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Re: La journée du 25 février 1916 à Douaumont

Publié : mer. août 06, 2014 8:11 pm
par Haudromont
Le 21 mars 1916, dans une note (Les Armées Françaises dans la Grande Guerre, tome IV, 1er volume, annexes, 2e volume, Imprimerie nationale, 1930, annexe n° 1388) où il se déclare surpris d’apprendre que le fort de Douaumont ne possédait plus de garnison d’infanterie au moment de sa prise par les Allemands, le général Joffre déclare que cette manière de faire n’était pas conforme à l’instruction générale sur le rôle des Places fortes du 9 août 1915 dont voici un extrait qui concerne les ouvrages :

« 1° Les places fermées, destinées à être investies, n’ont plus de rôle à jouer. Leurs ouvrages permanents doivent être utilisés dans les lignes de défense successives, en liaison avec celles des armées voisines, et non dans des organisations concentriques au noyau central. Les places ne doivent, en aucun cas, être défendues pour elles-mêmes ;
2° Les troupes des places seront constituées en unités de campagne entièrement assimilées aux autres unités du front. Les places ne conserveront que les garnisons nécessaires à la sécurité des ouvrages dont le maintien aura été décidé, et qui ne sont pas incorporés dans les organisations de première ligne, ainsi qu’à la garde des approvisionnements. » (Les Armées Françaises dans la Grande Guerre, tome IV, 1er volume, annexes, 1er volume, Imprimerie nationale, annexe n° 4)

Une note non datée (vraisemblablement de la 2e quinzaine d’août 1915) du général adjoint du gouverneur sur l’évacuation des ressources disponibles :
« La partie principale de l’ancienne zone principale de défense située en arrière du front actuellement occupé, du fort de Bois Bourru au fort de Douaumont, face au nord, et de ce dernier au fort du Rozelier, face à l’est est à conserver comme ligne de repli éventuelle.
On la garde dans son état actuel avec ses moyens de défense :
1° Les forts avec leur artillerie sous tourelle, et leurs moyens de défense propre.
(Il est à remarquer que les organes de flanquement des intervalles – casemates de Bourges – ont été démunis de leurs canons de 75 pour une autre utilisation) »

Depuis décembre 1915, le Haut-Commandement français a reçu des informations au sujet des intentions allemandes sur Verdun. Le commandant de la R.F.V. constate les préparatifs allemands et s’en inquiète dans un rapport au commandant du G.A.E., le 16 janvier 1916.
Qui a donné l’ordre, en janvier 1916, aux 25 soldats territoriaux affectés aux deux tourelles de mitrailleuses du fort de Douaumont, de rejoindre leur régiment ?
Qui a donné l’ordre, le 11 février, de retirer les équipes des tourelles d’artillerie de Douaumont ?
Ces équipes sont toutefois remises dans l’ouvrage grâce à l’énergique protestation du gardien de batterie auprès du général Boichut commandant de l’artillerie de la R.F.V.
Comment se fait-il que le général Coutenceau, ancien gouverneur de la Place, commandant du secteur nord de la R.F.V. et le général Jacquot commandant l’artillerie du XXXe CA soient relevés de leur commandement les 20 et 21 janvier pour être mutés à la place de Dunkerque, à un mois du déclenchement de l’offensive allemande ? D’autres officiers de rang inférieur, qui connaissaient parfaitement le secteur, subiront le même sort. La demande du commandant de la 67e DI au commandant de la R.F.V. du 13 février 1916 illustre ce propos : « Maintien dans le secteur (…) du chef de bataillon Dubois qui est dans le secteur depuis 10 mois et le connaît parfaitement. Maintien du commandant de l’artillerie du secteur du Lt colonel d’artillerie Buisson très au courant du secteur. »

Il semble que l’origine du retrait des soldats territoriaux des garnisons des forts, en janvier 1916, provienne des commandements inférieurs (commandant du génie de la Place ?) manquant cruellement de main d’œuvre pour améliorer les tranchées autour de Verdun avant l’assaut allemand prévu.
Dans sa note 7423 du 17 janvier 1916, la R.F.V. (3e bureau), prescrit « pour donner une impulsion nouvelle à l’exécution de certaines des organisations défensives (…) que les mouvements préparatoires du personnel de travailleurs seront exécutés par entente directe entre les autorités intéressées, s’il y a lieu (…) il rappelle en outre que les travaux doivent être exécutés par unités constituées (cadres et effectifs au complet). »
C’est dans cet ordre que se trouve certainement la raison de l’abandon des forts ; le cas du 81e R.I.T. semble confirmer cette opinion.
Des compagnies du 8e bataillon du 81e R.I.T. formaient les garnisons des forts du Rozelier, d’Haudainville, de Deramé, et de Moulainville. A partir du 10 janvier 1916, elles détachent des travailleurs en journée.
Survient l’ordre du 17 et, le 22 janvier, le fort du Rozelier est abandonné. Le lendemain, la totalité du bataillon est affectée à la 132e DI comme travailleurs sur ordre du XXXe Corps.
Ce fort est abandonné par sa garnison le 22 janvier 1916.


