Re: Opérer ou ne pas opérer les blessés du ventre en 14-18 ?
Publié : mar. févr. 24, 2009 12:20 pm
Bonjour à tous,
Travaillant sur l’évolution des techniques de soins durant la guerre 14-18, j’ai essayé de faire une fiche concernant le traitement des blessures au ventre. La règle au début de la guerre était l’abstention chirurgicale systématique et à la fin de la guerre l’intervention chirurgicale systématique. Comment expliquer ce changement complet de méthode ?
Ce petit résumé concerne uniquement les blessures avec perforation par balles ou par éclats dans l’abdomen et pas les terribles blessures de type éviscération car les malheureux blessés mouraient le plus souvent très rapidement.
Une hiérarchie existe cependant dans la gravité des plaies du ventre par balle ou par éclats :
Plaie pariétale : Simple atteinte de la paroi abdominale sans atteinte plus profonde et sans lésion des viscères.
Plaie perforante : Avec atteinte des viscères et déversement dans le ventre du contenu de l’intestin et avec d’autres lésions possibles à d’autres organes vitaux et aussi pénétration dans la cavité abdominale de bouts de tissus, terre et autres corps étrangers.
Pour les médecins du poste de secours la relation avec les blessés du ventre était brève, on ne pouvait guère faire autre chose qu’un pansement sommaire et procéder à l’évacuation vers l’ambulance chirurgicale.
Au début de la guerre : La règle de l’abstention chirurgicale systématique
Le Docteur Xavier DELORE, chirurgien écrit :
« Devant mes yeux apparaissent encore trois officiers atteints de plaie par balle au ventre au milieu de mille blessés de la veille. Ils causaient tranquillement et se sentaient peu touchés. Après quelques mots d’encouragements, je passais, la mort dans l’âme. Moins de 24 heures plus tard tous trois étaient morts ».
Le Docteur Lucien LABY écrit le 25 mai 1917 :
« Le lieutenant Maldent avec qui j’ai passé une partie de l’hiver à Braisne et à Ribaudont, un excellent camarade, m’est apporté dans une toile de tente, affreusement replié en deux ; il est jaune, les traits tirés et fait peine à voir. Il me demande si la plaie est pénétrante ; je le rassure de mon mieux. Mais quand il demande à boire, je suis obligé de lui refuser. Alors il se rend bien compte qu’il a une perforation. Il me supplie de lui donner de l’eau pour se rincer la bouche. Je lui fais jurer de ne pas l’avaler. Comme c’est horrible. Il tient sa parole. S’en tirera-t-il ? J’en doute … Le 30 mai 1917, ordre de départ. J’apprends la mort de mon pauvre ami Maldent .»
La communication du 10 août 1914 par le docteur Edmond Delorme, chirurgien renommé, fut reprise dans une circulaire d’octobre 1914 adressée aux chirurgiens du front et réaffirma le principe intangible de l’abstentionnisme opératoire pour les blessures au ventre. Ce dogme de l’abstention opératoire était enseigné à l’hôpital du Val de Grâce. Il était admis par presque tous les chirurgiens militaires et reposait fondamentalement sur l’expérience acquise par les chirurgiens lors des guerres précédentes.
Le docteur Robert Picqué déclarait en 1916 : « Aucune des guerres antérieures ne s’est terminée sans avoir ramené en faveur la doctrine abstentionniste ».
Les abstentionnistes étant convaincu que les conditions d’une intervention chirurgicale étaient trop difficiles à mettre en place et incompatibles avec les conditions d’une guerre moderne.
Au début de la guerre, deux chirurgiens, Gross et Weisser, affectés dans une unité proche du front, publièrent une statistique sur 66 blessés du ventre : 9 opérés avec 9 morts. 57 traités médicalement et avec abstention chirurgicale dont 8 guérisons.
Mais très rapidement les statistiques suivantes établies par les autres équipes chirurgicales firent état de résultats catastrophiques avec 100 % de décès.
Petit à petit certains chirurgiens, devant ces résultats catastrophiques, essayèrent tout de même d’opérer les blessés et en eurent les premiers résultats satisfaisants, les premiers opérés qui survécurent. Un taux de réussite au départ d’environ 40 %.
