Bonsoir,
J'ignore ce qu'il en fut de la généralité ou de la totalité des exhumations et réinhumations; mais par les quelques documents qui me sont accessibles aux AM de mon village, j'imagine assez bien que ce ne fut pas une mince affaire que tous ces déplacements de dépouilles plus ou moins identifiables, aussi bien au sens de leur identité abstraite d'état civil que de leur identification physique. Ce cimetière ne comportait "que" 900 et quelques hommes... et le "programme des exhumations", dont j'ai vu les archives, portait sur plusieurs dizaines desdites exhumation dans la journée, sinon dans la demie-journée. Sans vouloir insister sur des détails morbides, je rappelle que la plupart de ces victimes avaient été inhumées en "fosse commune", sans cercueil, et dès l'origine dans un état plus ou moins aléatoire de leur intégrité physique. On outre, ces exhumations ont eu lieu au minimum après 2 ans 1/2 ou 3 ans de séjour dans la terre. Inutile de souligner que le travail de décomposition cadavérique avait largement eu lieu, ajouté aux mélanges des restes qui ont pu se produire dans ces fosses commune, la toile de tente à laquelle ils avaient droit pour unique cerceuil n'étant pas elle même à l'abri de dégration dans la terre. Donc: "qu'est-ce" exactement que l'on identifait ? qu'est-ce que l'on pouvait encore identifier, dans bien des cas ? ... On peut aussi penser que les hommes, "manoeuvres", qui ont procédé à ces exhumations, étaient sujets à la fatigue, et, comme nous mêmes rétrospectivement, à l'émotion: ce travail, si accourumés qu'ils y fussent, peut être, ne devaient pas les laisser complètement indifférents; on peu donc admettre la possiblibilité d'erreurs lors du clouage d'une pancarte sur un cercueil, etc...
Car, cette fois, les cercueils étaient bien présents, pour les transports vers les sépultures de rapatriement. Mais c'était des cercueils plombés. Si donc les familles avaient en effet été averties de la date et heure de l'exhumation du leur, il est fort douteux que les déplacements aient été nombreux: la mobilité des personnes n'était pas ce qu'elle est aujourd'hui, et donc bien peu ont dû faire le voyage pour assister à l'exhumation. Certaine personnes ont, par courrier, par exemple recommandé au maire du village de veiller à ce que cette exhumation se passe correctement, mais le pauvre maire, que pouvait-il vérifier de l'identité de l'homme concerné? Le maire de mon village avait été évacué comme toute la population juste au moment où les combats arrivaient sur sa commune; il n'a donc fait que retrouver le cimetière en l'état quand il est rentré, sans jamais avoir aperçu un seul des hommes qui y reposaient...
Quant à l'arrivée, je ne pense pas que nombreuses furent les familles qui pensèrent à vérifier, ou eurent le coeur de faire réouvrir ce cerceuil plombé pour vérifier qu'il contenait bien les restes de l'être cher.
Donc, que des erreurs se soient produites au cours de ces innombrables transferts, c'est évidemment déplorable, mais je pense que c'est le contraire qui serait vraiment étonnant.
Pour en revenir à monsieur Maurice Després, qui fait l'objet initial de cette page, 91 ans et deux jours exactement après son décès, je me suis rendu aujourd'hui même dans le village qui fut celui de sa dernière heure sur cette terre. En hommage à lui, voici une photo, actuelle donc, de ce village:
à deux jours près à la même date, donc à la même saison... avec les quelques variations qu'a pu subir le paysage depuis cette époque, c'est donc dans ce paysage qu'il a disparu... -Un joli coin de Tardenois agro-viticole, où, aujourd'hui, les habitants se livraient au pacifique travail de saison: les grands nettoyages d'après vendanges...
A la date de son décès, les combats se situent au delà de la Vesle: derrière le coteau que l'on aperçoit à droite de cette photo. Savigny-sur-Ardres est un lieu d'approche du front où le 319e RI est arrivé quelques jours à peine auparavant. Monsieur Després est donc très probablement décédé par le bombardement plutôt qu'au combat proprement dit. Nous sommes alors, en cette fin Septembre, dans cette après seconde bataille de la Marne, qui, depuis la fin Mai a vu l'invasion puis la libération progressive de cette vallée de l'Ardres, jusqu'à Marfaux/ Pourcy, à une quinzaine de km au Sud de Savigny, où l'avance allemande a buté sur le massif de la Forêt de la Montagne de Reims tandis qu'un peu plus à l'Ouest, elle descendait jusqu'au delà de la rivière de Marne.
"Nous savons bien compter les morts
Par milliers et par millions
On sait compter mais tout va vite
De guerre en guerre tout s'efface
Mais qu'un seul mort soudain se dresse
Au milieu de notre mémoire
Et nous vivons contre la mort
Nous nous battons contre la guerre
Nous luttons pour la vie."
Paul Eluard
Bien à vous,
Achache