Du 21 février, début de l'attaque allemande, au 25, date de la prise du fort par les Allemands, il reste comme garnison au fort de Douaumont, un gardien de batterie, qui a rang d’adjudant, Hyppolite Chenot (1) et 58 soldats dont 40 artilleurs territoriaux (1ère batterie territoriale du 5e RAP) répartis en deux équipes pour servir les deux tourelles d'artillerie. Il n’y a aucun officier dans le fort.
Contrairement à certaines déclarations, les artilleurs des tourelles n’ont pas déserté. La preuve se trouve dans la note du 1er mars 1916 émanant de la Ve Armée allemande, destinée au G.Q.G. Elle est signée par le général Gebsatel : « Le fort n’était occupé que par les servants des tourelles et quelques pionniers, en tout, 50 hommes environ sous le commandement d’un chef (…) de 60 ans. (…) les pertes de la garnison se montent à deux morts et quelques blessés ». (texte complet et références dans les annexes ci-dessous)
Bien que le fort soit soumis à un violent bombardement allemand, le gardien de batterie fait tirer sur des objectifs lointains, ou demandés par l’extérieur.
Chenot déclare : « Nous voyions d’ailleurs les Allemands dans la plaine des Chambrettes ; mais, comme les abords du fort et du village étaient garnis de tranchées, nous les croyions occupées par l’infanterie ». (La vérité sur la perte du fort de Douaumont, Lieutenant-colonel Chenet, Mercure de France tome CXLIX 1er août 1921)

le 24 février, il est donné l’ordre de charger les dispositifs de mines des forts du Nord de Verdun, laissant le soin de l’ordre de mise à feu aux commandants des 30e et 7e C.A.
Cette responsabilité n’empêche pas le commandant du XXXe Corps, responsable du secteur dans lequel se trouve le fort depuis le 19 janvier 1916, d’y mettre des troupes, quitte à donner l’ordre de mise à feu des charges au moment où l’ennemi risque de prendre l’ouvrage.
« Le général Chrétien, d’ailleurs, le 24 février au soir, quand je l’avais vu dans la baraque de Souville, répondant à mes questions, m’avait dit de ne pas m’occuper des forts qui dépendaient de la place, et surtout de recommander à mes troupes de les éviter autant que possible en raison du bombardement intense…Quand j’émis l’idée de porter mon PC au fort de Douaumont, il me dit de ne pas le faire parce que, en raison même de ce bombardement, je serais coupé de toutes communications avec mes troupes. » (lettre du général Deligny du 4 avril 1922, Revue Militaire Générale 1923)

Le 25, à 3h00 du matin, le général de Castelnau prescrit à la R.F.V. « de la façon la plus formelle que le front Nord de Verdun, entre Douaumont et la Meuse, et le front Est sur la ligne des Hauts de Meuse devront être tenus coûte que coûte et par tous les moyens dont vous disposez ».

A 5 heure du matin, avant réception de l’ordre de 9h10 (voir infra),le commandant de la 153e D.I., le général Deligny (2), responsable du secteur de Douaumont, fort et village, ordonne la création d’une deuxième ligne, ligne de résistance qui suit la ligne village et fort.
(La 153e D.I. se compose de la 306e brigade : 418e R.I., 2e et 4e B.C.P. et de la 3e brigade marocaine : 1er R.M.Z.T. et 9e régiment de Zouaves.)

Il est à noter que la transmission des ordres entre le XXXe Corps et la 153e D.I. est excellente car depuis 3 heures du matin, les états-majors travaillent l’un à côté de l’autre dans des baraquements du fort de Souville. Vu cette proximité, le général Deligny aura déjà reçu l’ordre verbalement entre 3 et 5 heures du matin.

Dans la journée, le général Deligny donne l’ordre à son commandant du génie divisionnaire, le chef de bataillon Tartarin, de reconnaître la 2e ligne « cette reconnaissance doit tout spécialement porter sur l’étude des ouvrages permanents existants (…) ainsi que sur leur utilisation en vue de l’organisation défensive projetée. ». C’est la première fois depuis le début de la bataille qu’un général s’intéresse à l’utilisation des fortifications permanentes dans le combat mais on n’est pas encore dans la concrétisation !!
Le chef du génie divisionnaire exécute sa mission dans l’après-midi et en rend compte mais, dans son J.M.O., il reste assez vague et ne parle pas du fort.

