quartier-maître élève chef de quart Belliot : s’est jeté à l’eau spontanément par mer houleuse pour tenter de prêter un faux-bras à une embarcation sans avirons éloignée du bord ; a failli être victime de son dévouement, ayant été ramené à bord à demi asphyxié.
Quartier-maître canonnier Flamec : a arrivé seul par mer houleuse en berthon et a pu sauver neuf hommes ; son embarcation a chaviré au 3e voyage.
Timonier Burel : du bord de l’échelle de pilote, a aidé, malgré un roulis assez fort, plusieurs naufragés a monter à bord ; a sauvé la vie notamment à deux hommes arrivés le long du bord complètement épuisés.
Je n’ai pas considéré qu’il fut dans mon rôle, et je n’ai pas eu le temps de rechercher les actes de dé-vouement qui ont certainement été accomplis par plusieurs naufragés. L’enquête les révélera sans doute.
Je tiens cependant à signaler la conduite du lieutenant de l’Himalaya Thomas : a quitté très tard son bâtiment ; a ramené à bord dans une baleinière à moitié remplie d’eau plusieurs naufragés et est reparti quatre fois à la recherche d’autre naufragés.
Du docteur de l’Himalaya Perrot : dès son arrivée à bord, s’est mis en mesure de réconforter les nau-fragés et a soigné avec un dévouement remarquable plusieurs naufragés blessés.
Signé : Mouren.
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(1) Toutes les heures seront des heures de l’Europe centrale.
(2) Je n’ai pas cru devoir conserver pendant la nuit la formation de jour en angle de chasse pour de multiples raisons d’ordre général, les autres particulières au convoi. Je citerai notamment : la nuit s’annonçait devant être obscure ; dans ces conditions, la ligne de file est la seule formation que l’on puisse espérer tenir comme il faut ; c’est aussi celle avec laquelle les champs d’abordage sont réduits au minimum. Inexpérience des convois pour Ville-de-Paris et Condé ; craintes manifestées par ces deux bâtiments pour toute autre formation que la ligne de file ; changement de route dans la nuit ; trop peu de temps avant la nuit pour s’habituer à tenir l’angle de chasse, etc.
(3) J’ai eu dès le début l’intention de donner l’ordre à la Capricieuse de rallier les deux autres bâti-ments du convoi. J’ai changé d’idée dès que j’ai compris les difficultés qu’allait offrir le sauvetage. D’autre part, j’avais l’espoir que les deux canonnières pourraient rattraper le convoi dans un temps assez court ; une partie importante de ce temps allait d’ailleurs s’écouler dans la nuit.
L’Himalaya naviguait en convoi avec les deux vapeurs Ville-de-Paris et Condé. Ce convoi était escorté par deux canonnières, Impatiente (chef de convoi) et Capricieuse.
Avant l’appareillage de Bizerte. — J’avais été informé par Monsieur le Capitaine de Vaisseau, chef du Service des escortes à Bizerte, à l’arrivée de l’Impatiente dans ce port, le 20, vers 23 h. (1), que cette canonnière et la Capricieuse devaient dans l’après-midi du lendemain escorter un convoi à Milo par Messine et Navarin. En même temps, j’avais reçu l’ordre de me rendre à bord des bâtiments du convoi à 11 heures pour leur donner des instructions.
Vers 9 h., reçu à bord de la Catapulte les instructions de Monsieur le Capitaine de Vaisseau, chef du Service des escortes (Pièce I.).
A 11 h., fait route avec une vedette vers l’Himalaya mouillé dans le goulet puis vers Sidi-Abdallah où se trouvent Ville-de-Paris, Condé et Capricieuse.
