Re: Bataille de la ferme des Thomassets, Orbais 4 septembre 1914
Publié : jeu. juin 29, 2006 1:06 am
par Florent Deludet
Bonsoir Vincent,
Il vous faut trouver ces 2 livres :
" le sergent Paul HAUDUC , instituteur, tué à l'ennemi, 1888-1914 " et
"Paul HAUDUC, le soldat retrouvé" par Frederic Chef.
Réedition du premier ouvrage ( 1916) et le second chez les "Editions du Bois", Hameau Bayard,51270 La Ville sous Orbais.
Hauduc etait sergent à la 6ème Cie du 24ème RI, tué le 4 septembre 14 à la Ferme des Thomassets.
Le premier livre est un receuil de lettres, de recherches de sa famille, il y a un plan detaillé de la ferme et des combats, et de la tombe de Hauduc.
Le second consiste en des recherches effectuées sur sa mort, les combats...
Dans celui ci je lis: (en parlant du monument des Thomassets):
" Sur une premiere plaque en fonte on peut lire:
A LA MEMOIRE DES 300 SOLDATS DES 24è ET 28è REGTS D'INFANTERIE TOMBES GLORIEUSEMENT SUR LE PLATEAU DES THOMASETS LE 4 SEPT 1914.
Deux autres plaques, sur les autres faces du mémorial, complétent cet hommage. Il y a quatorze noms de combattants francais tombés le 4 septembre 1914. Sept noms sur chaque plaque..."
2 petits livres tres interessants et emouvants que je vous invite a acheter. Peut etre directement à la maison d'editions... Si probleme, contactez moi, je suis sur place, c'est plus facile.
Je passerai prendre des photos a la premiere occasion...
En esperant vous avoir aidé.
Amicalement
Florent
Re: Bataille de la ferme des Thomassets, Orbais 4 septembre 1914
Publié : lun. sept. 04, 2006 10:00 pm
par vincent le calvez
Bonsoir à tous,
Je relance le fil pour rendre hommage à Albert Thierry, instituteur, soldat au 28e RI qui fut blessé ce 4 septembre 1914 lors de la contre-attaque française menée sur le plateau des Thomassets avec la 11e brigade (24e RI et 28e RI).
Voici son récit :
Vers minuit, réveil par le canon, les mitrailleuses, les coups de fusil ; le bruit du canon moins beau. Les mitrailleuses, une pétarade rapide, brutale et qui donne l’idée du délire et de l’irresponsabilité ; les coups de fusils, forts et pressés accompagnés de cris, de chants, tantôt clairs, tantôt embrouillés, et du vagissement soudain de cette trompette prussienne dont un camarade dit : « C’est la Mort ! ».
Mais enfin le tout, sans doute à cause de la fatigue, sans grandeur, morose, mécanique, bête, comme un bouillonnement de chaudière ; sauf les cris et la trompette qui y mettaient du barbare ; et enfin de telle sorte que ça ne nous empêcha pas de dormir.
C’était le passage, dit-on le lendemain, de ce pont de Dormans qui finalement n’a pas sauté. Et qui sauta, et dont nous ne sûmes plus rien.
Avant l’aube, nous repartons par les bois, mais recevons ordre de revenir dans les vignes et d’y faire des tranchées. Pas de pelle, naturellement. Avec deux fagots et des échalas, je me retranche, et Levasseur et moi nous dormons sur la paille.
Une aube vient, violette, grise, où le soleil est enfumé, saluée par le canon. Sur le versant gauche, des camarades bleus se glissent entre les vignes, avancent, puis reculent. Ça ne semble pas réel. Sur le versant droit, village éteint. Au fond, fumée.
Après quelques coups de canon, sans tirer, nous repartons. Encore les bois, les sentiers, la fatigue. Nous nous reformons près de la ferme et tandis que les officiers disaient au soir que chacun resterait sur ses positions, nous reprenons le chemin de la veille. Encore la fuite ? Encore la route entre les grands peupliers, les chevaux morts, des colchiques, les sacs éventrés, la peine. La fatigue, la chaleur, la honte, les plaisanteries des camarades (on rit de sa misère, disaient-ils ; mais est-ce rire que d’annoncer la prise de Paris avec cette certitude ?) me firent un chagrin à éclater. Ce fut le matin de la destruction du cœur. Car d’une part cette folie de l’homme (malgré la symphonie admirable des obus !) d’autre part la défaite possible de la France (encore que oui ! ce n’est bien que la débâcle du troisième corps) m’accablent. Et tête baissée, marchant dans mes seuls pas, les larmes aux yeux, le cœur contracté par une impitoyable main, je ne puis plus même lire les poteaux indicateurs, et je suis pareil à un homme mort.
