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Re: La Noël 1914 du 144e

Publié : jeu. déc. 22, 2016 10:21 am
par air339
Bonjour,



Depuis le bienveillant film "Joyeux Noël" et le livre d'un empathique historien, saisir "noël 1914" sur Google donne :

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Une fraternelle humanité retrouvée en ce 24 décembre 1914, ou un moderne discours de bon aloi ?



Voyons la Noël 1914 du 144e RI, qui va inviter malgré lui le 57e à la fête.


Par ordre de la 35e DI - général Bonnier - il s'agit, en ce 24 décembre 1914, d'occuper 3 postes d'observation allemands au sud de Chivy, faciles à prendre selon l'indication de 3 déserteurs polonais. L'affaire réussie, la dinde au marron de l'EM s'agrémentera-t-elle des éloges du communiqué ?



La nuit est calme, froide, d'un noir profond. A 3h du matin, une section du 144e RI conquiert par surprise les 3 postes, dont les défenseurs réussissent à s'enfuir à la faveur de l'obscurité, prévenus de l'intrusion par une sonnette reliée à un fil tendu.


Situation des 3 petits postes : extrait de carte JMO 35e DI sur fond de carte geoportail

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  • A 5h, 2 sections du 57e RI viennent renforcer l'occupation des 250 m de tranchée conquise.
  • A 9h, l'artillerie allemande commence à taper sur les positions, le tir s'intensifiant à partir de 11h.
  • A 11h45, une compagnie allemande sortant du bois du Tordoir aborde de flanc la tranchée.
  • Vers 13h30, après une âpre lutte dans la tranchée convoitée, le 144e RI note que « les nôtres succombent jusqu'au dernier ». Dans la marge du journal, au crayon : « il en est revenu un, la nuit »
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  • 13h40, seconde sortie du 57e RI pour reconquérir la tranchée. Mais cette fois il fait plein jour, avec 200m à franchir face à un adversaire averti ! Partant des lisières du bois du Tordoir, les 3e et 1e compagnies sont aussitôt bloquées par les tirs conjugués de l'artillerie ennemie et de mitrailleuses placées dans le clocher de Chivy.
Les 200 mètres fatidiques : photo prise par un soldat du 57e RI début 1915. (coll. Gérard Lachaux).

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  • 16h15, 3e sortie du 57e RI, au son de la charge.
Cette fois, il y a eu « une sérieuse préparation » ,selon les termes du 18e CA : exactement 8 minutes de tir par 2 batteries de 75 (2e groupe du 24e RAC, placés depuis le 26 octobre à la cote 175 près de la Fe Comin) et 2 pièces de 155 L (à Vieil Arcy) tirant à coups comptés sur Chivy.
Cette « sérieuse préparation » n'a pas trop marqué les artilleurs ; la 6e batterie note laconiquement « journée assez agitée », la 4e batterie reporte un immuable « id. » depuis le 28 octobre...

On devine la suite : l'héroïque déferlante du 57e RI vient mourir au pied de la tranchée ennemie, officiers en tête.
  • A 17h15, Le général de brigade prévoit une 4e sortie, puis la stoppe à 17h50, la nuit arrivant. Dans le journal de la 70e brigade, pas un mot sur cet ordre...
Au soir, le 57e RI note que « les tranchées prises et reprises sont pleines de cadavres français et allemands, en avant des tranchées 42 soldats français gisent, dormant leur dernier sommeil par une belle nuit de Noël »

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Le bilan tactique est nul, l'estimation des pertes varie selon les JMO :

- Au 144e RI, 78 disparus, 1 blessé, 1 tué.
- Au 57e RI, pertes totales de 236 hommes ; une centaine selon son service de santé.
Le 18e CA estime les pertes à 313 hommes : 203 tués, 75 blessés, 35 disparus.


Qui va revendiquer ce meurtrier Noël ?

La Ve armée ne se sent pas concernée par la « petite opération » de la 35e DI. « l'affaire de Chivy » sera l'objet du rapport n° 2663/3.

Le 18e CA n'est pas plus concerné par le « vif engagement » livré par la 35e DI.

La 35e DI, entre deux « rien à signaler », relate brièvement l'affaire, sans mention d'un quelconque ordre donné.

La 70e brigade indique que « le 144e a reçu l'ordre d'enlever 3 petits postes ennemis », sans préciser non plus d'où émane cet ordre.

Le journal du 57e RI accable le 144e, et seul le 144e mentionne l'ordre de la division et de la brigade. Sans ces mentions, on serait tenté de croire que le régiment a été seul à l'initiative de cette hécatombe.