Remis aux Capitaines des trois vapeurs et au Commandant de la Capricieuse les instructions du Chef de service des escortes et rédigé pour chacun d’eux un complément d’instructions (Pièce II.). Remis en même temps un graphique de zigzags (Pièce III.), ajouté à mes instructions écrites quelques commen-taires et rappelé quelques recommandations dont voici le résumé :
1°) Les zigzags seront utilisés en particulier dans les deux cas suivants :
a) Nécessité de traverser une région particulièrement dangereuse ;
b) Nécessité de diminuer la vitesse dans le jour de la route afin de franchir de nuit certains parages.
2°) Recommandation pressante de bien tenir les distances. A considérer qu’il vaut mieux que le gise-ment de l’Himalaya soit plutôt supérieur à 60° qu’inférieur.
3°) En cas de rencontre d’un sous-marin, la meilleure manœuvre à faire sera en général :
a) Si le sous-marin est aperçu à un faible gisement — 50° environ— , essayer de l’aborder ;
b) Dans tous les autres cas, monter l’arrière, s’éloigner le plus rapidement possible, reprendre ensuite la route.
4°) En principe, l’Himalaya suit la route prescrite par les instructions ou celle signalée par l’Impa-tiente. Dans tous les cas — en particulier les sorties et entrées de port, les passages à Messine et Cervi —, Impatiente prendra les fonctions de guide au signal : « Me suivre. », l’Himalaya redevenant guide au signal : « Continuez votre route. ».
Le Condé ayant été prévenu un peu tard ne put appareiller qu’environ une heure après l’heure fixée.
Depuis l’appareillage jusqu’à 20 heures 10, le 22. — Le convoi sort du port vers 16 h. 30. Les bâti-ments se trouvent en ligne de file. Après le point P., signalé se former route au N. 55 E. Les bâtiments prennent la formation en angle de chasse. A 19 h. 55, signalé « Ligne de file. » (2). Donné pour la nuit aux officiers de quart les ordres suivants :
« Route à bâbord du convoi en se tenant entre 250 et 600 mètres du Condé et le relevant entre 60 et 90°. — Vitesse 10 nœuds environ ; suivre exactement l’estime. Me prévenir si l’Himalaya faisait une route l’écartant de plus de 4 milles de la route vraie.
Au jour, signaler : " Se former". Et faire une route distante de 400 mètres du Condé en relevant l’Hima-laya à 90°.— Me prévenir de tout incident. »
Navigué sans incidents importants jusqu’à 2 heures 10 à la vitesse de 11 nœuds 5, supérieure à celle prévue (10 nœuds).
A 21 h. 20, j’avais signalé à Ville-de-Paris qui était en arrière : « Efforcez-vous de vous tenir à 500 mètres de l’Himalaya. » Ville-de-Paris m’ayant aussitôt signalé : « Prière au guide d’allumer son feu de poupe. », l’Impatiente était venue par le travers de l’Himalaya et j’avais signalé à ce bâtiment d’allumer son feu de poupe atténué. Constaté que ce feu était très peu visible.
La perte de l’Himalaya. — A 2 h. 10, on aperçut d’immenses lueurs à bord de l’Himalaya. Je suis pré-venu dans la chambre de veille de la passerelle.
J’attribue d’abord les lueurs à un incendie. Aucun bruit d’explosion n’est entendu. Je fais rappeler au branle-bas de combat. Je recommande en particulier d’être prêt à lancer des grenades et nous nous di-rigeons à toute vitesse sur l’Himalaya. Je m’assure que les deux autres bâtiments du convoi font demi-tour et s’éloignent rapidement. Après un court instant d’hésitation, je crois préférable de ne rien leur signaler pour ne pas montrer de feu pouvant indiquer leur position — ces bâtiments faisant d’ailleurs la seule manœuvre logique — et aussi pour ne pas perdre du temps.
La mer est houleuse, la nuit obscure ; il souffle une jolie brise.
