Bonjour à tous,
CAUCASE
Un petit complément sur le CAUCASE qui fait l'objet d'un volumineux rapport d'enquête aux archives de Vincennes.
Tout d'abord, le navire coulé, au secours duquel se précipite AFRIQUE II était le DEWA.
Dans son rapport, le commandant, le capitaine au long cours JACOB, signale que 8 personnes se sont précipitées dans le canot 2 qui a été amené à l'eau. Dans l'intérêt général, il a décidé d'abandonner ces 8 personnes à leur malheureux sort après avoir signalé leur position par TSF.
Ces 8 personnes sont :
Passagers
GARNIER Gabriel Soldat de 3e classe au 15e régiment d'infanterie coloniale
Madame GARNIER
Mademoiselle GARNIER (7 ans)
tous trois originaires de Fély, par Anonnay (Ardèche)
CERCEAU Henri Soldat de 2e classe au même régiment,
tous quatre embarqués à Tamatave
Equipage
VIONNET Alfred 1er maître d'hôtel
ROMANETTI André Garçon
CHECCHI Dominique Graisseur
BELLEME Gustave Boy boucher (Créole de La Réunion)
Rapport du CLC COSSON, second capitaine, sur cet incident
Suite au naufrage du DEWA, vers 19h05, je me trouvais à l'échelle bâbord, près des embarcations. Les passagers étaient aux postes d'abandon depuis 17h45. J'entendis une explosion sur la droite, que je reconnus être un coup de canon. Doutant du calme des passagers, j'ai crié à tout le monde de se coucher et de ne pas bouger. Il y a eu un 2e coup de canon et, me dirigeant vers l'arrière, je l'ai trouvé dans la plus grande confusion. L'embarcation n° 4 était débordée au ras de la lisse et chargée de monde. Les tirailleurs voulaient lancer les radeaux à la mer et ce n'est qu'à grand peine que j'ai pu les en empêcher. Sur tribord arrière, il y avait une embarcation entraînée pleine d'eau, sans personne à bord, dont l'un des garants, en filant, écrasait l'embarcation n° 6 débordée elle aussi et chargée de monde.
L'embarcation n° 4 fut alors amenée à 1m au dessus de l'eau.
Je fis évacuer et remettre à poste tous ces canots. Seul le n° 2, amené sans ordre par des gens paniqués alors que j'étais sur l'arrière, avait disparu. Ayant tout remis en place, je rendis compte au capitaine et l'appel fut fait. Il manquait 8 personnes, 4 passagers et 4 hommes d'équipage. Ils ont mis le canot à la mer alors que le navire était à pleine vitesse. Le garant a été largué, entraînant leur perte.
Le sous-marin a tiré au moins 5 coups de canon auquels il a été répondu coup pour coup.
Rapport du capitaine du vapeur anglais BAYVERDUN
Le 18 Septembre 1916 à minuit vingt, j'ai entendu des cris dans l'eau à 62 milles dans l'Est de Malte. J'ai stoppé et mis deux canots à la mer. J'ai recueilli 5 hommes du CAUCASE qui avaient tous leur ceinture de sauvetage. Ils étaient restés 6 heures à la mer. Après deux heures de recherches, j'ai hissé les canots. Je les ai débarqués à Port Saïd.
Note du LV Chateauminois, délégué de la Marine à Port Saïd
Cinq hommes du CAUCASE ont été retrouvés le 18 Septembre à minuit vingt par le vapeur anglais BAYVERDUN, à 62 milles dans l'est de Malte, et débarqués à Port Saïd.
Ce sont CERCEAU, VIONNET, ROMANETTI, CHECCHI et BELLEME.
Il sont rapatriés sur Marseille par le NERA.
nota : on remarque que personne ne fait allusion au repêchage de la famille GARNIER. Tous trois semblent avoir disparu lors du chavirage du canot, certainement celui que le second capitaine a aperçu, traîné vide sur tribord arrière. L'arrêt du vapeur anglais pendant deux heures semble prouver qu'ils ont été recherchés sans succès. Le capitaine ne précise pas clairement si les 5 survivants étaient dans le canot ou dans l'eau, mais il semblerait que ce soit dans l'eau. Le fait que le canot ait été traîné ne leur laissait guère de chance de le retrouver.
D'ailleurs, je doute un peu de la possibilité de survie à pareil bain forcé, et pendant six heures, d'une petite fille de 7 ans. Je doute également de la présence de ceintures de sauvetage pour enfants sur ce transport de troupes. Or des ceintures pour adultes, mises à des enfants, décapèlent très facilement ne leur laissant aucune chance de survie.
Déjà, ces cinq rescapés ont eu une chance inouïe : être retrouvés en pleine nuit au milieu de l'océan, grâce à leur cris, tient du miracle. Même non croyants, cela mérite de brûler un cierge à Notre Dame de la Garde à l'arrivée à Marseille...
Rapport du LV commandant AFRIQUE II
A 18h00 (ayant porté secours au DEWA) fait route à toute vitesse sur CAUCASE et SHIGIZAM à 10 milles dans le NNE. A 18h25, entendu coups de canon du CAUCASE et vu déflagrations très claires dans la nuit. Dans l'heure, le sous-marin n'avait pu se rapprocher du CAUCASE qui faisait route à vitesse maximum et, n'ayant entendu aucun autre tir que celui de son 47, je mets cet acte sur le compte de l'imagination et du manque de sang froid. L'explication qu'il donne, d'avoir répondu à des coups venant de l'Est me conforte dans ce jugement.
