Bonsoir à toutes et à tous, bonsoir Sylvain,
Ah le
16e RIT ! Un régiment qui m'est cher. Celui des vieux, des sans-grades, mal équipé, sans expérience. Prévu à l'origine pour couvrir les troupes de l'active en 2e ligne (

Arnaud) mais également garder et se mettre en défense le long les voies ferrées les territoriaux se retrouveront bientôt, au sein de la 81e D.I.T., en première ligne face aux troupes allemandes bien entraînées. Ce seront les combats de
Courcelles-le-Comte début octobre, de
Lombaertzyde en novembre, puis le secteur de la
Fosse Calonne au printemps 15 en Artois. Les pauvres ! A l'automne, ces territoriaux n'auront que leurs vieux fusils sans appui d'artillerie à opposer aux Allemands.
Mais revenons au 8 septembre 1914. Après avoir séjourné dans la vallée de l'Andelle, comme l'indique Valérie, un détachement du 16e RIT, transporté en voitures (
commandant Renard), reçoit l'ordre de détruire ou de neutraliser la voie ferrée à Goyencourt, au nord de Roye.
A cette date, la bataille de la Marne bat son plein plus au sud et au sud-est. Sa mission accomplie, le commandant Renard décide de pousser une reconnaissance vers Roye. A-t-il eu des informations faisant état d'un petit nombre d'Allemands dans la ville ??? Toujours est-il qu'il tente un coup de main vers le centre ville.
L'Abbé
Charles Calippe (in
La Guerre en Picardie, Paris 1916, page 172 et suivantes) relate ce passage :
"
Le 9 septembre, un incident inattendu et tragique vint jeter la consternation dans toute la ville.
La journée, cependant, avait bien commencé. Dès le matin, une nouvelle optimiste s’était répandue : Les Français, murmurait-on, sont à la gare. En effet, les « Français », c'est-à-dire nos soldats, des soldats du génie au nombre d’une trentaine, étaient venus à Roye, en auto-mitrailleuse, accompagnés de quelques dragons : ils avaient ordre de faire sauter de nouveau, dans le cas où les Allemands les auraient rétablis, les ponts détruits au moment de la retraite, dans le voisinage de la gare.
La ville n’était occupée que par un poste peu important. Les Français, prévenus, voulaient-ils essayer de l’enlever par un hardi coup de main ? Toujours est-il que, de la gare, ils se dirigèrent vers le centre de la ville.
Il était environ 10 heures. C’était l’heure fixée pour l’enterrement, à l’église Saint-Pierre, d’un conseiller municipal socialiste, M. Pontroué. La levée du corps avait été faite par MM. Les vicaires Caron et Bellenger, accompagnés de M. l’abbé Dégolbert, curé de la paroisse Saint-Gilles. Le cortège venait de passer devant l’hôtel de ville d’où les soldats allemands, pour mieux le voir, étaient sortis en curieux.
A peine était-il passé, une vive fusillade éclate, en arrière : les Français tiraient sur le poste de l’hôtel de ville. Des hommes, des femmes, venus pour l’enterrement, sont pris de peur et s’enfuient en criant. A grand-peine le clergé parvient à les calmer. On arrive du moins à introduire dans l’église le cercueil, que suivaient encore une quarantaine de parents et d’amis.
[…]
La messe commence. Soudain, … … quelques soldats allemands pénètrent dans l’église par le portail qu’ils laissent grand ouvert. Et, au moment où le célébrant et ses assistants viennent de prendre place, comme c’est l’usage … … ils aperçoivent cinquante ou soixante soldats allemands qui s’avancent, les uns par l’allée centrale, les autres par les nefs latérales. Tous sont armés d’un fusil et prêts à tirer. Stupeur des assistants : quelques personnes, apeurées, se réfugient jusque dans le sanctuaire, derrière les fauteuils où les prêtres demeurent assis.
Cependant, les soldats font le tour du catafalque, inspectant le cercueil d’un air inquiet. Plusieurs s’avancent jusqu’à la balustrade placée à l’entrée du chœur ; et, là l’un d’eux dit à haute voix :
- Que les « civilistes » qui ont des armes viennent ici !
Les chantres, redoutant quelque surprise, avaient quitté leurs places : ils étaient montés un peu plus haut, à droite et à gauche de la table de communion, où ils continuaient de chanter les strophes de la prose des morts. Bientôt, des soldats les empoignent et les arrêtent.
Pour répondre à l’injonction que le soldat allemand adressait aux «civilistes», les prêtres se lèvent et se dirigent vers lui :
- Monsieur, lui dit l’abbé Caron, il n’y a pas ici de civils qui aient des armes.