En arrivant près de l’Himalaya, constaté que l’avant est déjà immergé ; toujours de grandes lueurs le long du mât avant et dans son gréement. Essayé de me rapprocher le plus possible et espéré un instant pouvoir accoster. L’état de la mer, le vent, la nécessité de stopper à chaque instant à cause des hom-mes à l’eau rend cette manœuvre à peu près impossible. Mis aussitôt nos embarcations à l’eau. Le you-you, la baleinière et un berthon entreprennent des recherches et amènent les naufragés à bord ; le berthon, après avoir sauvé 9 hommes en trois voyages, s’emplit et chavire ; des bouts sont amarrés sur nos bouées et celles-ci sont envoyées aux hommes se trouvant à faible distance du bord. Nous manœu-vrons dans le but d’accélérer le plus possible le sauvetage. Tout le monde à bord s’emploie de son mieux avec la plus grande activité et dans un calme absolu. Plusieurs font preuve du plus grand dé-vouement.
Un quartier-maître se jette à l’eau pour porter une amarre à une embarcation par le travers que la houle éloigne de nous.
Trois hommes de l’Impatiente remplacent dans une baleinière de l’Himalaya des hommes de ce bâti-ment. Cette embarcation reste sous le commandement d’un lieutenant de l’Himalaya et prend une grand part aux recherches. Etc...
La Capricieuse procède de son côté au sauvetage (3).
Les opérations de sauvetage sont rendues très difficiles par l’état de la mer, l’obscurité et d’autres motifs que j’exposerai plus loin.
Presque tous les naufragés que nous recevons sont recueillis sur des épars par nos embarcations. Vers 2 h. 50, nous sommes tout à fait à proximité de l’Himalaya quand ce bâtiment coule par l’avant. Nous sauvons aussitôt quelques hommes restés à bord jusqu’au dernier moment, notamment plusieurs blessés.
Continué les recherches tant avec le bâtiment qu’avec les embarcations. A 4 h. 12, je fais signaler à la Capricieuse : « Dès que votre présence ne sera plus utile au sauvetage, faites route le plus rapidement possible vers Messine en tachant de rallier le reste du convoi. Tenez-moi au courant ; suivez la route. Je ferai route à 10 milles plus Nord. »
A 4 h. 20, la Capricieuse me signale : « Nous avons à bord une centaine de naufragés dont le comman-dant, qui croit que son bateau n’a pas été torpillé, une série d’explosions de munitions ayant suivi l’in-cendie spontané dans la cale avant. »
A 5 h., la Capricieuse fait route.
A 7 h. 35, après m’être assuré qu’il y a toutes les chances que tous les survivants sont sauvés, je fais mettre en route à 14 nœuds.
Nous avons à bord :
— 8 officiers de l’Himalaya et les 2 officiers passagers ;
— 15 hommes de l’équipage de l’Himalaya ;
— 51 militaires passagers.
La Capricieuse signale avoir recueilli :
— 2 officiers de l’Himalaya ;
— 44 hommes de l’équipage ;
— 54 militaires passagers.
Il y avait donc en tout 175 sauvés sur 204.
Vers 6 h., aperçu la Capricieuse.
Vers 9 h., la Capricieuse signale : « Convoi en vue. »
Hypothèses sur les causes de la perte de l’Himalaya. — Les faits observés par le personnel de quart à bord de l’Impatiente peuvent se résumer ainsi : apparition de flammes venant à former rapidement une véritable gerbe de feu dépassant la mâture et diminuant brusquement d’intensité. Dans la deu-xième phase, incendie dans la mâture. Entendu aucun bruit.
Le lieutenant officier de quart à bord de l’Himalaya a observé avant toute chose une forte explosion dans la partie du bâtiment située sur l’avant du mât avant, à tribord, très près de la coque. Cette ex-plosion a été suivie immédiatement d’une gerbe de feu très élevée, suivie elle-même de flammes et d’une forte chute de débris à tribord avant — dans cette partie du pont, se trouvaient des camions automobiles renfermant d’après certains témoignages de l’essence. Cet officier a observé aussi de petits crépitements ; il n’a vu ni sillage, ni silhouette, ni gerbe d’eau.