A 9h10, sur ordre du commandant de la RFV, le commandant du XXXe Corps indique à ses troupes que la ligne de résistance principale est la ligne des forts : « les généraux commandant les divisions feront reconnaître et améliorer cette ligne de défense (…) Ils la feront occuper solidement de manière à y recueillir le cas échéant leurs éléments avancés et à en faire la défense à outrance. ».
Cette crête du fort domine et commande la plaine des Chambrettes que doivent parcourir les troupes allemandes.
Une heure plus tard, le commandement du secteur était repris par le XXe Corps dont le commandant approuve tous les ordres donnés par son prédécesseur. Le colonel de Thomasson précise que « le général Herr décide que le général Chrétien doublera le général de Bazelaire jusqu’à ce que ce dernier soit bien au courant de la situation.»
Ordre est donc envoyé par la 153e D.I. au 418e R.I. d’occuper la seconde ligne, c’est-à-dire la crête du fort mais « il est recommandé au 418e de ne pas chercher à atteindre les crêtes du fort bombardées par l'artillerie allemande de gros calibre et tenues déjà par d'autres éléments (…) Des renseignements recueillis, il résulte que la crête de Douaumont est solidement tenue par nous, couverte, en avant, par les chasseurs » ... (J.M.O. Du 418e R.I.) Le 418e reste donc vers le sud de l’ouvrage et n’exécute pas les ordres des commandants du XXXe Corps et de la 153e division.
Il semble que ces informations erronées proviennent de la 306e brigade.
Déjà, le 24 à 21h50, la brigade donnait l’ordre au 418e « de se placer en réserve dans les ravins ouest de Vaux-devant-Damloup évitant de pousser des éléments à proximité du fort de Douaumont, fréquemment bombardé par l’artillerie lourde ».
Parlant du rôle du général Chéré commandant la 306e brigade, et de l’occupation des forts, le général Deligny, sans sa lettre de 1922, citée plus haut : « Il est tout à fait innocent, car il avait assisté à mon entretien du 24 avec le XXXe Corps et était, comme moi, convaincu de l’occupation des forts. » (Revue Militaire Générale, 1923-1)

Le 25 à 16h55, le général Deligny réitère l’ordre au 418e de « tenir sur la crête du fort de Douaumont »
Les communications téléphoniques entre le 418e R.I. et la 306e Brigade dont il dépend sont faciles mais impossibles entre la brigade et la division (153e). Cependant, les communications par coureurs existent… La brigade situe ce régiment à l’est et à l’ouest du fort.
Mais à ce moment, il est déjà trop tard car les Allemands sont entrés dans le fort vers 17h00.

L’assaut allemand sur le fort de Douaumont était bien téméraire car si les tourelles de mitrailleuses, les coffres de contrescarpe et la tourelle de 75 étaient entrés en action, les assaillants auraient subi un carnage. L’armement et les munitions étaient disponibles. Le personnel de la tourelle de 75 l’était aussi. Ce n’est pas le retrait de l’artillerie suite au décret du 5 août 1915 qui, comme on l’entend dire trop souvent, a causé la chute du fort, mais l’absence d’un officier et d’une vingtaine d’hommes pour manier mitrailleuses et canons-revolvers…
On peut regretter le désarmement des casemates de Bourges des forts de Vaux et de Thiaumont. Mais en admettant que dans ces ouvrages, il y ait eu canons et servants, il n’y avait pas de moyens de communications entre les forts pour réclamer des tirs de protection.

Revenons à ce qui se passe au Nord du fort en cette matinée du 25 févier.
Les troupes qui sont à 1 km en avant de l’ouvrage, sont les 2e et 4e B.C.P. et un bataillon du 206e R.I. A leur droite, le 44e R.I. qui tient Bezonvaux et à leur gauche, le 95e R.I. vers le village de Douaumont.
À 13h00, le bombardement allemand de cette ligne commence. Les troupes françaises n'ont aucune
liaison possible avec l'arrière et ne bénéficient d'aucun appui d'artillerie.
À 14h30, le bombardement s'intensifie ; des calibres d'artillerie lourde sont employés.
L'attaque allemande se déclenche à 15h00 et le front entre le 95e R.I. et le 4e B.C.P. est percé.
Les 2e et 4e B.C.P., qui ont perdu beaucoup d’hommes, seront forcés de faire retraite au Sud de l'ouvrage en fin de journée.
A la fin de la journée, le 2e B.C.P. ne compte plus que 300 hommes ; il a perdu 599 tués, blessés ou disparus.
Le 2e bataillon du 9e Zouaves qui reçoit, à 14 heures, l’ordre de renforcer la première ligne devant le fort, n’arrivera jamais à destination pour cause de violent bombardement et se positionnera à gauche du village de Douaumont.
Quant au 95e R.I., il commence son héroïque défense du village de Douaumont.
Mais, en cette fin de journée du 25 février, le fort est inséré dans le dispositif allemand.

