Re: 205e RI - Périple de la 23e Compagnie
Publié : sam. juin 13, 2009 12:45 am
Bonsoir à tous,
Dans le dernier chapitre du second tome de la Grande Guerre vécue – racontée – illustrée par les combattants, Librairie Aristide Quillet éditeur, Paris 1922, on trouve le récit ou plutôt le périple "extraordinaire" de la 23e Compagnie du 205e Régiment d’Infanterie entre début septembre et fin novembre 1914 derrière les lignes allemandes.
Avant de se plonger dans ce récit, revenons au mois d’août de cette même année. Le 205e d’infanterie fait alors partie de la 53e Division de Réserve relevant du 4e G.D.R. opérant sein de la 5e Armée. Ce régiment part en campagne avec à sa tête le Lieutenant-Colonel Masson. Deux bataillons le composent le 5e, commandé par le Chef de bataillon Muyard (17e, 18e, 19e et 20e compagnies), et le 6e par le Chef de bataillon Nogué (21e, 22e, 23e et 24e compagnies).
La 23e Compagnie est commandée par le Capitaine de Colbert de Laplace (réserviste) avec sous ses ordres les sous-lieutenants Duglé et Guillain, eux-mêmes réservistes.
Après le succès de la Ve Armée du Général Lanrezac du 29 août à Guise, celle-ci reçoit l’ordre de rompre et de se replier vers le sud, dans les jours suivants, pour ne pas risquer de se faire envelopper par les armées allemandes. Des deux côtés, la fatigue est extrême.
« Grâce au succès du 29 août, le décrochement du 30 août a pu se faire aisément. Le défilé sur Laon commence. Mais le 31 au matin, le général Lanrezac apprend qu’une puissante cavalerie ennemie franchit l’Oise au sud de Noyon et que ses patrouilles se dirigent vers la ligne Coucy-Vauxaillon. […]
L’armée Lanrezac est arrivée le 31 au soir, harassée, autour de Laon. […]
Au quartier général de la 5e armée, c’est un moment de terrible angoisse : ordre est donné à tous les corps exténués de lever le camp et de repartir immédiatement, la nuit, coûte que coûte, vers le sud. (Gabriel Hanotaux, Circuits des champs de bataille de France, L’Edition française illustrée, Paris, 1920, p. 102)
Ordre général n° 24 du G.D.R. daté de Prémontré le 31 août :
« Des forces de cavalerie sont en marche de Noyon sur Soissons. Sur l’ordre du G.Q.G. le G.D.R. se repliera cette nuit même au sud de l’Aisne par une marche forcée. Il sera fait appel par les chefs de tous ordres à l’énergie la plus extrême des troupes.
En conséquence, le 4e G.D.R. s’efforcera de gagner demain 1er septembre la région Braine-Vasseny-Serches… »
Cet ordre du G.R.D. est transmis aux brigades par des officiers de l’Etat Major. (JMO de la 53e DR 26N366/1)
Ce 31 août le 6e Bataillon du 205e d’infanterie est cantonné à Coucy-le-Château. Malheureusement pour lui, il ne reçoit pas l’ordre d’alerte que le Lieutenant de Malherbe de l’E.M. de la 105e Brigade est chargé de lui porter en automobile. (JMO du 205e RI 26N714/1).
Et pour cause cet officier a été tué par les Uhlans à l’entrée de Leuilly, village située au sud-est de Coucy. (JMO de la Prévôté de la 53e DR 26N367/12) : « Le Lieutenant de Malherbe de l’E.M. de la 53e D.R. est tué par un poste allemand entre Quincy et Coucy à Loeuilly (canal de l’Aisne) au moment où, croyant parler à un poste français, il descendait d’auto.
Le bataillon Noguès ne pourra, de ce fait être prévenu du départ de la division. » (JMO de la 53e DR 26N366/1)
« A partir de ce jour le 6e Bataillon disparaît » (JMO du 205e RI 26N714/1). C’est sur cette phrase lapidaire que se conclut le sort de centaines de soldats composant la moitié du régiment.
Le Journal de Marches et des Opérations du 205e comporte un rarissime « Contrôle par grades des Officiers du Régiment ».