Le capitaine de la Ville-de-Paris, qui se trouvait à 400 mètres derrière l’Himalaya, a eu l’impression d’une explosion dans une cale avant du bâtiment.
Parmi les hommes sauvés par la Capricieuse, deux disent avoir vu un sillage à 15 mètres par bâbord.
Avec ces observations et beaucoup d’autres encore plus confuses, il est difficile d’établir avec netteté ce qui s’est passé. A mon avis, si toute torpille qui explose produit une gerbe d’eau, il est très peu pro-bable qu’il y ait eu torpillage, car tous les témoins, l’officier de quart en particulier, sont tous catégo-riques sur ce point : pas de gerbe d’eau.
L’hypothèse du torpillage devient au contraire possible si, dans certaines circonstances, l’explosion d’une torpille peut ne pas produire de gerbe d’eau. On peut admettre comme tout aussi vraisemblable l’hypothèse d’une mine en dérive, d’un incendie à bord suivi d’une explosion spontanée, la partie avant du bâtiment renfermant une très grande quantité de munitions.
Par ailleurs, je dois attirer encore l’attention sur le fait que la nuit était très noire, la visibilité très faible ; si on ajoute à cela que la mer était houleuse, il y a lieu d’être très surpris qu’un sous-marin ait pu attaquer dans ces conditions le premier bâtiment du convoi.
Observations au sujet du sauvetage. — Il m’a paru établir d’après divers témoignages qu’en plus des circonstances de temps excessivement défavorables, la perte des 28 hommes manquants est due en par-tie à deux causes :
1°) Précipitation trop grande avec laquelle les embarcations de l’Himalaya ont été amenées ;
2°) Erre conservée trop longtemps par le bâtiment dont les machines paraissent n’avoir été stoppées complètement que très tard.
Cette dernière circonstance a aggravé l’inconvénient d’avoir amené trop vite les embarcations, car elle est cause que plusieurs de celles-ci se sont brisées, se sont emplies, ont chaviré, ou se sont abordées.
Je crois devoir faire part de l’observation suivante, qui semble montrer qu’une fraction importante de l’équipage de l’Himalaya est pour une part responsable de la trop grande hâte avec laquelle les em-barcations et radeaux ont été amenés. Les circonstances ont amené les deux canonnières — dont les rôles se sont complétés — à opérer le sauvetage dans des conditions un peu différentes. A cause du très long parcours fait par l’Himalaya après la catastrophe, les naufragés se trouvaient sur une très grande étendue.
La Capricieuse a opéré dans la partie où se trouvaient les embarcations et radeaux qui paraissaient avoir été amenés dès les premiers instants ; l’Impatiente a opéré à l’endroit où l’Himalaya a stoppé et coulé et, comme je l’ai dit, a recueilli surtout les isolés se tenant sur des épaves : d’après la remar-que faite, ce sont ceux qui ont quitté le bord les derniers. Or, on peut rapporter de ces circonstances le fait que, sur la Capricieuse, il y a eu 44 hommes de l’équipage sauvés, tandis qu’il n’y en a eu que 15 sur l’Impatiente ; qu’au contraire sur l’Impatiente il y a eu 10 officiers sur 12 sauvés et quelques hommes blessés au moment même où le bâtiment a disparu ; parmi eux, un soldat ayant eu une jambe complètement fracturée par la chute de caisses tout à fait au dernier moment.
J’ajoute que quelques hommes de l’équipage de l’Himalaya paraissent au contraire avoir eu une con-duite tout à fait digne d’éloges, par exemple ceux qui, partis tard avec leur lieutenant dans une baleinière, ont effectué des recherches jusqu’à ce qu’ils soient remplacés par trois hommes de l’Impa-tiente.
Je ferai part encore de mon impression que l’erre trop grande conservée longtemps par le bâtiment a hâté sa disparition.