Le 26 au matin, ne connaissant pas encore la chute du fort, le général commandant la 153e D.I. donne l’ordre d’y mettre une garnison. Preuve que « tenir sur la ligne des forts » ne voulait pas dire utilisation des forts. Le rapport de son commandant du génie divisionnaire avait certainement noté l’absence de garnison hormis les artilleurs territoriaux.

Les 2e et 4e B.C.P., le bataillon du 208e R.I. n’ont pas tenu face au bombardement et à l’assaut allemand. Le 418e bien placé juste en avant de la pointe nord du fort aurait-il pu mieux faire ?
Quant au général Deligny, il semble s’être intéressé au fort de sa propre initiative.



(1) Hyppolite Chenot né à Pouru-Saint-Rémy (Ardennes), le 5 mars 1857. Engagé en 1878 dans l’artillerie, il y obtient le grade de sous-officier avant de devenir gardien de batterie de 2e puis de 1ère classe.
Fait prisonnier, rentré en France en novembre 1917, il était très étonné de n’avoir jamais été interrogé par le haut commandement sur son rôle en février 1916. Après la guerre, il se retire à Uruffe (M&M). (Base Léonore, Légion d’Honneur)

(2) Le général Deligny, né à Rennes en 1855, était un officier d’infanterie sortie de l’école de Saint-Cyr. Sous-directeur des études puis commandant en second et directeur des études de l’Ecole supérieure de Guerre, il a été nommé général de brigade en 1911 et directeur de l’infanterie. Blessé à Dinant le 15 août 1914, il le sera encore une troisième fois comme commandant de la 153e DI à Verdun en mars 1916 (contusions multiples à la tête et aux épaules et intoxication par gaz nocifs).
Il est cité à l’ordre du 9e CA le 6 mai 1915 et à l’ordre de la IIe armée le 24 mars 1916. (Base Léonore, Légion d’Honneur)


Re: La journée du 25 février 1916 à Douaumont

Publié : mer. août 06, 2014 11:11 pm
par RADET Frederic
Ce n’est pas le retrait de l’artillerie suite au décret du 5 août 1915 qui, comme on l’entend dire trop souvent, a causé la chute du fort, mais l’absence d’un officier et d’une vingtaine d’hommes pour manier mitrailleuses et canons-revolvers…
On peut regretter le désarmement des casemates de Bourges des forts de Vaux et de Thiaumont. Mais en admettant que dans ces ouvrages, il y ait eu canons et servants, il n’y avait pas de moyens de communications entre les forts pour réclamer des tirs de protection.
Une vingtaine d’hommes pour un fort qui en réclame plusieurs centaines en temps normal c’est un peu léger non ?
La perte du fort est invariablement lié à ce funeste décret.
(1) Hyppolite Chenot né à Pouru-Saint-Rémy (Ardennes), le 5 mars 1857. Engagé en 1878 dans l’artillerie, il y obtient le grade de sous-officier avant de devenir gardien de batterie de 2e puis de 1ère classe.
Fait prisonnier, rentré en France en novembre 1917, il était très étonné de n’avoir jamais été interrogé par le haut commandement sur son rôle en février 1916. Après la guerre, il se retire à Uruffe (M&M). (Base Léonore, Légion d’Honneur)
L’histoire ne dit pas s’il s’est occupé de la… batterie d’Uruffe.

Re: La journée du 25 février 1916 à Douaumont

Publié : dim. août 10, 2014 12:09 pm
par Haudromont
Je ne suis pas un admirateur du général Joffre mais il ne faut pas confondre le décret du 5 août 1915 et les modalités d'application de ce décret du 9 août.
Il faut bien lire.
Le généralissime n'est pas coupable de la non -application de ses directives et de la panique des autorités de Verdun qui, en janvier février 1916 ont pris des troupes partout où elle le pouvaient
afin de creuser des tranchées dont le secteur était lamentablement dépourvu.
Sa responsabilité réside dans le fait qu'il assure, après les mises en garde du colonel Driant, que la situation dénoncée par ce dernier est fausse.

Bonne journée.