Re: Un mois avec une Ambulance à Raon-l'Etape
Publié : ven. avr. 27, 2007 12:06 pm
Bonjour à tous,
Pour les passionnés du service de santé, et les autres... un aperçu du fonctionnement de l'Ambulance 1/44 à Raon-l'Etape, en septembre et octobre 1914.
Bonne lecture !
Bien cordialement,
Eric Mansuy
"11 septembre 1914
L’Ambulance part pour Destord où elle cantonne. Inspection passée par M. le Médecin Principal Gouzien.
12 septembre
En ce jour, lecture de la proclamation du général Joffre annonçant la victoire de la Marne.
Vers 11 heures, nous partons pour Frémifontaine, Autrey, Jeanménil où nous cantonnons.
13 septembre
L’Ambulance se rend à Larifontaine où elle cantonne.
14 septembre
Retour à Jeanménil. A 17 heures, départ pour Raon-l’Etape, en passant par Brû, Saint-Benoît, le col de la Chipotte. Arrivée à 22 heures. Nous cantonnons dans une papeterie, à l’extrémité de la Neuveville.
15 septembre
L’Ambulance va s’installer à la caserne des Chasseurs de Raon-l’Etape où elle travaille jusqu’au 22 septembre. L’infirmerie est réservée aux grands blessés : c’est là que se trouvent salles d’opérations et pansements. Un des bâtiments de la caserne est aménagé en dépôt d’éclopés.
Nous succédons à une ambulance allemande qui a laissé deux médecins et dix infirmiers : dès le second jour, ce personnel sanitaire allemand est reconduit par les soins de la Gendarmerie.
Nous trouvons les blessés dans la plus repoussante saleté. Au milieu d’eux étaient sept cadavres qu’on avait négligé d’enlever. Un cadavre datant d’environ trois semaines a été trouvé dans un petit local où il avait été oublié. Les blessés eux-mêmes avaient été complètement négligés. Beaucoup étaient couverts de vermine. Entre les couchettes, il y avait de véritables matelas de pus, de matières, de vomissements. Certains blessés nageaient positivement dans le pus.
Les médecins allemands ne transportaient pas les blessés à panser à la salle de pansements mais les laissaient dans leur lit. Aussi conçoit-on ce que les grandes plaies suppurantes, les empyèmes, etc., laissaient écouler dans les lits et alentour. D’ailleurs, les médecins allemands se contentaient la plupart du temps de renforcer les pansements sans les refaire.
A remarquer l’abus considérable de la morphine par les médecins allemands. Toutes les fois qu’un blessé se plaignait, réclamait un pansement, etc., il recevait une piqûre de deux centigrammes de chlorhydrate de morphine. Aussi certains d’entre eux recevaient-ils jusqu’à dix et douze centigrammes par jour et la plupart étaient devenus morphinomanes. Nous fûmes obligés de continuer à les piquer et d’effectuer la cure de démorphinisation par l’emploi de doses dégressives.
Nous constatâmes également, chez plusieurs blessés, l’ébauche d’opérations restées inachevées, en particulier une désarticulation du genou commencée chez un sergent-major du 52e de ligne, un sinus chez un soldat, etc. De nombreuses fractures de divers types n’avaient jamais été immobilisées ; quelques tours de bande avaient paru suffisants aux médecins allemands.
Le nettoyage des locaux, le renouvellement des pansements, l’immobilisation des fractures, l’évacuation des blessés mis en état, nous occupèrent activement pendant huit jours. Des corvées supplémentaires furent reprises en ville pour effectuer les inhumations et pour débarrasser les cours d’une grande quantité de linges et pansements souillés, de matières de toute nature, qui furent brûlés sur place.
Le 15 septembre, le carnet de passage signale cent trente-trois malades de passage, dont soixante-seize Français et cinquante-sept Allemands.
Du 15 au 22 septembre, nous avons eu deux cent onze entrées de soldats français dont seize sous-officiers, et seize entrées de soldats allemands.
Nous avons évacué cent six Français et sept Allemands. Pendant tout notre séjour à Raon-l’Etape, les évacuations sont faites par la voie ferrée qui relie Raon à Saint-Dié.
Dix-sept soldats français du dépôt d’éclopés, ont été renvoyés guéris à leurs corps.
Nous avons eu dix décès, dont trois de soldats français. Les inhumations ont été faites par les soins de l’Ambulance ; celles des Français, au cimetière de Raon-l’Etape, avec croix portant les indications du nom, de la classe et du régiment, et celles des Allemands, à proximité de la caserne.
