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Re: cour spéciale de justice militaire

Publié : dim. févr. 23, 2014 7:17 pm
par garigliano1
Bonjour

La cour spéciale de justice militaire a été instaurée par la loi du 09 mars 1932. Cette juridiction a été chargée de la révision des jugements rendus dans la zone des opérations des armées par des juridictions d’exception.

La loi du 09 mars 1932 fait suite à d’autres lois d’amnisties comme celles de 1919, 1921, 1924 et avant celle de 1936.

Cette cour spéciale était composée de 6 membres dont 3 conseillers à la cour d’appel de Paris et 3 anciens combattants (un officier, un sous-officier et un soldat).

Les archives de la cour spéciale de justice militaire consultables au SHD nous fournissent des informations sur les jugements rendus par cette juridiction.

Le premier carton comporte 41 dossiers.
Le second carton comporte d’une part 22 dossiers et d’autre part un minutier contenant 94 jugements.

Ces 94 jugements concernent :
-6 civils
-1 brigadier de gendarmerie
-1 matelot
-42 soldats
-15 caporaux
-4 sergents
-1 officier d’administration
-1 s/lieutenant
-6 lieutenants
-1 Lt Colonel
-1 chef de bataillon

Dans la plus grande partie des jugements, la cour spéciale a jugé une première fois sur la recevabilité du dossier puis une seconde fois sur le fond du dossier. Une très petite partie de ces jugements ont porté à la fois sur la recevabilité et sur le fond. Dans la plupart des cas, un premier jugement a statué sur la recevabilité et un autre sur le fond d’un dossier.

Ces dossiers traitent de motifs très divers :
-abandon de poste
-mutilations volontaires
-refus d’obéissance
-rébellion à main armée
-désertion en présence de l’ennemi, à l’étranger ou à l’intérieur
-espionnage et intelligence avec l’ennemi
-vol ou vol qualifié
-faux en matière d’administration
-escroquerie
-abus de confiance
-meurtre

Les condamnations ont été prononcées entre 1914 et 1926 (dont 4 en 1919 et 1 en 1926) par les conseils de guerre.

Les peines prononcées lors des jugements des conseils de guerre allaient de 10 mois de prison à la peine de mort en passant par la peine de mort par contumace, 10 ou 20 ans de travaux forcés.

Sur la recevabilité des dossiers, la cour spéciale :
-s’est déclarée incompétente sur un cas
-a déclaré que 45 cas étaient recevables
-a déclaré que 26 cas étaient irrecevables

Puis, sur le fond, la cour spéciale a prononcé :
-21 acquittements
-19 rejets dont celui du sous-lieutenant Chapelant
-2 arrêts de la procédure suite au désistement de la famille

Il faut bien souligner que la notion de réhabilitation n’est jamais présente dans ces jugements. La cour spéciale prononce dans les cas favorables :
-l’annulation du jugement prononcée par le conseil de guerre
-déclare l’acquittement de l’accusation prononcée
-décharge la mémoire du soldat de la condamnation prononcée
-ordonne l’affichage du présent arrêt dans les lieux déterminés par l’article 446 du code d’instruction criminelle et son insertion dans le journal officiel
-ordonne la transcription du présent arrêt sur le registre du conseil de guerre
-statue sur l’allocation de dommages-intérêts

Comme dans les cas de jugements en conseils de guerre, ces arrêts de la cour spéciale de justice militaire montrent la grande variété des requêtes présentées devant cette cour.
Pour les soldats acquittés par cette cour spéciale, on voit bien à la lecture des documents qu’il s’agit d’un véritable procès à l’issue duquel les inculpés ont été « lavés » de toute accusation et non pas d’une mesure prise à la va-vite sans analyse des charges ou du fait du « prince » sans aucune valeur juridique.

Cordialement

yves

Re: cour spéciale de justice militaire

Publié : dim. févr. 23, 2014 7:46 pm
par clery
Bonjour Yves

Pour illustrer votre propos
http://memoiresdepierre.pagesperso-oran ... elain.html

Cordialement

Re: cour spéciale de justice militaire

Publié : sam. mars 01, 2014 11:39 am
par garigliano1
Bonjour à tous

Egalement pour illustrer mes premiers propos

Parmi les arrêts prononcés par cette cour, voici celui concernant le caporal Fray originaire du Lot et Garonne. Parmi les sujets que j’ai déjà présenté, je n’ai jamais affiché le nom des condamnés, pour ce cas, j’ai fait une exception.