Ceci démontra que l’intervention était réalisable avec succès et que la mortalité était également liée :
- Aux conditions de transport,
- Aux délais d’évacuation,
- A la compétence des équipes chirurgicales.
Les travaux de la société de chirurgie en juin 1915 marquèrent un tournant décisif dans la discussion sur la conduite à tenir dans les traitements des plaies du ventre. Le Professeur Quénu qui avait eu 89 des décès sur 117 blessés du ventre malgré une abstention chirurgicale systématique, devint le plus ardant défenseur de l’intervention systématique avec d’autres chirurgiens qui publièrent des séries d’observations d’opérés avec + de 50 % de guérison, ces interventions étant pratiquées le plus rapidement possible sur des blessés transportés avec le plus de précautions possibles.
C’est Quénu qui établit clairement la distinction entre les plaies de l’abdomen pénétrantes et les plaies non pénétrantes. Les plaies pénétrantes étant elles mêmes divisées en plaies pénétrantes simples sans atteinte viscérales et les plaies pénétrantes viscérales. C’est lui qui, en examinant 45 plaies de l’abdomen, s’aperçut que la distinction n’était pas faite entre les plaies pénétrantes et les autres, les plaies non pénétrantes pouvant bien sûr guérir par un simple traitement médical, les autres jamais.
De 1915 à 1916, le docteur Quénu continua à plaider en faveur de l’intervention chirurgicale pour ce type de blessures.
A la fin de 1915, le chirurgien Vignard constate :
Il faut opérer le plus tôt possible, en améliorant les conditions opératoires ; la victoire restera finalement au bistouri, toute la difficulté étant de faire une évacuation le plus rapide et la moins traumatisante possible, le docteur Bichat insistant sur les douleurs et les risques d’hémorragies provoquées par les cahots lors du transport par les véhicules automobiles. D’ou la nécessité d’avoir des équipes chirurgicales le plus près possible du front.
L’abstentionnisme abandonné :
Malheureusement bien souvent, devant l’afflux des blessés, les chirurgiens, préférant essayer de sauver le plus d’existences possibles et compte tenu du temps nécessaire à une intervention du ventre, délaissaient les blessés de l’abdomen au profit des autres.
Le docteur Chevassu, débordé par le nombre des blessés graves qui lui étaient incessamment amenés, avait du recourir au plus pressé et abandonner, le cœur serré, des opérations abdominales longues à exécuter et dont les résultats eussent été aléatoires, et une distinction fut établie entre période d’offensive et période d’accalmie sous l’influence d’un des derniers abstentionnistes, le docteur Tuffier. Les interventions abdominales n’étaient possibles qu’en phase d’accalmie avec des conditions sanitaires favorables et ne pouvaient donner de bons résultats en période d’avance ou de recul.
Mais en dépit de ces réserves, petit à petit le principe de l’intervention chirurgicale systématique pour les blessés du ventre fut acquis.
Enfin en 1916, la Société de Chirurgie émit le vœu que l’intervention précoce soit faite pour les blessés de l’abdomen et que les ambulances automobiles soient concentrées au point où affluent les blessés.
La fin de la guerre :
En dépit des hésitations et des différences de point de vue et des différences d’attitudes en fonction des stades du conflit, le Médecin chef, le docteur Duval, releva 53% de bons résultats chez les opérés du ventre pour l’ensemble de la guerre 14 – 18.
En comparant avec les statistiques catastrophiques de 1914 (100 % de décès pour les plaies pénétrantes ) c’était une très nette amélioration. .
Avec le recul que nous avons maintenant il paraît incroyable que l’on ait pu au début de la guerre systématiquement interdire d’opérer les blessés du ventre.
La « brutalisation » de la guerre et la mise en service de nouvelles armes de la guerre dite « moderne » peut expliquer en partie les nombreuses erreurs commises par le corps médical..
Au début 1914, le corps de santé n’était pas du tout prêt et presque tout était à recomprendre et à réorganiser.
Cela a été fait au prix de trop nombreuses erreurs et malheureusement les poilus ont souvent payé tout cela de leur vie.