22 septembre
Nous transportons les blessés graves, non évacuables, ceux qui avaient besoin d’une intervention urgente, au nombre de quatre-vingt quinze dont six Allemands, à l’hôpital de Raon, occupé par l’Ambulance qui le quitte le jour même en nous laissant ses blessés au nombre de cent soixante-cinq, soit cent trente-sept Français, dont dix sous-officiers, et vingt-huit Allemands, dont deux officiers et deux sous-officiers.
L’Ambulance 1/44 s’installe à son tour à l’hôpital. Alors commence une période de grande activité chirurgicale. Un bâtiment indépendant est affecté aux maladies contagieuses avec une religieuse infirmière et un infirmier.
Du 22 septembre au 11 octobre, date de départ de l’Ambulance, il y eut cent quatre-vingt deux entrants français, dont deux capitaines, un Médecin Aide-Major de 1re classe, deux sous-lieutenants et douze sous-officiers, et six entrants allemands.
Trois cent quatre-vingt-six Français et vingt-cinq Allemands furent évacués.
Il y eut dix-sept décès de soldats français et huit d’allemands. A partir de notre installation à l’hôpital de Raon, les inhumations sont assurées par les soins de l’Administration de l’hôpital, dans le cimetière de Raon-l’Etape.
En outre, quatre cent vingt soldats français, blessés légers, ont passé à la formation et ont rejoint leurs corps, le jour même de leur arrivée, après le repas du soir.
Enfin, à notre départ, nous avons laissé, à l’hôpital de Raon, cinq soldats français et sept soldats allemands, tous intransportables.
L’Ambulance 1/44 avait trouvé dans la caserne des Chasseurs à Raon, où elle s’était installée à la suite de l’ambulance allemande, divers objets abandonnés par cette dernière et se composant notamment de :
Paquets de gaze à pansement, apprêtée et non apprêtée ;
Bandes de gaze apprêtée et non apprêtée ;
Coton hydrophile ;
Echarpe triangulaire, rouleaux de leucoplaste, catguts ;
Médicaments : alcool dénaturé, iode, comprimés divers.
Tout ce matériel a été laissé à l’hôpital mixte de Raon-l’Etape qui se trouvait fort démuni.
11 octobre 1914
Nous quittons Raon-l’Etape vers midi pour aller cantonner à Rambervillers, à la caserne des Chasseurs."
Pour les passionnés du service de santé, et les autres... un aperçu du fonctionnement de l'Ambulance 1/44 à Raon-l'Etape, en septembre et octobre 1914.
Bonne lecture !
Bien cordialement,
Eric Mansuy
"11 septembre 1914
L’Ambulance part pour Destord où elle cantonne. Inspection passée par M. le Médecin Principal Gouzien.
12 septembre
En ce jour, lecture de la proclamation du général Joffre annonçant la victoire de la Marne.
Vers 11 heures, nous partons pour Frémifontaine, Autrey, Jeanménil où nous cantonnons.
13 septembre
L’Ambulance se rend à Larifontaine où elle cantonne.
14 septembre
Retour à Jeanménil. A 17 heures, départ pour Raon-l’Etape, en passant par Brû, Saint-Benoît, le col de la Chipotte. Arrivée à 22 heures. Nous cantonnons dans une papeterie, à l’extrémité de la Neuveville.
15 septembre
L’Ambulance va s’installer à la caserne des Chasseurs de Raon-l’Etape où elle travaille jusqu’au 22 septembre. L’infirmerie est réservée aux grands blessés : c’est là que se trouvent salles d’opérations et pansements. Un des bâtiments de la caserne est aménagé en dépôt d’éclopés.
Nous succédons à une ambulance allemande qui a laissé deux médecins et dix infirmiers : dès le second jour, ce personnel sanitaire allemand est reconduit par les soins de la Gendarmerie.
Nous trouvons les blessés dans la plus repoussante saleté. Au milieu d’eux étaient sept cadavres qu’on avait négligé d’enlever. Un cadavre datant d’environ trois semaines a été trouvé dans un petit local où il avait été oublié. Les blessés eux-mêmes avaient été complètement négligés. Beaucoup étaient couverts de vermine. Entre les couchettes, il y avait de véritables matelas de pus, de matières, de vomissements. Certains blessés nageaient positivement dans le pus.
Les médecins allemands ne transportaient pas les blessés à panser à la salle de pansements mais les laissaient dans leur lit. Aussi conçoit-on ce que les grandes plaies suppurantes, les empyèmes, etc., laissaient écouler dans les lits et alentour. D’ailleurs, les médecins allemands se contentaient la plupart du temps de renforcer les pansements sans les refaire.