Le chef de bataillon Nogué y est porté « disparu depuis le 31 août à la suite de l’affaire de Coucy-le-château », tout comme les capitaines de Colbert de Laplace, 23e Cie (noté en ajout : Prisonnier), Fauchey, 22e Cie, les sous-lieutenants Henri Bastard, 21e Cie, Gaucher, 21e Cie (rentré au corps avec une partie de la compagnie le 6 octobre), Delmas, 22e Cie, Romain, 22e Cie, Duglé, 23e Cie, Guillain, 23e Cie, Beaurin, Médecin Aide-Major du 6e Bataillon. » (JMO du 205e RI 26N714/1).
Revenons donc au récit des tribulations de la 23e Compagnie du 205e Régiment d’Infanterie.
« Le 1er septembre 1914, vers neuf heures du soir, la flanc-garde de l’Armée Von Kluck, contre laquelle s’étaient heurtés le 6e Bataillon du 205e d’Infanterie et deux bataillons du 148e, restait maîtresse de Crécy-au-Mont. La route de Soissons était coupée. Dans le désarroi de la retraite, un ordre parvint : « marcher sur Laon » ; et plus tard cet autre : « atteindre Reims ». Dans l’impossibilité de se regrouper, les compagnies opérèrent séparément. Elles eurent des sorts divers. Seule la 23e du 205e devait subsister en armes pendant trois mois, avant d’être réduite à une capitulation.
Le 2 septembre, à midi, elle se heurtait près du cimetière de Chamouille à un tir de barrage qui venait d’anéantir le convoi du 42e d’artillerie français. La route de Reims était coupée. Le capitaine de Colbert (La 23e compagnie du 205e d’infanterie, de Falaise, était commandée par le capitaine de Colbert-Laplace. Chefs de section : sous-lieutenant Guillain, adjudant Steenman, adjudant Besançon, sergent bassan) et sa compagnie étaient donc absolument isolés. Situation critique : 200 hommes, fourbus par quinze jours de retraite, déprimés par la faim, sans ravitaillement possible ni en vivres, ni en munitions. L’ennemi partout. Ce fut dans ce bois de Laverny, près de Laon, que la 23e compagnie passa la première nuit de son étrange odyssée. Formés en carré, les sacs devant eux, les hommes reposèrent dans la position du tirailleur couché.
Au petit jour, les renseignements sont recueillis : les Allemands se trouvant à Compiègne, tout lien avec l’armée française a disparu. Une chance reste : remonter sur Vervins et rejoindre le Corps d’Armée qui, dit-on, y cantonne. Mais à peine sortie du bois, la compagnie révèle à l’ennemi sa présence et une auto-mitrailleuse part à Laon à sa poursuite. Cependant un habile changement de direction, l’immobilité absolue dans les fougères, rétablissent les chances. Le « taub » qui tout le jour survola le bois de Samoussy, perd la compagnie fantôme. Mais l’alerte a été chaude, le principe de la marche de nuit prévaut. Commencée au crépuscule, elle s’achève à l’aube. Marche pénible, pleine d’à-coups, pendant laquelle on trompe la fatigue et la faim avec des pommes vertes et des carottes crues. Les bois propices aux embuscades, sont évités. Les sections progressent au travers champs (formation en losange), le capitaine guidant la marche avec des moyens de fortune. Tout est suspect : l’aboiement du chien de ferme, le galop des chevaux abandonnés, le cri des oiseaux de nuit qu’on prend pour celui des patrouilles, le bruit d’une écluse si semblable à la rumeur d’un convoi. Et c’est l’arrêt brusque, le ravissement de s’allonger dans la luzerne haute et de dormir pour une minute ou pour une heure, au hasard des événements. Puis, c’est la reprise de la marche, silencieuse, fantomatique, le corps plus brisé par ces quelques instants de lourd sommeil causé surtout par l’extrême faim. Au péril de leur vie, des habitants nous apportent du beurre, des fruits, des œufs. Mais nous sommes deux cent vingt ! » (tome 2 de la Grande Guerre vécue – racontée – illustrée par les combattants, Librairie Aristide Quillet éditeur, Paris 1922, pages 406-407)
Dans le dernier chapitre du second tome de la Grande Guerre vécue – racontée – illustrée par les combattants, Librairie Aristide Quillet éditeur, Paris 1922, on trouve le récit ou plutôt le périple "extraordinaire" de la 23e Compagnie du 205e Régiment d’Infanterie entre début septembre et fin novembre 1914 derrière les lignes allemandes.