Nous quittons la route pour entrer dans les bois, et nous marchons sans arrêt. Nous allons être coupés ! dit un lieutenant. Compagnies et régiments confondus, horribles chemins à fondrières, à boue, à suintements horribles. Et rien à boire dans ce marais, mourant de soif. Quelques mûres, et la consolation de quelques houppes légères de bruyère. Épuisement, harassement, coups de canon, mais ça nous est bien égal ! Halte couchée dans ces bois surchauffés ; pas d’eau à cette traîtresse petite maison !
Ha, qu’il faut chaud ! qu’il fait triste !
Traversé un village inconnu ; le canon nous poursuit de cette longue crête. Puis ce long val, toujours les obus au-dessus de nous, leur tracas final, non pas leur chant ; mais rien n’importe à l’homme exténué.
Au long d’un petit bois, croyant tomber, je me jette mon quart d’eau à la figure ; ranimé ou à peu près, j’atteins la grand’halte : une heure sous un affreux soleil. Obus sur nous. Nous montons la crête, nous nous couchons, nous gagnons une meule près d’une ferme, repos ! – un bois plus loin, repos !
A peine tapis dans ce bois, nous recevons l’ordre de contre-attaquer. Nous ravançons ; joli bois taillis, petit hêtres, petits chênes et broussailles ; couchés un instant, complétés par l’autre demi-section, le lieutenant Noblesse (instituteur, paraît-il, et sous-lieutenant qui dormait fort bien au bruit de la mitrailleuse, comme cet autre Alexandre !) nous fait déployer.
Enfin voici le champ de bataille ! enfin voici la ligne de feu !
Nous pas le calme, mais la joie ; une certaine joie excitée et ivre…
Le champ, c’est un immense rectangle gondolé ; le soleil derrière nous sur la gauche ; il est environ trois heures. A gauche une crête et un bois. En avant, loin, une crête descendante, grise, entre un bois et la même ferme. A droite, le baisier du coteau, et plus loin les bois du matin.
Une route longitudinale avec de petits arbres, une route transversale, le long de la ferme, des piquets avec de la ronce, deux haies, deux fossés transverses. Des vaches dans le pré à gauche. Des soldats formant chaîne à chaque plissement. Le canon derrière et devant formant dans l’air de petits nuages.
En avant ! La bataille n’est rien de visible, mais du fracas. Le canon bourre le ciel. On sent comme dans l’orage d’énormes ballots d’air comprimé qui se rencontrent. Les balles… d’abord je n’ai pas entendu les balles, mais j’ai cru, oui vraiment, que des oiseaux effrayés par la mitraille s’envolaient près de moi avec un petit piottement.
En avant ! un bond ! Voici le premier blessé ; un des nôtres, portant à hauteur du cœur sa main noueuse toute rouge d’un sang lie de vin. Il dit : « Ce n’est rien ». En effet, ce n’est rien. C’est le baptême du premier blessé. J’ai le cœur si tranquille que j’en suis surpris et presque scandalisé par la dureté qu’il y a certainement dans le cœur stoïque.
Avancement, déploiement. Nous nous couchons, mais nous ne tirons pas car nous avons des camarades devant nous.
C’est au deuxième fossé seulement que j’eus cette intuition que ces oiseaux c’était des balles ; cette naïveté me réjouit jusqu’à sourire. Mais je ne puis pas dire combien j’étais content de retrouver en moi-même, aussi simplement, aussi tranquillement le sang des batailleurs ou plutôt celui des mainteneurs et des fidèles au poste.
Au fossé, on cria : en retraite ! Les soldats couraient par chaîne disloquée, les blessés s’en allaient clopinant par la route, une vache tuée dormait sur le flanc, les autres écoutaient, fanon tendu, ce grand ravage.
Au premier fossé, un commandant nous arrêta qui criait d’une voie enrouée : « En avant ! ils ne sont pas cinquante ! » Debout sur un cheval rouge, agitant son épée, une balle dans le menton lui faisait un trou rouge…
« R’en avant ! criait-il, R’en avant ! » J’avance sans me courber dans les éclats d’obus et dans les balles, sans un atome de peur, sans un seul baissement de tête, mais aussi sans nulle excitation ; même pas, du moins je le crois, même pas de l’orgueil. (Je me suis demandé si le danger visible me laisserait aussi tranquille ; mais comment le savoir ? »).
Arrivée à la ligne du feu près de la levée de terre, une haie légère, quelques arbres ; abritée par un de ces arbres, hausses à 300, objectif le coin du bois et le poirier, je tire mes premières cartouches, sans joie, avec joie, enfin parce que : qu’est-ce que j’aurais fait ? Un bond ! et nous tirons sur la deuxième ligne. A ma gauche un bon petit caporal à la figure innocente. Il tire. Je le regarde, car les coudes me font déjà mal. Soudain, il dit : « Je suis touché », et sans bouger regarde son épaule gauche. Il se tait ; il n’ose respirer. Puis il lâche son fusil, se retourne un peu sur le flanc, fait le signe de la croix et dit bien doucement : « Dieu me bénisse ! » Puis il joint ses petits poings sous sa petite épaule, et il baisse le front ayant l’air de s’endormir.