L’autre réplique :
- Nous sommes médecins : les Français n’ont pas le droit de tirer sur nous. Venez.
Et il entraîne rapidement vers le fond de l’église son interlocuteur qui, chemin faisant, enlève chasuble, étole, manipule, aube, amict et parvient à lui dire :
- Laissez au moins les femmes tranquilles.
- On ne fera rien aux femmes, répond l’autre qui emmène l’abbé, par la rue Saint-Pierre, jusqu’à la place.
Là, il lui crie :
- Allez dire aux Français de ne pas tirer !
De son côté l’abbé Dégolbert était en pourparlers avec cinq ou six autres Allemands qui stationnaient dans l’église, sous les orgues :
- Que voulez-vous de nous ? leur demanda-t-il.
- Nous voulons que vous alliez dire aux Français qui sont sur la place de ne pas tirer sur nous.
Et l’officier montre le brassard de la Croix-Rouge qu’il porte à son bras.
Le prêtre, alors, ajoute, en désignant les assistants :
- Et ces gens, qu’allez-vous en faire ?
- Rien.
- Et à nous ?
- Rien non plus.
L’abbé Dégolbert prend seulement le temps d’enlever sa dalmatique de diacre et, sans perdre une minute, va, revêtu encore de son aube blanche, remplir sa mission : au moment où il franchit le seuil de l’église, une balle lui effleure le visage. Les Allemands, affolés, tiraient au hasard dans toutes les directions : blessant même à la jambe l’un des leurs.
Une quarantaine d’autos s’étaient arrêtées devant l’église : c’est un convoi de la Croix-Rouge allemande qui, par une singulière coïncidence, arrivait de Chauny au moment même où l’auto-mitrailleuse française entrait de son côté dans Roye par la route d’Amiens.
Les deux prêtres, presque en même temps, se dirigent donc, en parlementaires, vers les soldats français. Les Français étaient derrière l’hôtel de ville, sur la route de Paris. Les Allemands occupaient la rue Saint-Pierre et la place d’Armes : leur irritation était à son comble. Comme les Allemands se glissent derrière les parlementaires, l’arme au bras, les Français tirent. Un officier allemand dit au curé de Saint-Gilles en lui mettant sous le nez son revolver :
- Si encore un seul coup de feu tiré, toute la ville incendiée !
Les abbés agitent leur mouchoir, et font signe aux Français de ne pas tirer. L’un après l’autre, ils abordent l’officier qui commande le détachement. Entre eux s’engage alors un court dialogue :
- Les Allemands qui sont ici se disent médecins et infirmiers et déclarent que vous n’avez pas le droit de tirer sur eux.
- S’ils ne veulent pas que l’on tire sur eux, qu’ils ne tirent pas sur nous : des infirmiers ne doivent pas être armés.
- Que faire ?
- Combien sont-ils ?
- Environ deux cents.
- Allez leur dire que s’ils n’essaient pas de passer, nous ne tirerons pas sur eux.
Les deux prêtres vont retrouver les Allemands, qui décident de quitter la ville et font retourner leurs autos dans la direction de Noyon.
L’abbé Caron, qui se trouvait à la tête du cortège, est placé au milieu de la rue pour protéger les Allemands contre quelque retour offensif des Français : il peut s’échapper un instant pour se rendre auprès d’un soldat français qui était tombé sur la place d’armes ; le malheureux avait été tué net d’une balle au cœur. A peine est-il revenu qu’il est saisi par quatre soldats et installé de vive force dans une auto. Il a beau protester et demander à continuer la messe interrompue ; il n’obtient qu’une seule réponse :
- C’est la guerre !
[…]
Pendant que les autos traversent la ville, les Allemands, armés de leur fusil, surveillent les fenêtres, prêts à faire feu à la moindre alerte.
A la sortie de Roye, près de la croix de mission (route de Noyon), arrêt. On compte les voitures. Peut-être les Allemands pensaient-ils retourner à Roye ; ils demandent à l’un des prisonniers combien il y a dans la ville de soldats français : on leur répond, évasivement, qu’il s’en trouve dans les plus petites rues ; finalement, ils se décident à filer sur Noyon à toute vitesse.»
A ma connaissance deux soldats français sont morts au cours de ce combat.
HUREAU Victor, 2e classe, 16e RIT, né le 14 octobre 1874 à Saint-Denis, MPF le 9 septembre 1914 au combat de Roye.
BENYS Paul Sulpice Jules, 2e classe, 16e RIT, né le 19 janvier 1877 à Saint-Christ-Briost (Somme), MPF des suites de ses blessures de guerre.
Est-ce Victor HUREAU que l'abbé CARON voit sur la place d'armes tué net d'une balle au coeur ?
Cordialement
Eric Abadie