Arrêt n° 24 de la cour spéciale de justice militaire rendu au nom du peuple français :
La cour s’est réunie en audience publique le 4 novembre 1933, pour statuer sur le cas du caporal Fray Fernand du 7e RI, condamné à la peine de mort par le CdG de la 131e DI pour abandon de poste en présence de l’ennemi. La requête présentée le 17 mai 1933 ne portait pas la signature du condamné mais celle de son frère. L’article 3 de la loi du 9 mars 1932 permettait aux frères et sœurs de formuler un recours en révision que si le condamné était décédé. En l’espèce, le condamné s’était évadé et était réfugié en Espagne depuis 1915. Statuant sur la recevabilité de la requête, la cour l’a déclaré irrecevable.

Arrêt n° 85 de la cour spéciale de justice militaire rendu au nom du peuple français :
La cour s’est réunie en audience publique le 20 octobre 1934, pour statuer sur le cas du caporal Fray Fernand du 7e RI, condamné à la peine de mort par le CdG de la 131e DI pour abandon de poste en présence de l’ennemi. Constatant que le condamné n’invoque aucune raison légitime pour se soustraire à la comparution que la cour juge indispensable, renvoi l’examen de la requête au 17 novembre 1934 et ordonne au condamné de comparaitre en personne à cette audience.

Image

Arrêt n° 90 de la cour spéciale de justice militaire rendu au nom du peuple français :
La cour s’est réunie en audience publique le 17 novembre 1934, pour statuer sur le cas du caporal Fray Fernand 7e du RI, condamné à la peine de mort par le CdG de la 131e DI pour abandon de poste en présence de l’ennemi. La cour constate qu’en l’espèce, c’est dans le courant de l’année 1924 que date la lettre du président du conseil général du Lot et Garonne, en vue de la réhabilitation au sens le plus large du mot, du condamné. La requête ayant été introduite dans le délai de la loi, la cour déclare la requête recevable et renouvelle l’injonction adressée au condamné de comparaitre en personne à l’audience.



Arrêt n° 92 de la cour spéciale de justice militaire rendu au nom du peuple français :
La cour s’est réunie en audience publique le 8 décembre 1934, pour statuer sur le cas du caporal Fray Fernand 7e du RI, condamné à la peine de mort par le CdG de la 131e DI pour abandon de poste en présence de l’ennemi.

La cour est composée de :
Monsieur Magnin-conseiller à la cour d’appel de Paris comme président
Monsieur Dreyfus-conseiller à la cour d’appel de Paris comme membre
Monsieur Perny-conseiller à la cour d’appel de Paris comme membre
Monsieur De Barral de Montauvrard-lieutenant de réserve comme membre
Monsieur Morin-sergent réformé de guerre comme membre
Monsieur Latreille-soldat réserviste comme membre

Ceci constitue la transcription de la plus grande partie de l’arrêt de cette cour pour ce dossier.

Vu la requête en date du 26 février 1934 par laquelle l’ex-caporal Fray Fernand du 7e RI actuellement réfugié en état de désertion en Espagne à Saragosse 47 Calle Casta Alvarez demande en vertu des dispositions de la loi du 9 mars 1932, la révision du jugement du CdG de la 131e DI qui l’a reconnu coupable d’abandon de poste en présence de l’ennemi et l’a condamné le 2 octobre 1915 à la peine de mort, jugement qui n’a pas été exécuté, le condamné ayant réussi à prendre la fuite, aussitôt après sa condamnation.

