Re: Un chasseur poète
Publié : lun. juin 01, 2009 4:38 pm
Bonjour,
Une voisine vient de me confier des documents ayant appartenu à son grand oncle, prêtre, sergent brancardier au 116° BCA.
Parmi ces documents, ce poème écrit par un chasseur du 116°, Emile RECORDIER, et intitulé
Sur le tombe d'un ami
Salut mon vieux copain, tu sais c'est l'Armistice
Je saix bon, tu t'en fous...Y'a longtemps déjà
Qu'une balle en plein bide, t'as tiré du pastiss,
Et dans ton trou pour sûr, tu bondis pas de joie.
Mais pour nous...tu y penses, on ne va plus s'en faire,
Puisqu'on pourra le soir éclairer sa bougie,
Sans crainte que sa tombe sur notre cafetière,
Et qu'on pourra l'hiver se chauffer les ribouis,
Et pis on dormira sur des choses bien tendues,
Et pis on aura plus qu'à se refaire la viande
Et pis, et pis, et pis, je suis un dégoutant
De te parler de ça à toi qu'es sur la dure,
A toi qui tient la place, tout juste, d'un sillon,
A toi qu'es plus rien déjà des créatures,
A toi qui la dessous dors le grand roupillon.
Mais si je suis venu, c'est pour une autre affaire,
Pour bien te l'expliquer faudrait être caustaud,
Et pis savoir phraser aussi bien qu'un notaire;
Mais d'abord chope moi le début du morceau.
Or, ces temps ci je me trouvais en permission,
Quand par un beau matin, Bon Dieu, qu'est ce que je vois,
Tous les bourgeois sortir des drapeaux, des lanternes,
Et t'en fiche partout, jusqu'au sommet des toits.
D'un coup, j'ai decerné c'est l'Armistice;
On attendait la chose du samedi-
"Bah! fallait ben un jour que la guerre finisse...!!!
Et, je crois que c'est tout que je me suis dit.
Mais v'la que j'entend gueuler la "Marseillaise"
Et que je vois du monde descendu dans la rue,
Et les femmes grimper de partout sur des Chaises
Pour yeuter les Messieurs qui faisaient le Chahut.
Je sens que moi aussi je vais piquer ma crise,
Et comme les braillard hurlent à se crever,
Je marche et avec eux, j'en mouille une chemise;
Tellement j'avais cru que s'était arrivé.
Et c'est à ce moment que commence l'histoire,
Tandis que je chantais comme un pauvre dingo
je me met à penser "sur", t'as l'air d'une poire;
De pialler, toi, soldat, au milieu de ces civelots....
Passe pour les pékins...mais y'a dans la bande,
Camouflés en poilus, tout un tas de gandins
Et ces miritons là ne chialent tous ensemble
Et sur le boulevard ne font tant de potin,
Que parceque c'est pour eux la fin d'un long martyre.
"Allons ! Enfants de la Patrie" et tous ces veaux
Le chante parcequenfin ils n'ont plus à se dire:
"Mon Dieu, préservez-moi, un jour, d'aller là-haut".
En faussant compagnie à toute cette clique,
Je m'es fait la dessus un long raisonnement,
Mon ieux c'est bien calait pour que je te l'explique,
Parce que j'ai fait pour ainsi dire un grand serment,
Le serment au retour, de venir, sur ta fosse,
Et là, pieusement, de me mettre à genoux
Pour te dire "MERCI", toi qui était plein de forces,
De mourir à vingt ans, pour que nous vivions, nous,
Nous tous, les survivants de la grande aventure
On aurait à compter avec d'autres tourments
Si se faisait casser bravement la figure,
Il ne s'était trouvé tant de gars de vingt ans...
Et qui sait si demain, oui demain, la canaille,
N'aurait pas eu raison de tous les braves gens,
Si crèvent, déchirés de leur sale mitraille
Il n'y avait pas eu tant de gens de vingt ans...
Et ils ont tout donné...eux qu'avaient la jeunesse,
Eux qui sortaient à peine des jupons de maman,
Oui, ils ont tout donné et leur mère en détresse,
N'a plus qu'une complainte: "Mon fils avait vingt ans".
Ce poème a été dit par André BERLEY, du Théatre National de l'Odéon.
J'ai respecté l'orthographe et la ponctuation.
