Re: Crémation des tués
Publié : dim. mars 26, 2006 2:29 pm
Bonjour à tous,
Vous trouverez ci-dessous la reproduction d'un article paru aujourd'hui dans "Est magazine", supplément de la presse locale dominicale en Lorraine et Franche-Comté.
Bien cordialement,
Eric Mansuy
Les impossibles bûchers
Dans un but d’hygiène publique, des essais de crémation des corps ont eu lieu à Heippes (Meuse) en 1915.
La question est évoquée en quelques pages dans l'ouvrage « Nos morts » sous-titré « Les sociétés occidentales face aux tués de la guerre ». Co-auteur avec Danièle Voldman de ce livre édité chez Payot, Luc Capdevila a trouvé trace de cet épisode « dans les débats parlementaires. Il y a eu des discussions entre les députés et les sénateurs sur les conditions matérielles et les enjeux moraux », explique-t-il. « Ce que souhaitaient les députés, c'était parvenir à une possibilité légale de brûler les corps des ennemis mais aussi ceux des Français et de leurs alliés non identifiés ».
Les Allemands, au cours des premières batailles, procédèrent à des incinérations collectives. « Certains Français, scandalisés, y virent une nouvelle preuve de la barbarie de leurs adversaires », écrit Luc Capdevila. Pourtant, le 14 juin 1915, la Commission de l'hygiène publique obtient l'autorisation de faire des essais d'incinération. Le lieu est choisi dans la Meuse, à Heippes, plus exactement à une vingtaine de kilomètres de Verdun.
On creuse alors deux fosses dans un champ de la localité. Dans la première, on y place deux cadavres de soldats allemands inhumés au mois de mai précédent et exhumés la veille. Dans l'autre, c'est un cheval mort que l'on installe. Les dépouilles, posées sur un bûcher, ont été alors arrosées de goudron puis recouvertes d'une autre couche de bois. « On s'est vite aperçu que c'était compliqué », poursuit Luc Capdevila. « Déjà à la Bataille de la Marne, on avait essayé de réaliser des incinérations de manière empirique. On avait aspergé des corps avec du pétrole. Mais là non plus, l'essai n'avait pas été concluant. Avec toute l'eau qu'ils contiennent, les corps ne brûlent pas comme ça. Ensuite, sur papier, on a imaginé comment l'on pouvait détruire des masses de corps avec la priorité de s'en débarrasser dans de bonnes conditions. Et tout cela, dans un but strictement prophylactique. » En effet, avec la chaleur, les épidémies pouvaient se répandre rapidement.
Les débats parlementaires font alors rage quelques semaines après l'épisode de Heippes. « Les députés qui portaient ce projet de loi sur ce type de crémation étaient des médecins. Des gens qui représentaient un courant culturel pour qui la crémation ne posait pas de problème. Ils étaient agnostiques, athées ou protestants. Les milieux catholiques, eux, étaient atterrés ».
Le député Louis Dumont, républicain socialiste de l'Indre, auteur de la proposition, est médecin et rapporteur de la commission de l'hygiène publique. « Il fit état des craintes de contamination des eaux, de pollution des sols et des risques d'épidémie, tant il semblait difficile de faire assainir les zones de combat, au vu de la masse des cadavres et des chaleurs de l'été », écrit Luc Capdevila.
L'auteur souligne aussi les propos du sénateur indépendant de Saône-et-Loire, Félix Martin, qui proposa l'embaumement des corps non identifiés par injection d'alcool amylique. Ils seraient en fait incinérés après la guerre sur des bûchers dans le style de ceux qui étaient dressés pour les guerriers antiques !
Finalement, la proposition fut rejetée le 27 janvier 1916 par le Sénat. L'été était passé, avec lui les fortes chaleurs et les inquiétudes d'épidémie. Mais un mois plus tard, une terrible Bataille faisait trembler la terre de Verdun...
Frédéric PLANCARD
(« Nos morts - Les sociétés occidentales face aux tués de la guerre » par Luc Capdevila et Danièle Voldman aux éditions Payot)
J'en profite pour ajouter un lien qui présente cet ouvrage : http://www.ihtp.cnrs.fr/publications/nos_morts.html
Quelqu'un parmi vous l'aurait-il lu et pourrait-il nous donner son avis ? Tout cela a l'air passionnant !
