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Re: Lucien BROCHOT 5°RAP - 102°RAL

Publié : lun. nov. 11, 2013 12:03 pm
par 14poilu18
:hello: Bonjour à tous,

En ce jour de commémoration du 11 Novembre, je viens vous présenter le parcours de mon Grand-Père maternel, Lucien Brochot, qui a fait la totalité de la campagne. Je veux ainsi lui rendre hommage.

Né le 30 avril 1892 à Saint-André de l'Eure, il est incorporé à 22 ans,le 09 août 1913, au 5° RAP pour y effectuer son service militaire. Il sera démobilisé le 06 août 1919 et aura donc servit la France pendant 6 longues années.

Durant la Grande Guerre il a tenu des petits carnets (au nombre de 6) dans lesquels il notait au jour le jour ce qu'il se passait et à fait 3 albums photos (environ 230 photos). Tous ces documents on survécu et sont arrivés jusqu'à moi. Seul manque son premier carnet que je n'ai jamais retrouvé mais grâce au JMO en ligne de cette 24° Batterie, j'ai pu quand même reconstitué son parcours jusqu'en mars 1915, date à laquelle commence le 2° carnet. Voici ci-dessous une photo de tous ces documents :

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Voici ses affectations successives :

5° Régiment d'Artillerie à Pied 24° Batterie du 09/08/1913 au 11/12/1915
102° Régiment d'Artillerie Lourde 7° Groupe 12° Batterie du 11/12/1915 au 21/08/1916
102° Régiment d'Artillerie Lourde 7° Groupe 10° Batterie du 21/08/1916 au 06/03/1918
302° Régiment d'Artillerie Lourde 3° Groupe 4° Batterie du 06/03/1918 au 10/08/1918
309° Régiment d'Artillerie Lourde du 10/08/1918 au 07/07/1919
105° Régiment d'Artillerie Lourde du 07/07/1919 au 06/08/1919

A la mobilisation générale, la 24° Batterie du 5°RAP est stationnée à la Citadelle de Verdun. Elle commence les combats près du fort de Tavannes, puis à Cumières. Lorsque commence son récit mon Grand-Père se trouve aux Éparges.

Voici quelques photos maintenant pour illustrer son parcours au cours de ces 4 années de guerre, je retranscris les annotations faite par mon Grand-Père sur ces photos.

Voici à quoi pouvait ressembler un abri (Verdun mai 1915)

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Pendant les accalmies, nos poilus savaient occuper leur temps !

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Lucien sur cette photo se tient le menton avant de jouer !

Entre temps il aura changé de régiment pour appartenir à compter de décembre 1915 à la 12° Batterie du 102° régiment d'artillerie Lourde puis à la 10° Batterie.

Un moment fort que je souhaite partager avec vous, c'est une attaque allemande sur la tranchée de Calonne le 24 avril 1915 où il vit les allemands de "visu" tout en se repliant avec hâte ! Plutôt mauvais signe pour un artilleur....! Voici ce qu'il écrit au sujet de cette journée :