Comme il ne bouge pas, je me demande s’il n’est blessé que de peur.
Un bond ! nous voici sur une ligne qui va d’une meule à la ferme. Le commandant est à cette meule, debout sur son cheval ; il saigne toujours, il crie toujours, il n’a plus de voix. Cette fois, je vois bien l’ennemi, ombres défilées et déployées et je lui tire dessus, mais pas vite car les coudes me font mal et je ne puis pas élever mon fusil. Je passe des cartouches à gauche et à droite. Mes deux voisins et moi nous tiraillons, bien tranquillement. Ils ont mis leur sac devant leur tête, j’ai gardé le mien au dos.
Une balle frappe la gamelle du voisin de gauche et dévie ; une autre me siffle de si près à l’oreille que je me dis avec un sourire : ô S. , en voici une qui a passé bien près de ce visage chéri ! Mais soudain le voisin de gauche pousse un cri. Il se prend l’épaule à deux mains et crie : oh ! puis il crache un peu de sang. « Sergent, dis-je à son voisin, qu’est-ce qu’il faut faire ? Il élève les sourcils et dit : Déshabillez-vous. Le pauvre garçon ouvre sa capote, son ceinturon, son pantalon. Mais une convulsion le plie en arrière. Un sang glaireux lui sort de plus en plus abondant de la bouche. Il crie d’une grande voix étouffée : « Adieu, les a…mis ! adieu les a… ! » Je me glisse auprès de lui et je serre le bout de ses doigts sanglants. Mais déjà il ramène sa main contre sa bouche, et par ses lèvres, par le nez aussi, il rend tout son sang contre la crosse de son fusil. Il a une figure allongée, rouge, un nez de buveur ; le sang rend ses traits horribles et paisibles. Il penche le front et ne bouge plus.
Alors je sentis dans l’épaule un coup de poing très fort et très pointu, suivi d’un arrachement de vrille qui me donne là même convulsion qu’au camarade. J’attendis un moment pour voir si le sang allait venir. Comme non, je dis à mon voisin : « Je suis blessé. – Va te faire panser à la ferme, me dit-il, vas-y en rampant. » Cependant je ne sentais aucun mal et j’étais très surpris. Je respirais sans douleur et je songeais que si j’avais défait mon sac, comme les voisins, j’aurais assurément eu le poumon traversé.
Sac, (pauvre cher vieux raseur ! pensai-je), musette, fusil, ceinturon, je laissai tout ça et m’en allai tout droit. Au fossé, je tombe, je roule et je reste là mordant un peu l’herbe. Cependant, le canon, les petits nuages blancs, les balles et les blessés qui s’en allaient si tristes… Mon Dieu, comme j’en avais assez de l’homme ! et en même temps, blessé pour blessé, comme j’étais content que ce fut à cet inutile bras gauche ! Relevé, je fais quelques pas, pas vite, et tournant l’angle de la ferme, je tombe dans le charnier, car on y pansait, et dans l’oasis car les balles n’y tombaient plus, et la paix y était fraîche comme de l’ombre.
On pansait, mais le sergent me fit entrer dans la ferme, une sorte de hangar plein d’hommes sanglants et de paille. L’infirmier s’occupa de moi tout de suite, et me pansa délicatement. A cause du sang perdu, je faiblis un peu sur les genoux et je vis beaucoup de brume, en même temps un grand froid. Mais ça passa.
A peine assis contre le mur à côté d’un autre bras sanglant, les Allemands avec un grand piétinement entrèrent dans la cour : « Plessés ! Plessés !… Ceux qui ont des mains lèvent les mains. Ils trouvent quelques fusils qu’ils brisent par la crosse avec des mines terribles. Puis on entend un coup de fusil ; un Français sort d’un coin d’écurie : ils visent à trois, debout ; ils tirent, il tombe.
Dès lors, je commence de parler allemand avec eux et ils nous donnèrent tout ce que je leur demandais : notamment un pauvre misérable blessé au ventre qui demandait en gémissant du lait, de l’eau, une brique chaude, de la paille, une capote, un matelas !
Un officier, le capitaine, accourut en jouant de la cravache. Il cria dans un français grotesque : « Messieurs les prisonniers qui peuvent marcher, levez-vous, où je vous tue ! » Mais il se radoucit dès qu’on lui eût parlé de moi, quoique me disant que nous portions la responsabilité de la guerre.
Les blessés geignaient et saignaient. Un certain nombre d’Allemands, mais la grande majorité de Français. Maintenant j’étais couché dans la paille. Un sergent à ma gauche râlait déjà. Et les Allemands vivants traquaient les poules, faisaient du feu, gobaient les œufs (l’un deux m’en donna un) et pillaient la cave.
Bonne soirée
Vincent