Merci de vos avis et de vos réactions,
Amicalement,
Alain MC


Travaillant sur l’évolution des techniques de soins durant la guerre 14-18, j’ai essayé de faire une fiche concernant le traitement des blessures au ventre. La règle au début de la guerre était l’abstention chirurgicale systématique et à la fin de la guerre l’intervention chirurgicale systématique. Comment expliquer ce changement complet de méthode ?
Ce petit résumé concerne uniquement les blessures avec perforation par balles ou par éclats dans l’abdomen et pas les terribles blessures de type éviscération car les malheureux blessés mouraient le plus souvent très rapidement.
Une hiérarchie existe cependant dans la gravité des plaies du ventre par balle ou par éclats :
Plaie pariétale : Simple atteinte de la paroi abdominale sans atteinte plus profonde et sans lésion des viscères.
Plaie perforante : Avec atteinte des viscères et déversement dans le ventre du contenu de l’intestin et avec d’autres lésions possibles à d’autres organes vitaux et aussi pénétration dans la cavité abdominale de bouts de tissus, terre et autres corps étrangers.
Pour les médecins du poste de secours la relation avec les blessés du ventre était brève, on ne pouvait guère faire autre chose qu’un pansement sommaire et procéder à l’évacuation vers l’ambulance chirurgicale.
Au début de la guerre : La règle de l’abstention chirurgicale systématique
Le Docteur Xavier DELORE, chirurgien écrit :
« Devant mes yeux apparaissent encore trois officiers atteints de plaie par balle au ventre au milieu de mille blessés de la veille. Ils causaient tranquillement et se sentaient peu touchés. Après quelques mots d’encouragements, je passais, la mort dans l’âme. Moins de 24 heures plus tard tous trois étaient morts ».
Le Docteur Lucien LABY écrit le 25 mai 1917 :
« Le lieutenant Maldent avec qui j’ai passé une partie de l’hiver à Braisne et à Ribaudont, un excellent camarade, m’est apporté dans une toile de tente, affreusement replié en deux ; il est jaune, les traits tirés et fait peine à voir. Il me demande si la plaie est pénétrante ; je le rassure de mon mieux. Mais quand il demande à boire, je suis obligé de lui refuser. Alors il se rend bien compte qu’il a une perforation. Il me supplie de lui donner de l’eau pour se rincer la bouche. Je lui fais jurer de ne pas l’avaler. Comme c’est horrible. Il tient sa parole. S’en tirera-t-il ? J’en doute … Le 30 mai 1917, ordre de départ. J’apprends la mort de mon pauvre ami Maldent .»
La communication du 10 août 1914 par le docteur Edmond Delorme, chirurgien renommé, fut reprise dans une circulaire d’octobre 1914 adressée aux chirurgiens du front et réaffirma le principe intangible de l’abstentionnisme opératoire pour les blessures au ventre. Ce dogme de l’abstention opératoire était enseigné à l’hôpital du Val de Grâce. Il était admis par presque tous les chirurgiens militaires et reposait fondamentalement sur l’expérience acquise par les chirurgiens lors des guerres précédentes.
Le docteur Robert Picqué déclarait en 1916 : « Aucune des guerres antérieures ne s’est terminée sans avoir ramené en faveur la doctrine abstentionniste ».
Les abstentionnistes étant convaincu que les conditions d’une intervention chirurgicale étaient trop difficiles à mettre en place et incompatibles avec les conditions d’une guerre moderne.
Au début de la guerre, deux chirurgiens, Gross et Weisser, affectés dans une unité proche du front, publièrent une statistique sur 66 blessés du ventre : 9 opérés avec 9 morts. 57 traités médicalement et avec abstention chirurgicale dont 8 guérisons.
Mais très rapidement les statistiques suivantes établies par les autres équipes chirurgicales firent état de résultats catastrophiques avec 100 % de décès.
Petit à petit certains chirurgiens, devant ces résultats catastrophiques, essayèrent tout de même d’opérer les blessés et en eurent les premiers résultats satisfaisants, les premiers opérés qui survécurent. Un taux de réussite au départ d’environ 40 %.