"Le matin de bonne heure, je vais avec un lieutenant de la coloniale situer une batterie de deux pièces de 220 sur affût métallique. En rentrant je suis envoyé au poste central téléphonique comme agent de liaison pour porter les ordres en cas ou le fil téléphonique serait coupé.
Une très forte attaque allemande eût lieu à 10 heures du matin, elle commença par une très violente canonnade. Les obus tombèrent autour de la batterie. Étant dans le poste central téléphonique, j’apprends que les allemands avancent, on n’y prête d’abord pas une grande attention, quand à 11h30, on annonce au téléphone que les fantassins allemands étaient au carrefour de MOUILLY- SAINT-REMY, c’est à dire à 400 mètres de notre poste et à 200 mètres de ma batterie.
Je sors une première fois et je ne vois rien, à la seconde les balles sifflent à nos oreilles sans interruption tandis que le tir des batteries allemandes s’allonge rapidement, déjà, des artilleurs dont les pièces étaient prises revenaient sans armes pour la plupart. Je me joins à eux car je ne peux retourner à ma batterie assaillie par l’ennemi.
On forme un détachement commandé par un capitaine et un lieutenant d’artillerie et l’on s’arrête à BERTINANT, 5 km en arrière. Là, je retrouve quelques camarades de ma batterie de 90 qui me disent qu’ils n’eurent que le temps d’enlever la culasse des pièces et de partir au plus vite au milieu d’une rafale d’obus et de balles car les allemands arrivèrent sur les pièces et l’on avait pas vu d’infanterie.
Le brigadier d’active HUSSON fut traversé de part en part par une balle et ne fut ramené que lorsque les allemands battirent en retraite. J’apprends que la batterie de 155 court Rhimaillot fut prise par les allemands avant que les artilleurs eussent pu démonter les culasses, les hommes d’une autre furent tués sur place. Le capitaine de notre détachement commandait cette batterie.
Six canons de 155 longs, 4 de 120 longs, 4 de 155 court Rhimaillot, 8 de 90 de campagne, 6 pièces de 75 et 2 mortiers de 220 à tir rapide tombèrent entre les mains des allemands, mais ils furent repris pour la plupart sauf 4 pièces de 155 longs et 4 pièces de 120 longs; toutes les pièces reprises étaient inutilisables , les culasses furent abîmées à coups de haches, les filets des vis de culasses étaient coupés, les canons Rhimaillot n’avaient que les instruments de pointage en moins, les culasses n’avaient rien car les allemands ne savaient pas les ouvrir.
Le soir à 17 heures, je reviens enfin à ma batterie et rencontre un maréchal des logis et 3 hommes, étant 8 heures, nous tentons de reprendre nos pièces, nous arrivons à nos cabanes et rentrons dans l’une d’elles mais ressortons peu après et retournons sous les ordres du maréchal des logis, je ne pu rien reprendre de mes affaires. Les allemands avaient bouleversés tout, la plupart des sacs étaient éventrés. Nous retournons à la batterie de 155 courts de SENOUX, là on nous apprend qu’il fallait retourner pour aller chercher les pièces de 90 et que d’autres étaient partis.
En retournant, nous croisons nos camarades qui revenaient avec des chevaux et 4 pièces, on nous dit d’essayer de reprendre nos sacs car il n’y fait plus bon, les allemands sont à 200 mètres de la batterie. Nous arrivons donc à 200 mètres de notre batterie et le maréchal des logis nous commande de se reposer un peu, nous nous mettons dans le fossé avec les fantassins qui attendent l’ordre d’avancer. Après une demi-heure, nous prenons le chemin de la batterie, mais nous avons peine à franchir les réseaux de fils barbelés qu’une très vive fusillade accompagné de mitrailleuse s’échange de part et d’autre, nous sommes obligés de nous coucher car les balles sifflent de toute part, on retourne dans le fossé et on attend encore un peu; nous retournons vers la batterie en passant par un autre chemin, mais quoiqu’il fasse un beau clair de lune, nous nous égarons; une fusillade éclate de nouveau, on s’abrite derrière des arbres. Quand ce fut fini, nous tachons de nous retrouver et à force de chercher nous nous retrouvons sur la route à peu près à la place que l’on venait de quitter. On s’arrête encore quelques minutes et au moment où l’on veut reprendre le chemin de la batterie il éclate des obus fusants juste au-dessus de la route, on se couche parmi les fantassins et par chance aucuns éclats ne nous atteignent. Les fusants éclatent toujours à intervalles d’une minute, la position étant mauvaise, nous tachons de revenir en arrière vers la tranchée de 2° ligne, ce que nous faisons en nous couchant dans le fossé de la route, à chaque fois que l’obus fusant arrive, les éclats passent toujours près de nous sans nous toucher.
Enfin nous atteignons cette ligne de tranchées et croisons le 75 qui est au milieu de la route pour balayer les allemands s’ils avançaient sur cette route, à chaque fusillade, ils tirent quelques coups. Nous nous mettons dans une petite cabane et attendons une accalmie."


En septembre 1915 il est toujours dans le secteur de la tranchée de Calonne, le 11 un tir de réglage de sa batterie viendra s’abattre sur une tranchée française tuant 1 fantassin et en blessant trois autres. Le destin a voulu que l'année dernière, sur un autre forum, je fasse la connaissance de l'arrière petit-fils d'un de ces fantassins blessés, ce fut un moment formidable et incroyable. Cet arrière petit-fils est membre de ce forum, il s'agit de régis01. Depuis nous nous sommes rencontrés, une amitié est née près de 100 ans après que le destin de nos aïeux se soient tragiquement croisés.

Puis le 21 février 1916 c'est la grande offensive allemande sur Verdun, voici ce qu'il écrit alors :

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Les dégâts furent terribles aussi bien sur les hommes que sur le matériel.

Une pièce de sa batterie après les premiers bombardements du 21 février 1916.

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Le fort de Marre qui à également souffert sous les obus de 380 allemands

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D'après son récit, cette période fut la plus difficile pour lui, la mort était présente et pas mal de ses camarades ont été cruellement touchés dans leur chair.

Il va rester sur le front de Verdun jusqu'en juillet 1916.

En juillet 1916 il part vers la Somme où il accomplira vraiment son travail de téléphoniste et d'observateur.