A l'EM, la dinde se dégustera sans la lecture du communiqué. Lot de consolation, le lt-colonel Rousset, dans « La guerre au jour le jour », croit pouvoir écrire : « 24 décembre. Région de l'Aisne. - Une vive attaque dirigée par l'ennemi sur le village de Chivy, à 5 kilomètres au nord-est de Soupir, échoue complètement. »...


L'affaire n'avait évidemment pas échappé à notre historien du 57e RI, Bernard Labarbe, qui la retrace sur son site : http://raymond57ri.canalblog.com/archiv ... index.html, dans un article intitulé "Joyeux Noël".


Derrière les matricules se cachaient des hommes, des pères de famille, dont voici les quelques noms indexés à la recherche collaborative de mémoiredeshommes :


Auguste Arramy, 33 ans
Pierre de Suzzoni, 30 ans
Joseph Dubreuil, 23 ans
Jean Fontas, 25 ans
Jean Fradet, 31 ans
René Richard, 20 ans
Emile Antier, 34 ans
Moïse Arnaud, 26 ans
Barthélémy Badard, 40 ans
Pierre Dubois, 40 ans
Camille Gardreau, 26 ans
Jean Gaussou, 33 ans
Robert Lamouroux, 34 ans
Jean Martin, 40 ans
Pierre Morère, 33 ans
Alexandre Obissier, 30 ans
Léon Renard, 32 ans
Jules Schmitt, 20 ans
Emile Tutard, 22 ans.


In memoriam


Régis

Re: La Noël 1914 du 144e

Publié : jeu. déc. 22, 2016 5:10 pm
par zabmarcus
Bonjour régis,
de bien belles recherches effectuées par vos soins,peux être pour raison personnelles,mais bonne intention de votre part de nous la présenter, afin de nous souvenir que même en ces jours de Noël que l'on souhaiterai à raison heureux,qu'il y a un centaine d'années s'en était tout autre......
belle analyse qui mériterait débats.
Merci et joyeux Noël.
Marc

Re: La Noël 1914 du 144e

Publié : jeu. déc. 22, 2016 8:35 pm
par air339
Bonsoir Marc,


Merci pour votre message. Pas d'implication personnelles dans ma famille dans cette affaire que j'ai découvert un peu par hasard, suite à une ballade dans le coin concerné.

Et pour ne pas laisser croitre un nouveau mythe : la guerre c'est toujours moche, même un 24 décembre...


Joyeux Noël aux hommes - et bien entendu aux femmes ;) - de bonne volonté !

Bien cordialement, :hello:

Régis

Re: La Noël 1914 du 144e

Publié : lun. déc. 26, 2016 6:09 pm
par Yann LE FLOC'H
Bonsoir,

Bravo pour ces recherches sur cet épisode peu connu, bien loin des images qu'on a de la trêve de Noël....
Un bel article à compléter par la lecture du site de Bernard LABARBE sur le 57e RI .....

Cordialement

Yann LE FLOC'H


Re: La Noël 1914 du 144e

Publié : lun. janv. 02, 2017 11:35 pm
par Vincent Juillet
Bonsoir,

Ils n'ont pas été oubliés

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Bien cordialement

Vincent

Re: La Noël 1914 du 144e

Publié : mar. janv. 03, 2017 1:38 am
par Skellbraz .
Bonjour à toutes et tous
L'apparente "banalité" de cet épisode souligne et nous rappele, hélas, à la rude réalité de l'époque.
Merci pour ce partage qui nous plonge, en coeur et en pensée, dans le destin de tous ces hommes.
Bien à vous
Brigitte

Re: La Noël 1914 du 144e

Publié : mar. janv. 03, 2017 10:36 am
par bernard berthion
Bonjour,
Régis, un grand merci pour ce rappel dramatique d'une évocation historique d'une nuit de Noël 1914.
Des fils, des maris, des pères " gisent, dormant de leur dernier sommeil, par une belle nuit de Noël ".....
Fraternisation, match de foot sont bien loin ....
Cordialement BB

Re: La Noël 1914 du 144e

Publié : mar. janv. 03, 2017 10:56 am
par Stephan @gosto
Bonjour Bernard,
Fraternisation, match de foot sont bien loin ...
Pas si loin, pas si loin... A 30 kilomètres au sud-est de l'engagement relaté par Régis, on se serrait les pognes, trinquait et échangeait du tabac entre les tranchées allemandes et celles du 74e !! ;)
Mais il est vrai qu'un tel contraste à si peu de distance laisse pantois... Aussi, même si ces trêves restent marginales, leur singularité interrogera à juste titre ; elles méritaient donc d'être étudiées, sans pour autant, bien sûr, être généralisées ni masquer la dure réalité de la guerre qui, en dépit de cette fête de Noël, resta la réalité à laquelle fut confrontée la majorité des combattants.

Bonne journée.
Stéphan