Avant de se plonger dans ce récit, revenons au mois d’août de cette même année. Le 205e d’infanterie fait alors partie de la 53e Division de Réserve relevant du 4e G.D.R. opérant sein de la 5e Armée. Ce régiment part en campagne avec à sa tête le Lieutenant-Colonel Masson. Deux bataillons le composent le 5e, commandé par le Chef de bataillon Muyard (17e, 18e, 19e et 20e compagnies), et le 6e par le Chef de bataillon Nogué (21e, 22e, 23e et 24e compagnies).
La 23e Compagnie est commandée par le Capitaine de Colbert de Laplace (réserviste) avec sous ses ordres les sous-lieutenants Duglé et Guillain, eux-mêmes réservistes.
Après le succès de la Ve Armée du Général Lanrezac du 29 août à Guise, celle-ci reçoit l’ordre de rompre et de se replier vers le sud, dans les jours suivants, pour ne pas risquer de se faire envelopper par les armées allemandes. Des deux côtés, la fatigue est extrême.
« Grâce au succès du 29 août, le décrochement du 30 août a pu se faire aisément. Le défilé sur Laon commence. Mais le 31 au matin, le général Lanrezac apprend qu’une puissante cavalerie ennemie franchit l’Oise au sud de Noyon et que ses patrouilles se dirigent vers la ligne Coucy-Vauxaillon. […]
L’armée Lanrezac est arrivée le 31 au soir, harassée, autour de Laon. […]
Au quartier général de la 5e armée, c’est un moment de terrible angoisse : ordre est donné à tous les corps exténués de lever le camp et de repartir immédiatement, la nuit, coûte que coûte, vers le sud. (Gabriel Hanotaux, Circuits des champs de bataille de France, L’Edition française illustrée, Paris, 1920, p. 102)
Ordre général n° 24 du G.D.R. daté de Prémontré le 31 août :
« Des forces de cavalerie sont en marche de Noyon sur Soissons. Sur l’ordre du G.Q.G. le G.D.R. se repliera cette nuit même au sud de l’Aisne par une marche forcée. Il sera fait appel par les chefs de tous ordres à l’énergie la plus extrême des troupes.
En conséquence, le 4e G.D.R. s’efforcera de gagner demain 1er septembre la région Braine-Vasseny-Serches… »
Cet ordre du G.R.D. est transmis aux brigades par des officiers de l’Etat Major. (JMO de la 53e DR 26N366/1)
Ce 31 août le 6e Bataillon du 205e d’infanterie est cantonné à Coucy-le-Château. Malheureusement pour lui, il ne reçoit pas l’ordre d’alerte que le Lieutenant de Malherbe de l’E.M. de la 105e Brigade est chargé de lui porter en automobile. (JMO du 205e RI 26N714/1).
Et pour cause cet officier a été tué par les Uhlans à l’entrée de Leuilly, village située au sud-est de Coucy. (JMO de la Prévôté de la 53e DR 26N367/12) : « Le Lieutenant de Malherbe de l’E.M. de la 53e D.R. est tué par un poste allemand entre Quincy et Coucy à Loeuilly (canal de l’Aisne) au moment où, croyant parler à un poste français, il descendait d’auto.
Le bataillon Noguès ne pourra, de ce fait être prévenu du départ de la division. » (JMO de la 53e DR 26N366/1)
« A partir de ce jour le 6e Bataillon disparaît » (JMO du 205e RI 26N714/1). C’est sur cette phrase lapidaire que se conclut le sort de centaines de soldats composant la moitié du régiment.
Le Journal de Marches et des Opérations du 205e comporte un rarissime « Contrôle par grades des Officiers du Régiment ».