Dans le central de la batterie en novembre 1916

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Aux environs de Barleux en observation

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Un officier de sa batterie

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La bataille fut rude également, pour preuve ce qu'il reste du village de Flaucourt :

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En février 1917 nouveau déménagement, sa batterie part pour la Marne dans les secteurs de Jumigny-Vassogne.

Emplacement de la batterie dans le village de Vassogne en avril 1917

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Le voici dans le central téléphonique de la batterie en mai 1917

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En juillet 1917 c'est en Belgique que l'on retrouve Lucien.

Le 28 juillet 1917 sa batterie est cruellement touchée, il perdra 4 camarades, voici ce qu'il écrit :

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Ses camarades seront enterrés non loin de la batterie

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Sa batterie est stationnée sur les bords du canal de l'Yser.

Le canal après l'attaque du 31 juillet 1917

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Un avion tombé dans les lignes françaises

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Et Lucien toujours au manche transmet les résultats des tirs effectués par la batterie 6602 octobre 1917

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En décembre 1917 Lucien fait une nouvelle fois son balluchon pour les Vosges, secteur de Marzelay

L'intérieur du central téléphonique avril 1918

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La mitrailleuse de la batterie

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Puis en juillet 1918 la batterie repart de nouveau pour la Belgique

Il approchera même les têtes couronnées de Belgique lors d'une fête donnée en l'honneur d'une division Belge à Welvérimghem le 29 juillet 1918 :

Sur l'estrade de gauche à droite le roi Albert la reine Elisabeth et la princesse Marie

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C'est la découverte des tanks pour Lucien qui pose sur un char Renault malheureusement détruit octobre 1918

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Une vue de l'autre côté, le pauvre pilote git à côté de son char

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La batterie en octobre 1918 avec en fond une saucisse servant aux réglages

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Le génie part au travail à la construction de pont flottant

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Puis c'est l'armistice du 11 novembre, l'un des derniers tués sur le front de Belgique.
C'est un Alsacien/Lorrain tué dans la nuit du 10 au 11 novembre qui ramenait dans ses lignes deux prisonniers français

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Voici ce qu'écrit mon Grand-Père le 11 Novembre 1918 :

"A 6 heures on nous transmet le message suivant par téléphone ; à partir du 11 novembre 1918 à 11 heures, les hostilités sont arrêtées, défense absolu aux Français de traverser les premières lignes actuelles.

Ce fût avec une grande joie que la nouvelle fut accueillie, on dansait et l’on chantait. Plus un coup de canon. L’infanterie qui monte en ligne chante. Des civils belges rentrent chez eux. A 11 heures exactement, l’infanterie lance des fusées éclairantes de toutes les couleurs en poussant des cris d’allégresse. Les musiques jouent. On voit des fusées dans toutes les directions, partout c’est la joie intense. Cette journée est inoubliable.

A 15 heures je vais à GAVERE avec un camarade. Ce village était en première ligne au bord de l’ESCAUT. C’est sur ce dernier que l’on tira les derniers coups de canons. Je traverse l’ESCAUT sur des planches. Les habitants nous reçoivent très bien. J’assiste à des scènes émouvantes de retour au foyer de soldats belges après quatre ans d’absence."


Lucien restera en Belgique jusqu'en décembre 1918 pour regagner ensuite son dépôt et être démobilisé le 09 août 1919.

Au cours de cette campagne, Lucien Brochot reçut la Croix de Guerre en mars 1918, voici sa citation

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Ce document est conservé par mon frère, en 2009 je demande une copie de cette citation au BCAAM de Pau

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En 2007 je l'inscris au Livre d'Or des Soldats de Verdun

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Ainsi s'achève son parcours, j'espère que cela vous a intéressé. Lucien a traversé toute cette guerre, par chance il n'a pas été blessé, il fut enseveli une fois par l'explosion d'un gros obus au dessus de la tranchée qu'il occupait mais fut sauvé par ces camarades. Il ne parlait jamais de la Guerre et ne participait pas aux cérémonies d'Anciens Combattant, c'était son choix , il voulait oublier tout cela.

Ces notes manuscrites sont vraiment un trésor, Lucien y décrit ses conditions de vie pendant toutes ces années sans jamais se plaindre. Il n'a aucun ressentiment envers l'ennemi et raconte sa vie de tous les jours avec les joies et les peines.

Après la Guerre il devint agriculteur, se maria et eu trois enfants. Il décèdera en 1969.

Re: Lucien BROCHOT 5°RAP - 102°RAL

Publié : lun. nov. 11, 2013 4:22 pm
par bruno30000
Bjr
Sacré travail
Je pense que nous serions un certain nombre à vouloir la même chose pour nos ancêtres
J'ai remarqué que ton grand père, comme le mien, refusait de participer aux cérémonies
Amicalement