Re: mobilisation du 173 RI
Publié : sam. juin 15, 2013 11:28 am
Bonjour à toutes et à tous,
Une petite curiosité, pour les amateurs d'anecdotes, trouvée dans les "archives 2 Armée ", et facile à vérifier pour ceux qui auraient un doute
Gouvernement militaire de la Corse
173 ème Régiment d'Infanterie
Crèvechamp, le 24 Août 1914
Le Lieutenant Colonel CHATILLON
Commandant provisoirement le 173 ème Régiment d'Infanterie
à
Monsieur Le Général Commandant la 2 ème Armée
J'ai l'honneur de vous rendre compte de certains incidents très fâcheux qui se sont produits hier 22 et aujourd'hui 23 Août. Hier, le Commandant d'un groupe d'artillerie du XX ème Corps voyant passer un détachement du régiment interpella à très haute voix et en présence de la troupe un sergent du 173 ème en lui disant "Ah, c'est vous le 173 ème, vous êtes tous des lâches et on devrait vous fusiller".
Le sergent se contenta de regarder fixement celui qui l'insultait si gravement et eut assez de présence d'esprit pour rester impassible et contenir le mouvement d'indignation suscité en lui par cette apostrophe aussi offensante qu'imméritée.
Ce matin, un officier général du XX ème corps voyant rentrer le détachement du régiment qui avait défendu le village de Crevic la veille jusqu'à 20 heures et s'était retiré en bon ordre après avoir accompli sa mission, interpella le Capitaine qui était en tête en lui disant : "Le 173 ème, vous êtes la honte de l'armée, je ne veux pas que vous donniez le mauvais exemple aux troupes du XX ème corps, sortez de mes lignes, je vous donne l'ordre de vous rendre à Tonnoy où sont mes bagages".
Dix minutes après, ce même officier général adressa les mêmes paroles à un Sous-Lieutenant conduisant un détachement revenant de Plainval où il avait passé la nuit aux avant-postes. D'autres incidents moins importants eu égard à la personnalité de ceux qui les ont provoqués se produisent à chaque instant risquant d'occasionner entre les officiers de mon régiment et ceux d'autres corps des altercations très regrettables.
Ils prouvent en tous cas qu'il existe dans l'armée une animosité très grande contre mon régiment et je tiens à vous donner à ce sujet des précisions de nature à détruire les légendes susceptibles de déshonorer à jamais le régiment et son drapeau
Une chose est indéniable, c'est qu'au moment où battant en retraite, par ordre, de la côte 247 sur Mulery un bataillon du régiment arriva dans le ravin du moulin de Kerprich une certaine quantité de soldats débandés du 55 ème Régiment d'Infanterie (une Cie environ) arrivèrent en courant, fuyant devant l'infanterie allemande qui sortait du bois, en criant "Sauve qui peut" ... au dire des hommes.
Le Capitaine commandant la 12 ème Compagnie et le Lieutenant de la même unité parvinrent, revolver au poing, à ralentir ce mouvement de retraite mais ces soldats qui avaient jeté leur sac s'enfuirent à toutes jambes. La panique se communiqua aux sections du 173 ème qui se trouvaient à cet endroit et les hommes qui avaient à franchir le ruisseau de Kerprich qui est un obstacle assez sérieux, jetèrent leur sac pour sauter plus à l'aise et coururent en arrière jusqu'à ce qu'ils eussent atteint l'abri de la crête en arrière.
Le mouvement de recul fut si vif et si soudain que les Officiers furent malgré leurs efforts dépassés et ne purent maintenir autour d'eux que ceux de leurs hommes ayant suffisamment de moral pour ne pas subir la contagion de la panique.
Là se borne l'incident du 173 ème.
Etant donné les mesures adoptées pour la constitution du régiment, j'avais prévu des événements bien plus graves encore et dans deux lettres successives adressées au Ministre de la Guerre et dont je pourrais vous fournir la copie in-extenso, j'avais au mois de Mars et Avril dernier signalé la situation dangereuse dans laquelle allait se trouver le régiment au point de vue de sa tenue au feu et de sa valeur offensive.