Vous trouverez ci-dessous la reproduction d'un article paru aujourd'hui dans "Est magazine", supplément de la presse locale dominicale en Lorraine et Franche-Comté.
Bien cordialement,
Eric Mansuy
Les impossibles bûchers
Dans un but d’hygiène publique, des essais de crémation des corps ont eu lieu à Heippes (Meuse) en 1915.
La question est évoquée en quelques pages dans l'ouvrage « Nos morts » sous-titré « Les sociétés occidentales face aux tués de la guerre ». Co-auteur avec Danièle Voldman de ce livre édité chez Payot, Luc Capdevila a trouvé trace de cet épisode « dans les débats parlementaires. Il y a eu des discussions entre les députés et les sénateurs sur les conditions matérielles et les enjeux moraux », explique-t-il. « Ce que souhaitaient les députés, c'était parvenir à une possibilité légale de brûler les corps des ennemis mais aussi ceux des Français et de leurs alliés non identifiés ».
Les Allemands, au cours des premières batailles, procédèrent à des incinérations collectives. « Certains Français, scandalisés, y virent une nouvelle preuve de la barbarie de leurs adversaires », écrit Luc Capdevila. Pourtant, le 14 juin 1915, la Commission de l'hygiène publique obtient l'autorisation de faire des essais d'incinération. Le lieu est choisi dans la Meuse, à Heippes, plus exactement à une vingtaine de kilomètres de Verdun.
On creuse alors deux fosses dans un champ de la localité. Dans la première, on y place deux cadavres de soldats allemands inhumés au mois de mai précédent et exhumés la veille. Dans l'autre, c'est un cheval mort que l'on installe. Les dépouilles, posées sur un bûcher, ont été alors arrosées de goudron puis recouvertes d'une autre couche de bois. « On s'est vite aperçu que c'était compliqué », poursuit Luc Capdevila. « Déjà à la Bataille de la Marne, on avait essayé de réaliser des incinérations de manière empirique. On avait aspergé des corps avec du pétrole. Mais là non plus, l'essai n'avait pas été concluant. Avec toute l'eau qu'ils contiennent, les corps ne brûlent pas comme ça. Ensuite, sur papier, on a imaginé comment l'on pouvait détruire des masses de corps avec la priorité de s'en débarrasser dans de bonnes conditions. Et tout cela, dans un but strictement prophylactique. » En effet, avec la chaleur, les épidémies pouvaient se répandre rapidement.
Les débats parlementaires font alors rage quelques semaines après l'épisode de Heippes. « Les députés qui portaient ce projet de loi sur ce type de crémation étaient des médecins. Des gens qui représentaient un courant culturel pour qui la crémation ne posait pas de problème. Ils étaient agnostiques, athées ou protestants. Les milieux catholiques, eux, étaient atterrés ».
Le député Louis Dumont, républicain socialiste de l'Indre, auteur de la proposition, est médecin et rapporteur de la commission de l'hygiène publique. « Il fit état des craintes de contamination des eaux, de pollution des sols et des risques d'épidémie, tant il semblait difficile de faire assainir les zones de combat, au vu de la masse des cadavres et des chaleurs de l'été », écrit Luc Capdevila.
L'auteur souligne aussi les propos du sénateur indépendant de Saône-et-Loire, Félix Martin, qui proposa l'embaumement des corps non identifiés par injection d'alcool amylique. Ils seraient en fait incinérés après la guerre sur des bûchers dans le style de ceux qui étaient dressés pour les guerriers antiques !
Finalement, la proposition fut rejetée le 27 janvier 1916 par le Sénat. L'été était passé, avec lui les fortes chaleurs et les inquiétudes d'épidémie. Mais un mois plus tard, une terrible Bataille faisait trembler la terre de Verdun...
Frédéric PLANCARD
(« Nos morts - Les sociétés occidentales face aux tués de la guerre » par Luc Capdevila et Danièle Voldman aux éditions Payot)
J'en profite pour ajouter un lien qui présente cet ouvrage : http://www.ihtp.cnrs.fr/publications/nos_morts.html
Quelqu'un parmi vous l'aurait-il lu et pourrait-il nous donner son avis ? Tout cela a l'air passionnant !