J’ai dit que tous les gradés et matelots de l’Impatiente avaient fait tout leur devoir. Je crois pouvoir affirmer qu’il n’a malheureusement pas été en leur pouvoir de sauver tout le monde. Au contraire, sans le dévouement dont ont fait preuve plus particulièrement quelques gradés et matelots, les pertes eussent été sensiblement plus élevées.
Je tiens à signaler plus spécialement à votre attention Monsieur Loisel, Premier maître élève officier, qui, étant sur le pont arrière, a rendu les plus grands services en dirigeant le sauvetage à cet endroit du bâtiment, et en me fournissant des renseignements me permettant de manœuvrer en arrière dans l’obscurité pour hâter le sauvetage : a pris plusieurs fois d’heureuses initiatives ; en particulier, a jeté sa ceinture dans une embarcation qui poussait à la recherche des naufragés, le rhum contenu dans cette ceinture ayant permis de ramener plusieurs naufragés épuisés ; n’a laissé partir le quartier-maître Belliot qu’après l’avoir fait amarrer, ce qui a permis de ramener ce quartier-maître à bord où il est arrivé à demi asphyxié.
Quartier-maître élève chef de quart Belliot : s’est jeté à l’eau spontanément par mer houleuse pour tenter de prêter un faux-bras à une embarcation sans avirons éloignée du bord ; a failli être victime de son dévouement, ayant été ramené à bord à demi asphyxié.
Quartier-maître canonnier Flamec : a arrivé seul par mer houleuse en berthon et a pu sauver neuf hommes ; son embarcation a chaviré au 3e voyage.
Timonier Burel : du bord de l’échelle de pilote, a aidé, malgré un roulis assez fort, plusieurs naufragés a monter à bord ; a sauvé la vie notamment à deux hommes arrivés le long du bord complètement épuisés.
Je n’ai pas considéré qu’il fut dans mon rôle, et je n’ai pas eu le temps de rechercher les actes de dé-vouement qui ont certainement été accomplis par plusieurs naufragés. L’enquête les révélera sans doute.
Je tiens cependant à signaler la conduite du lieutenant de l’Himalaya Thomas : a quitté très tard son bâtiment ; a ramené à bord dans une baleinière à moitié remplie d’eau plusieurs naufragés et est reparti quatre fois à la recherche d’autre naufragés.
Du docteur de l’Himalaya Perrot : dès son arrivée à bord, s’est mis en mesure de réconforter les nau-fragés et a soigné avec un dévouement remarquable plusieurs naufragés blessés.
Signé : Mouren.
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(1) Toutes les heures seront des heures de l’Europe centrale.
(2) Je n’ai pas cru devoir conserver pendant la nuit la formation de jour en angle de chasse pour de multiples raisons d’ordre général, les autres particulières au convoi. Je citerai notamment : la nuit s’annonçait devant être obscure ; dans ces conditions, la ligne de file est la seule formation que l’on puisse espérer tenir comme il faut ; c’est aussi celle avec laquelle les champs d’abordage sont réduits au minimum. Inexpérience des convois pour Ville-de-Paris et Condé ; craintes manifestées par ces deux bâtiments pour toute autre formation que la ligne de file ; changement de route dans la nuit ; trop peu de temps avant la nuit pour s’habituer à tenir l’angle de chasse, etc.
(3) J’ai eu dès le début l’intention de donner l’ordre à la Capricieuse de rallier les deux autres bâti-ments du convoi. J’ai changé d’idée dès que j’ai compris les difficultés qu’allait offrir le sauvetage. D’autre part, j’avais l’espoir que les deux canonnières pourraient rattraper le convoi dans un temps assez court ; une partie importante de ce temps allait d’ailleurs s’écouler dans la nuit.
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Pièce I.
Le Capitaine de Frégate, Chef du service des escortes, désigne l’Impatiente et la Capricieuse pour escorter l’Himalaya et la Ville-de-Paris. Le Condé devant quitter Bizerte le 21 juin à 15 heures cen-trale été à destination de Milo par Messine. Milo~Salonique pour Himalaya et Ville-de-Paris. Milo~ Port-Saïd pour Condé. Vitesse 10 nœuds.