Ceci démontra que l’intervention était réalisable avec succès et que la mortalité était également liée :
- Aux conditions de transport,
- Aux délais d’évacuation,
- A la compétence des équipes chirurgicales.
Les travaux de la société de chirurgie en juin 1915 marquèrent un tournant décisif dans la discussion sur la conduite à tenir dans les traitements des plaies du ventre. Le Professeur Quénu qui avait eu 89 des décès sur 117 blessés du ventre malgré une abstention chirurgicale systématique, devint le plus ardant défenseur de l’intervention systématique avec d’autres chirurgiens qui publièrent des séries d’observations d’opérés avec + de 50 % de guérison, ces interventions étant pratiquées le plus rapidement possible sur des blessés transportés avec le plus de précautions possibles.
C’est Quénu qui établit clairement la distinction entre les plaies de l’abdomen pénétrantes et les plaies non pénétrantes. Les plaies pénétrantes étant elles mêmes divisées en plaies pénétrantes simples sans atteinte viscérales et les plaies pénétrantes viscérales. C’est lui qui, en examinant 45 plaies de l’abdomen, s’aperçut que la distinction n’était pas faite entre les plaies pénétrantes et les autres, les plaies non pénétrantes pouvant bien sûr guérir par un simple traitement médical, les autres jamais.
De 1915 à 1916, le docteur Quénu continua à plaider en faveur de l’intervention chirurgicale pour ce type de blessures.
A la fin de 1915, le chirurgien Vignard constate :
Il faut opérer le plus tôt possible, en améliorant les conditions opératoires ; la victoire restera finalement au bistouri, toute la difficulté étant de faire une évacuation le plus rapide et la moins traumatisante possible, le docteur Bichat insistant sur les douleurs et les risques d’hémorragies provoquées par les cahots lors du transport par les véhicules automobiles. D’ou la nécessité d’avoir des équipes chirurgicales le plus près possible du front.
L’abstentionnisme abandonné :
Malheureusement bien souvent, devant l’afflux des blessés, les chirurgiens, préférant essayer de sauver le plus d’existences possibles et compte tenu du temps nécessaire à une intervention du ventre, délaissaient les blessés de l’abdomen au profit des autres.
Le docteur Chevassu, débordé par le nombre des blessés graves qui lui étaient incessamment amenés, avait du recourir au plus pressé et abandonner, le cœur serré, des opérations abdominales longues à exécuter et dont les résultats eussent été aléatoires, et une distinction fut établie entre période d’offensive et période d’accalmie sous l’influence d’un des derniers abstentionnistes, le docteur Tuffier. Les interventions abdominales n’étaient possibles qu’en phase d’accalmie avec des conditions sanitaires favorables et ne pouvaient donner de bons résultats en période d’avance ou de recul.
Mais en dépit de ces réserves, petit à petit le principe de l’intervention chirurgicale systématique pour les blessés du ventre fut acquis.
Enfin en 1916, la Société de Chirurgie émit le vœu que l’intervention précoce soit faite pour les blessés de l’abdomen et que les ambulances automobiles soient concentrées au point où affluent les blessés.
La fin de la guerre :
En dépit des hésitations et des différences de point de vue et des différences d’attitudes en fonction des stades du conflit, le Médecin chef, le docteur Duval, releva 53% de bons résultats chez les opérés du ventre pour l’ensemble de la guerre 14 – 18.
En comparant avec les statistiques catastrophiques de 1914 (100 % de décès pour les plaies pénétrantes ) c’était une très nette amélioration. .
Avec le recul que nous avons maintenant il paraît incroyable que l’on ait pu au début de la guerre systématiquement interdire d’opérer les blessés du ventre.
La « brutalisation » de la guerre et la mise en service de nouvelles armes de la guerre dite « moderne » peut expliquer en partie les nombreuses erreurs commises par le corps médical..
Au début 1914, le corps de santé n’était pas du tout prêt et presque tout était à recomprendre et à réorganiser.
Cela a été fait au prix de trop nombreuses erreurs et malheureusement les poilus ont souvent payé tout cela de leur vie.
Merci de vos avis et de vos réactions,
Amicalement,
Alain MC