Vu les pièces de la procédure soumise au conseil de guerre

Vu les dépositions des témoins cités

Statuant sur le fond

Attendu qu’il n’est pas discuté que le 8 septembre 1915, dans la matinée, vers 10 heures, le caporal Fray Fernand de la 2e Cie du 7e RI a disparu de la 2e Cie alors que celle-ci en exécution des ordres reçus, partait au feu, après avoir subi au Camp Deville où elle était cantonnée, un violent bombardement accompagne de jets de gaz suffocants.
Attendu qu’il est établi par le rapport du capitaine, joint à la procédure, que Fray Fernand n’a rejoint son unité que le 12 septembre à 19 heures environ, son absence ayant ainsi duré plus de 4 jours.
Attendu qu’au cours de l’instruction complète qui a précédé sa comparution devant le CdG, Fray a expliqué, le 24 septembre 1915, lors de son interrogatoire par l’officier rapporteur saisi d’une plainte en abandon de poste en présence de l’ennemi, que sa section s’était dispersée au moment du bombardement, il s‘était réfugié dans un abri de la partie basse du Camp Deville, occupé par des territoriaux, qu’en sortant 2 heures plus tard de cet abri il avait été suffoqué par les gaz asphyxiants, qu’il s’était rendu ensuite à l’infirmerie où il avait passé la nuit et que les jour suivants, jusqu’au 12 septembre, à l’heure de la soupe, il avait erré avec d’autre troupes, se joignant à elles et cherchant en vain à retrouver sa compagnie, sans apporter d’ailleurs la moindre justification à l’appui de ses allégations.

Attendu que le CdG de la 131e DI devant lequel il a été traduit le 2 octobre 1915, à la suite de ces faits, l’a déclaré à l’unanimité des voix, coupable d’abandon de poste en retenant à la majorité de 4 voix contre une, la circonstance aggravante de présence de l’ennemi et l’a condamné à la majorité, à la peine de mort.
Attendu que dans la requête en révision datée du 26 février 1934, soumise à l’examen de la cour spéciale militaire, sans contester l’exactitude des faits, Fray soutient qu’à la suite de l’attaque allemande et de la panique qui en fut la conséquence, le colonel commandant la brigade aurait donné le signal d’un sauve qui peut général et que fortement gazé, commotionné par les obus lacrymogènes, il n’aurait pu, après avoir été soigné dans les abris, se rendre en temps utile au ralliement de sa Cie, ajoutant au surplus avoir été en la circonstance, victime de l’animosité personnelle de son adjudant.

Mais attendu que la procédure du CdG, les dépositions consignées dans les notes d’audience régulièrement tenues et des débats devant la cour spéciale établissent l’inexactitude de semblables allégations.

Attendu que le sergent Garrigues joseph de la 2e Cie du 7e RI a déposé devant l’officier rapporteur, devant le CdG, comme devant la cour spéciale que Fray obéissant aux ordres donnés, s’était équipé comme ses camarades au moment du bombardement mais qu’il avait quitté le premier avant que l’ordre en ait été donné, l’abri occupé par la demi-section à laquelle il appartenait, qu’en vain il l’avait recherché alors que la Cie était rassemblée pour partir aux tranchées, qu’il croyait l’avoir aperçu sans pouvoir l’affirmer un instant en arrière de la section et qu’il ne l’avait revu que le 13 septembre au matin le jour de la relève à Fontaine Ferdinand.

Attendu que confirmant cette déposition et la complétant, l’adjudant Senut Louis a déclaré qu’il n’était pas exact que sa section ait été entièrement dispersée par le bombardement, que les hommes qui s’étaient sauvés, étaient revenus peu après et que seul le caporal Fray n’avait pas rejoint.

Attendu que l’infirmier Gaumart a bien vu Fray à l’infirmerie du 1er Bataillon du 7e RI le 8 septembre dans l’après-midi vers 2 ou 3 heures mais celui-ci ne lui a pas réclamé de soins.

Attendu qu’on invoquerait en vain au soutien de la requête en révision, le témoignage de sous-lieutenant Audeguis Victor qui se trouvant en permission le 8 septembre 1915, s’est borné devant le CdG, comme il l’a fait devant la cour spéciale , à attester de la bonne manière de servir du caporal Fray en soulignant que celui-ci, intelligent, ancien élève de l’école supérieure de commerce, de bonne instruction et de solide éducation, s’était toujours très bien comporté à ses côtés.

Attendu que l’abandon de poste en présence de l’ennemi retenu à la charge de Fray étant caractérisé et la culpabilité étant certaine, le jugement du conseil de guerre doit être maintenu.
Rejette en conséquence la requête en révision introduite par Fray Fernand.

L’ex caporal Fray ne s’est pas présenté à l’audience du 8 décembre 1934 ce qui n’a joué en sa faveur après 3 rappels de la cour.

En juin 1936, Fernand Fray a effectué une nouvelle démarche auprès du ministre de la défense nationale et de la guerre qui n’a pas abouti, semble-t-il.

Ce cas est atypique, en lisant les arrêts de cette cour, on s’aperçoit que le doute profite très souvent au condamné.

Fernand Fray est décédé le 29 février 1952 à Saragosse.

Cordialement

yves