Route n° 1 de Bizerte à Messine. Directe de Messine sur Navarin. Quitter Navarin au commencement de la nuit, puis faire dans la mesure du possible la route Navarin~Cérigotto de nuit. Le détroit de Mes-sine doit être fait obligatoirement de nuit. Se garer au besoin à Messine. Passage par canal de Cervi par fonds de 200 mètres autorisé.
Instructions particulières. — Impatiente chef de convoi.
Formation du convoi. — Angle de chasse, les bâtiments de ailes relevant le bâtiment de tête à 60 °.
Position des escorteurs. — Sur les flancs du convoi à 20° sur l’avant du travers du centre de la formation.
Prévenir L.V. II. Messine de l’heure de l’arrivée du convoi à Messine. Garage à Messine et Navarin autorisé en cas de menace sur la route.
A bord Catapulte, le 21 juin 1917.
Le Capitaine de Frégate, chef du Service des escortes,
Signé : Joubert.
Route n° 1 de Bizerte à Messine. Directe de Messine sur Navarin. Quitter Navarin au commencement de la nuit, puis faire dans la mesure du possible la route Navarin~Cérigotto de nuit. Le détroit de Mes-sine doit être fait obligatoirement de nuit. Se garer au besoin à Messine. Passage par canal de Cervi par fonds de 200 mètres autorisé.
Instructions particulières. — Impatiente chef de convoi.
Formation du convoi. — Angle de chasse, les bâtiments de ailes relevant le bâtiment de tête à 60 °.
Position des escorteurs. — Sur les flancs du convoi à 20° sur l’avant du travers du centre de la formation.
Prévenir L.V. II. Messine de l’heure de l’arrivée du convoi à Messine. Garage à Messine et Navarin autorisé en cas de menace sur la route.
A bord Catapulte, le 21 juin 1917.
Le Capitaine de Frégate, chef du Service des escortes,
Signé : Joubert.
Pièce II.
Instructions complémentaires données aux capitaines des bâtiments du convoi Himalaya par le Commandant de l’Impatiente, Chef de convoi.
Départ (sortie des jetées) à 16 heures centrale été. Dès la sortie, ligne de file dans l’ordre Hima-laya~Ville-de-Paris~Condé, Impatiente en tête, Capricieuse en queue.
Au signal « Se former », prendre la formation en angle de chasse, Ville-de-Paris et Condé à 500 m. de l’Himalaya, respectivement à tribord et bâbord et le relevant à 60°.
Au signal « Se former », prendre la formation en angle de chasse, Ville-de-Paris et Condé à 500 m. de l’Himalaya, respectivement à tribord et bâbord et le relevant à 60°.
Himalaya guide de navigation.
En principe de nuit et sur signal, prendre la ligne de file dans l’ordre Himalaya~Ville-de-Paris~Condé. Hima-laya et Ville-de-Paris allument un feu de poupe atténué.
Signaux d’alerte :
— Sous-marin à bâbord : pavillon B. + boule + 2 coups longs.
— Sous-marin à tribord : pavillon B. + cône + 1 coups long.
Les routes signalées seront vraies.
Sur ordre de zigzags conformément au graphique joint.
En principe de nuit et sur signal, prendre la ligne de file dans l’ordre Himalaya~Ville-de-Paris~Condé. Hima-laya et Ville-de-Paris allument un feu de poupe atténué.
Signaux d’alerte :
— Sous-marin à bâbord : pavillon B. + boule + 2 coups longs.
— Sous-marin à tribord : pavillon B. + cône + 1 coups long.
Les routes signalées seront vraies.
Sur ordre de zigzags conformément au graphique joint.
Pièce III.
[Pièce non annexée à la transcription du rapport de mer]
[Pièce non annexée à la transcription du rapport de mer]