Le chef de bataillon Nogué y est porté « disparu depuis le 31 août à la suite de l’affaire de Coucy-le-château », tout comme les capitaines de Colbert de Laplace, 23e Cie (noté en ajout : Prisonnier), Fauchey, 22e Cie, les sous-lieutenants Henri Bastard, 21e Cie, Gaucher, 21e Cie (rentré au corps avec une partie de la compagnie le 6 octobre), Delmas, 22e Cie, Romain, 22e Cie, Duglé, 23e Cie, Guillain, 23e Cie, Beaurin, Médecin Aide-Major du 6e Bataillon. » (JMO du 205e RI 26N714/1).
Revenons donc au récit des tribulations de la 23e Compagnie du 205e Régiment d’Infanterie.
« Le 1er septembre 1914, vers neuf heures du soir, la flanc-garde de l’Armée Von Kluck, contre laquelle s’étaient heurtés le 6e Bataillon du 205e d’Infanterie et deux bataillons du 148e, restait maîtresse de Crécy-au-Mont. La route de Soissons était coupée. Dans le désarroi de la retraite, un ordre parvint : « marcher sur Laon » ; et plus tard cet autre : « atteindre Reims ». Dans l’impossibilité de se regrouper, les compagnies opérèrent séparément. Elles eurent des sorts divers. Seule la 23e du 205e devait subsister en armes pendant trois mois, avant d’être réduite à une capitulation.
Le 2 septembre, à midi, elle se heurtait près du cimetière de Chamouille à un tir de barrage qui venait d’anéantir le convoi du 42e d’artillerie français. La route de Reims était coupée. Le capitaine de Colbert (La 23e compagnie du 205e d’infanterie, de Falaise, était commandée par le capitaine de Colbert-Laplace. Chefs de section : sous-lieutenant Guillain, adjudant Steenman, adjudant Besançon, sergent bassan) et sa compagnie étaient donc absolument isolés. Situation critique : 200 hommes, fourbus par quinze jours de retraite, déprimés par la faim, sans ravitaillement possible ni en vivres, ni en munitions. L’ennemi partout. Ce fut dans ce bois de Laverny, près de Laon, que la 23e compagnie passa la première nuit de son étrange odyssée. Formés en carré, les sacs devant eux, les hommes reposèrent dans la position du tirailleur couché.
Au petit jour, les renseignements sont recueillis : les Allemands se trouvant à Compiègne, tout lien avec l’armée française a disparu. Une chance reste : remonter sur Vervins et rejoindre le Corps d’Armée qui, dit-on, y cantonne. Mais à peine sortie du bois, la compagnie révèle à l’ennemi sa présence et une auto-mitrailleuse part à Laon à sa poursuite. Cependant un habile changement de direction, l’immobilité absolue dans les fougères, rétablissent les chances. Le « taub » qui tout le jour survola le bois de Samoussy, perd la compagnie fantôme. Mais l’alerte a été chaude, le principe de la marche de nuit prévaut. Commencée au crépuscule, elle s’achève à l’aube. Marche pénible, pleine d’à-coups, pendant laquelle on trompe la fatigue et la faim avec des pommes vertes et des carottes crues. Les bois propices aux embuscades, sont évités. Les sections progressent au travers champs (formation en losange), le capitaine guidant la marche avec des moyens de fortune. Tout est suspect : l’aboiement du chien de ferme, le galop des chevaux abandonnés, le cri des oiseaux de nuit qu’on prend pour celui des patrouilles, le bruit d’une écluse si semblable à la rumeur d’un convoi. Et c’est l’arrêt brusque, le ravissement de s’allonger dans la luzerne haute et de dormir pour une minute ou pour une heure, au hasard des événements. Puis, c’est la reprise de la marche, silencieuse, fantomatique, le corps plus brisé par ces quelques instants de lourd sommeil causé surtout par l’extrême faim. Au péril de leur vie, des habitants nous apportent du beurre, des fruits, des œufs. Mais nous sommes deux cent vingt ! » (tome 2 de la Grande Guerre vécue – racontée – illustrée par les combattants, Librairie Aristide Quillet éditeur, Paris 1922, pages 406-407)