Le corps ne devait en effet emmener de Corse que 50 réservistes par compagnie et devait trouver à Marseille 1400 hommes destinés à compléter à l'effectif de guerre. Devant arriver à Marseille le 11 ème jour (dernier élément) et partir le 13 ème jour pour prendre part aux opérations il n'était pas possible aux officiers du Régiment de donner à leurs unités la cohésion indispensable. Je m'étais permis d'émettre l'avis que dans ces conditions, le régiment présenterait tout au moins pendant les premiers jours l'aspect d'une foule armée plutôt que d'une troupe organisée.
Mes conclusions furent taxées d'exagération et il y fut passé outre sans accueillir favorablement les propositions que j'adressais pour parer dans une certaine mesure au danger des dispositions adoptées. J’avais déclaré formellement dans ma dite lettre que je ne pouvais accepter la responsabilité des événements graves que je prévoyais et qui se sont en partie produits. La mesure précitée étant déjà très funeste, l'homogénéité du corps fut aggravé du fait qu'à son arrivée à Marseille le Régiment ne trouva aucun des réservistes annoncés. Il fallut télégraphier au Gouverneur de la Corse pour qu'on expédia sur Marseille le lot de réservistes nécessaires pour compléter le régiment à son effectif de guerre
Le temps pressait, les paquebots par suite des nécessités du convoyage devaient partir à heure fixe et l'on ramassa à la hâte dans les réservistes du régiment de réserve une masse de 1200 hommes que l'on embarqua pour Marseille. Or ils arrivèrent la veille de l'embarquement en chemin de fer du régiment pour le terrain des opérations. Ils furent mis dans le train sans qu'on eut le temps d'organiser les compagnies et les sections, les compagnies ne possédaient ni leurs pièces matricules ni leurs plaques d'identité.
Ils étaient accompagnés de gradés réservistes Corses qui par suite des moeurs particulières de ce pays n'ont généralement aucune autorité sur l'esprit de leurs hommes; il y avait parmi eux beaucoup de réservistes de classes très anciennes et même des territoriaux
Il ne fut pas possible pendant le trajet en chemin de fer de mettre un peu d'ordre dans cette cohue et le régiment débarqua à Jarville sans être organisé.
Des le lendemain dans la nuit il était dirigé en train sur Emberneim où il arriva le 17 Août à 17 heures sous une pluie battante ; le 18 Août il allait à Aumeray ou l'on disposa de quelques heures pour commencer la mise en main ; le surlendemain 20 Août il allait au combat sans même que les gradés aient eu le temps d'organiser leurs fractions.
Que pouvait-on attendre d'une troupe formée dans des conditions aussi désastreuses ? Malgré cela, les deux bataillons chargés de l'attaque sur la côte 247 marchèrent crânement sur l'objectif et l'atteignirent. Ce fut par ordre qu'ils battirent en retraite et si cette retraite se transforma en partie en panique pour certaines unités dans les conditions énoncées plus haut, il ne faut pas s'en étonner étant donné le peu de cohésion et la mauvaise organisation du commandement dans un régiment formé comme il a été dit.
Les officiers ont tous fait leur devoir, dix sept sont tués ou blessés, soit le quart de l'effectif total et cela après un seul jour de combat. Ils connaissaient parfaitement les conditions défectueuses dans lesquelles ils allaient être engagés et c'est pour eux un crève-coeur d'être considérés par leurs camarades comme des hommes ayant manqué d'énergie. Ils sont décidés à ne plus supporter aucune observation à ce sujet.
Il est à remarquer d'ailleurs que le bataillon chargé de la défense de Dieuze le 21 Août s'acquitta très bien de sa mission, que le même soir 4 compagnies du régiment se battaient très crânement à Blanche-Eglise pour défendre le passage de la Seille et qu'à Crévic bien qu'écrasés par les projectiles français en même temps que ceux des Allemands un détachement du 173 ème de 3 compagnies arrêta jusqu'à 20 heures l'offensive d'au moins deux bataillons allemands auxquels il infligea des pertes sérieuses
Aussi pour remettre les choses au point et fait cesser les racontars tendant à déshonorer le régiment et son drapeau, j'ai l'honneur de vous demander de bien vouloir provoquer des mesures pour qu'une note mise au rapport de l'armée mette les choses au point en disant que c’est par ordre que le Régiment a battu en retraite et éviter des incidents fâcheux qui s'ils duraient pourraient provoquer un conflit grave entre les militaires de mon régiment et ceux qui continueraient à leur adresser des propos offensants et immérités
Lieutenant-Colonel CHATILLON
A bientôt
CC