Cordialement
Bernard.
Une voisine vient de me confier des documents ayant appartenu à son grand oncle, prêtre, sergent brancardier au 116° BCA.
Parmi ces documents, ce poème écrit par un chasseur du 116°, Emile RECORDIER, et intitulé
Sur le tombe d'un ami
Salut mon vieux copain, tu sais c'est l'Armistice
Je saix bon, tu t'en fous...Y'a longtemps déjà
Qu'une balle en plein bide, t'as tiré du pastiss,
Et dans ton trou pour sûr, tu bondis pas de joie.
Mais pour nous...tu y penses, on ne va plus s'en faire,
Puisqu'on pourra le soir éclairer sa bougie,
Sans crainte que sa tombe sur notre cafetière,
Et qu'on pourra l'hiver se chauffer les ribouis,
Et pis on dormira sur des choses bien tendues,
Et pis on aura plus qu'à se refaire la viande
Et pis, et pis, et pis, je suis un dégoutant
De te parler de ça à toi qu'es sur la dure,
A toi qui tient la place, tout juste, d'un sillon,
A toi qu'es plus rien déjà des créatures,
A toi qui la dessous dors le grand roupillon.
Mais si je suis venu, c'est pour une autre affaire,
Pour bien te l'expliquer faudrait être caustaud,
Et pis savoir phraser aussi bien qu'un notaire;
Mais d'abord chope moi le début du morceau.
Or, ces temps ci je me trouvais en permission,
Quand par un beau matin, Bon Dieu, qu'est ce que je vois,
Tous les bourgeois sortir des drapeaux, des lanternes,
Et t'en fiche partout, jusqu'au sommet des toits.
D'un coup, j'ai decerné c'est l'Armistice;
On attendait la chose du samedi-
"Bah! fallait ben un jour que la guerre finisse...!!!
Et, je crois que c'est tout que je me suis dit.
Mais v'la que j'entend gueuler la "Marseillaise"
Et que je vois du monde descendu dans la rue,
Et les femmes grimper de partout sur des Chaises
Pour yeuter les Messieurs qui faisaient le Chahut.
Je sens que moi aussi je vais piquer ma crise,
Et comme les braillard hurlent à se crever,
Je marche et avec eux, j'en mouille une chemise;
Tellement j'avais cru que s'était arrivé.
Et c'est à ce moment que commence l'histoire,
Tandis que je chantais comme un pauvre dingo
je me met à penser "sur", t'as l'air d'une poire;
De pialler, toi, soldat, au milieu de ces civelots....
Passe pour les pékins...mais y'a dans la bande,
Camouflés en poilus, tout un tas de gandins
Et ces miritons là ne chialent tous ensemble
Et sur le boulevard ne font tant de potin,
Que parceque c'est pour eux la fin d'un long martyre.
"Allons ! Enfants de la Patrie" et tous ces veaux
Le chante parcequenfin ils n'ont plus à se dire:
"Mon Dieu, préservez-moi, un jour, d'aller là-haut".
En faussant compagnie à toute cette clique,
Je m'es fait la dessus un long raisonnement,
Mon ieux c'est bien calait pour que je te l'explique,
Parce que j'ai fait pour ainsi dire un grand serment,
Le serment au retour, de venir, sur ta fosse,
Et là, pieusement, de me mettre à genoux
Pour te dire "MERCI", toi qui était plein de forces,
De mourir à vingt ans, pour que nous vivions, nous,
Nous tous, les survivants de la grande aventure
On aurait à compter avec d'autres tourments
Si se faisait casser bravement la figure,
Il ne s'était trouvé tant de gars de vingt ans...
Et qui sait si demain, oui demain, la canaille,
N'aurait pas eu raison de tous les braves gens,
Si crèvent, déchirés de leur sale mitraille
Il n'y avait pas eu tant de gens de vingt ans...
Et ils ont tout donné...eux qu'avaient la jeunesse,
Eux qui sortaient à peine des jupons de maman,
Oui, ils ont tout donné et leur mère en détresse,
N'a plus qu'une complainte: "Mon fils avait vingt ans".
Ce poème a été dit par André BERLEY, du Théatre National de l'Odéon.
J'ai respecté l'orthographe et la ponctuation.
Cordialement
Bernard.