Ce lieutenant de vaisseau a sans doute parlé un peu vite et une longue enquête va être menée pour éclaircir deux points :
1) Le CAUCASE a-t-il été réellement canonné
2) Quelles sont les circonstances de la perte d'un canot.
Enquête
L'officier enquêteur reconstitue toute la chronologie et note déjà que l'heure de CAUCASE et celle d'AFRIQUE II diffèrent de 27 minutes. Mais celle de CAUCASE est en concordance avec l'heure du coucher du soleil, donc sans doute la plus fiable. De plus, les intervalles sont identiques ce qui prouve que sur les deux bâtiments on a observé les mêmes évènements aux mêmes instants.
Les routes sont retracées avec exactitude sur des graphiques. On calcule la hauteur de l'oeil d'un observateur sur les passerelles des deux navires et on en déduit la distance du sous-marin. Il en résulte que le sous-marin a ouvert le feu à trois milles.
28 personnes sont interrogées sur CAUCASE, officiers, maîtres et matelots, parmi lesquels le CLC COSSON, 2e capitaine, le CLC OLLIVIERI, lieutenant de quart, le médecin DECOCK, le contrôleur des services postaux MAUREL, le Maître d'équipage MAUREL (homonyme du précédent), le capitaine d'armes CIGLIORI, le matelot timonier MARIANI...
On interroge aussi le commandant d'armes des troupes embarquées (régiment d'infanterie coloniale de tirailleurs malgaches) le capitaine MUSQUIN et ses sous-officiers ( adjudant PROST, LANDREAU, PAUL et CASSET les trois derniers ayant le grade de maréchal des logis).
Nous passerons sur toutes ces dépositions quasiment identiques, sauf sur celle du capitaine Musquin, très formelle :
"CAUCASE a été canonné vers 19h00. J'ai personnellement entendu les coups (6), vu les lueurs de départ et entendu le sifflement des projectiles. Le premier est tombé à 50 m sur l'arrière. Les 4 suivants ont encadré le navire de part et d'autre de la cheminée, à faible hauteur et ont éclaté à 30 m du bord. Le 6e est passé au dessus de la passerelle et a éclaté à 15 m."
Tous les artilleurs précisent que ce sont des coups fusants.
L'officier enquêteur conclut que les témoignages du capitaine Jacob et du lieutenant Ollivieri sont précis et concordants. Il ajoute que ceux du capitaine Musquin et de ses sous-officiers sont particulièrement nets et précis. Tous savent ce qu'est un tir de canon et différencient parfaitement les tirs de leur navire de ceux du sous-marin. Selon eux, le CAUCASE n'a pas tiré sur un navire imaginaire.
Pour mettre cela en doute, il faudrait admettre que tous les témoins ont organisé un immense concert de mensonges, ou bien ont été victimes d'une colossale hallucination collective. "Ce sont là des hypothèses de roman qui échappent à celles d'une enquête", déclare-t-il in fine.
Bref, CAUCASE a bien été canonné à la nuit tombante. Il a reçu entre 5 et 7 coups.
AFRIQUE II fait remarquer à juste raison que le sous-marin qui a coulé DEWA n'a pu rejoindre CAUCASE en une heure. C'est exact. Mais rien ne permet d'affirmer qu'il n'y avait pas un deuxième sous-marin.
En ce qui concerne l'affaire du canot 2, l'officier écrit :
" La bande Romanetti, Checci (aussi orthographié Checchi), Dagore et Tavera s'était entendue depuis quelque temps pour décamper au plus vite. Dès que le second a eu le dos tourné, Tavera a dessaisi le canot 2 et a fait monter dedans Madame Garnier et sa fille. Les soldats Garnier et Cerceau ont suivi, puis Romanetti, Vionnet, Belleme et Checci. Tavera était au bossoir de l'arrière. Au bossoir de l'avant, il y avait un homme qui n'a pas été reconnu. C'est cet homme qui a levé la cale et affalé le canot alors que le bâtiment était à pleine vitesse. Le garant n'a pas été coupé par un projectile. Il a été retrouvé dévidé en entier.
Dès que Tavela et sa bande ont eu amené le canot 2, le maître d'équipage, patron du canot n° 4, les a imité servilement, sans que son bon sens ou sa conscience professionnelle ne se soient révoltés devant une manoeuvre aussi absurde et monstrueuse. Il s'est installé le premier dans le canot et a commencé à faire embarquer. Il a fallu l'intervention vigoureuse du second pour le ramener à la réalité. L'embarcation était alors à 1 m de l'eau."
Voici un plan de pont du CAUCASE avec la position des canots et radeaux.
Conclusions de l'officier enquêteur
Le rôle d'abandon n'était pas idéal. Le bord, en accord avec le commandant d'armes, avait groupé 8 des 9 sous-officiers d'infanterie dans 2 canots. Ils auraient du être répartis comme patrons des radeaux des tirailleurs malgaches où il n'y avait aucun officier. Ils y auraient été plus utiles pour maintenir l'ordre.
De plus, l'expression "AUX POSTES D'ABANDON" lancée par le bord a agi défavorablement sur les esprits. Il faut s'en tenir à celle en usage sur les bâtiments de l'armée navale : "POSTES D'EVACUATION".
Bref, juste quelques petites améliorations à apporter pour éviter la panique...
En conclusion de tous ces rapports on peut donc affirmer qu'en cherchant à fuir l' UB 43 qui venait de couler le DEWA, CAUCASE et SHIGIZAM MARU sont tombés sur U 35 de von Arnauld de la Périère. Une journée peu chanceuse...
Cdlt