A remarquer l’abus considérable de la morphine par les médecins allemands. Toutes les fois qu’un blessé se plaignait, réclamait un pansement, etc., il recevait une piqûre de deux centigrammes de chlorhydrate de morphine. Aussi certains d’entre eux recevaient-ils jusqu’à dix et douze centigrammes par jour et la plupart étaient devenus morphinomanes. Nous fûmes obligés de continuer à les piquer et d’effectuer la cure de démorphinisation par l’emploi de doses dégressives.
Nous constatâmes également, chez plusieurs blessés, l’ébauche d’opérations restées inachevées, en particulier une désarticulation du genou commencée chez un sergent-major du 52e de ligne, un sinus chez un soldat, etc. De nombreuses fractures de divers types n’avaient jamais été immobilisées ; quelques tours de bande avaient paru suffisants aux médecins allemands.
Le nettoyage des locaux, le renouvellement des pansements, l’immobilisation des fractures, l’évacuation des blessés mis en état, nous occupèrent activement pendant huit jours. Des corvées supplémentaires furent reprises en ville pour effectuer les inhumations et pour débarrasser les cours d’une grande quantité de linges et pansements souillés, de matières de toute nature, qui furent brûlés sur place.
Le 15 septembre, le carnet de passage signale cent trente-trois malades de passage, dont soixante-seize Français et cinquante-sept Allemands.
Du 15 au 22 septembre, nous avons eu deux cent onze entrées de soldats français dont seize sous-officiers, et seize entrées de soldats allemands.
Nous avons évacué cent six Français et sept Allemands. Pendant tout notre séjour à Raon-l’Etape, les évacuations sont faites par la voie ferrée qui relie Raon à Saint-Dié.
Dix-sept soldats français du dépôt d’éclopés, ont été renvoyés guéris à leurs corps.
Nous avons eu dix décès, dont trois de soldats français. Les inhumations ont été faites par les soins de l’Ambulance ; celles des Français, au cimetière de Raon-l’Etape, avec croix portant les indications du nom, de la classe et du régiment, et celles des Allemands, à proximité de la caserne.
22 septembre
Nous transportons les blessés graves, non évacuables, ceux qui avaient besoin d’une intervention urgente, au nombre de quatre-vingt quinze dont six Allemands, à l’hôpital de Raon, occupé par l’Ambulance qui le quitte le jour même en nous laissant ses blessés au nombre de cent soixante-cinq, soit cent trente-sept Français, dont dix sous-officiers, et vingt-huit Allemands, dont deux officiers et deux sous-officiers.
L’Ambulance 1/44 s’installe à son tour à l’hôpital. Alors commence une période de grande activité chirurgicale. Un bâtiment indépendant est affecté aux maladies contagieuses avec une religieuse infirmière et un infirmier.
Du 22 septembre au 11 octobre, date de départ de l’Ambulance, il y eut cent quatre-vingt deux entrants français, dont deux capitaines, un Médecin Aide-Major de 1re classe, deux sous-lieutenants et douze sous-officiers, et six entrants allemands.
Trois cent quatre-vingt-six Français et vingt-cinq Allemands furent évacués.
Il y eut dix-sept décès de soldats français et huit d’allemands. A partir de notre installation à l’hôpital de Raon, les inhumations sont assurées par les soins de l’Administration de l’hôpital, dans le cimetière de Raon-l’Etape.
En outre, quatre cent vingt soldats français, blessés légers, ont passé à la formation et ont rejoint leurs corps, le jour même de leur arrivée, après le repas du soir.
Enfin, à notre départ, nous avons laissé, à l’hôpital de Raon, cinq soldats français et sept soldats allemands, tous intransportables.
L’Ambulance 1/44 avait trouvé dans la caserne des Chasseurs à Raon, où elle s’était installée à la suite de l’ambulance allemande, divers objets abandonnés par cette dernière et se composant notamment de :
Paquets de gaze à pansement, apprêtée et non apprêtée ;
Bandes de gaze apprêtée et non apprêtée ;
Coton hydrophile ;
Echarpe triangulaire, rouleaux de leucoplaste, catguts ;
Médicaments : alcool dénaturé, iode, comprimés divers.
Tout ce matériel a été laissé à l’hôpital mixte de Raon-l’Etape qui se trouvait fort démuni.
11 octobre 1914
Nous quittons Raon-l’Etape vers midi pour aller cantonner à Rambervillers, à la caserne des Chasseurs."