Re: A propos des jeunes lecteurs
Publié : sam. juin 08, 2013 11:39 am
Bonjour,
Je reprends ici , pour le moins spécialiser, un échange avec notre ami H H qui écrit:
décidément, ça ne s'arrange pas !!!
A la trappe, ces deux bons vieux archi-classiques ?
Mais qu'y a-t-il donc dans les biblio couramment accessibles à nos chers "moins de 20 ans" ?
-"Les oubliés de ci", "les oubliés de ça", et "untel fusillé"... et encore "le fusillé trucmuche", ou "les sénégalais ont gagné la guerre" ? etc...
Je réponds: faut pas exagérer, même pour la bonne cause....
Une bibliographie, une bonne, ça se trouve à la fin de tous les bons ouvrages
évidemmment, il faut choisir un assez récent
[#b80046]-"Les oubliés de ci", "les oubliés de ça", et "untel fusillé"... et encore "le fusillé trucmuche", ou "les sénégalais ont gagné la guerre" ? etc...
et là je sens un soupçon d'hire à propos de laquelle nous nous sommes expliqués.
On ne peut pas aujourd'hui écrire "le feu "ou "les croix de bois" ... la parole est aux historiens
et ils vont chercher dans les coins sombres même si ça gratte ou dérange parfois.
Il y a quelques années, pardon de me citer, j'avais écrit ce qui suit, un article pour justifier la publication des correspondances de Poilus...
L'inventaire rapide, d’une bibliographie consacrée aux milliers d’ouvrages ayant trait à la Première Guerre Mondiale montre qu’environ deux cents témoignages ou écrits polémiques ont été publiés, en France, pendant les hostilités. Il montre aussi que dès l’armistice, parurent en grand nombre les " Souvenirs " et " Mémoires " des acteurs politiques du conflit et " Les historiques grands formats " de ceux qui avaient exercé le commandement des Armées. Comme si un irrépressible désir de justification et d’explication émergeait soudain ! Il révèle enfin qu’aux textes suscités par un évident désir de propagande, comme " Gaspard " ou " Bourru soldat de Vauquois " s’ajoutèrent des œuvres écornées par la censure, dont les auteurs, Barbusse, Dorgelès, Genevoix ou Lintier, tentaient de rendre compte de l’horreur dans laquelle les soldats avaient été plongés.
Le succès populaire des uns et des autres, fut indéniable mais les combattants revenus du front ne reconnurent pas leur expérience singulière dans cette profusion de publications.
Dès 1919 André Maillet écrivait : " Qui sauvera des ténèbres qui l’ensevelissent, la sauvagerie des luttes multiples que nous livrons ? Tout cela est irrémédiablement perdu, et c'est dommage […] ". C’est probablement la raison pour laquelle, parallèlement aux grandes éditions, plus discrètement, des dizaines d’ouvrages virent le jour. Derniers honneurs rendus à quelque célébrité locale, pieux hommages à la mémoire de disparus ou volonté de survivants de dire les heures terribles vécues au front, ces écrits manifestent, tous, un même souci de témoigner, une volonté commune, très souvent formulée, de ne pas laisser s’effacer les traces de la tragédie .
Lorsque, en 1929, Norton Cru fit paraître " Témoins ", il appuyait son travail sur trois cent quatre volumes. Deux cent seize avaient été publiés entre 1915 et 1919, les autres, dans les dix années qui suivirent. Au sein de ce corpus, comportant les auteurs dont on a l’habitude de dire qu’ils sont les meilleurs : Meyer, Delvert, Pézard, Bernier, Escholier, rares étaient les authentiques " Carnets de guerre ", encore plus rares les Correspondances de soldats. " Volatier [était] le seul soldat homme du peuple, le seul poilu non bachelier, non breveté dont on [avait] publié les impressions ".
Quatre vingt dix sept ans plus tard, et tenant compte de la floraison d'ouvrages postérieurs aux commémorations de 1998, on constate, sans surprise, que les documents dont nous disposons sont presque toujours l’œuvre d’hommes rompus à la pratique de la langue écrite. Font exception des livres, comme, " Grenadou paysan français ", " Les carnets de Louis Barthas, tonnelier " et quelques ouvrages publiés, sous l’impulsion d’universitaires comme Rémy Cazals et Patrick Cabanel à Toulouse, Gérard Canini, Pierre Barral à Nancy . On conviendra qu’un tiers des textes les plus anciens émanent d’officiers, on conviendra aussi qu’ils ont souvent été " lissés " par la censure, des héritiers timorés , des éditeurs prudents.
Depuis 1998 une évolution se perçoit. Au témoignage d’un spécialiste comme Jules Isaac , on peut confronter de nouvelles publications qui constituent, peu à peu, les sources nécessaires à l’étude de la vie des " hommes – soldats " de 14-18 et de leurs mentalités.
On citera, entre autres : " Un Commandant bleu horizon ", présenté par Yves Pourcher (Editions de Paris), " Emile Carrière : un professeur dans les tranchées 1914-1916 " (L’Harmattan), " Si je reviens comme je l'espère : Lettres du front et de l'arrière, 1914-1918 ",(Grasset) par R. Cazals et N. Offenstadt, " Carnets de guerre d’un hussard noir de la République " sous la direction du Général Bach, sans oublier l’étonnant " Une lettre par jour " de Gérard Berger (CERHI – Saint-Etienne).
Ces œuvres, moins littéraires, moins éloignées des préoccupations quotidiennes de la troupe, s’inscrivent dans ce mouvement de renouveau, sans pour autant corriger la sous représentation des " hommes du peuple ", les grands silencieux du corpus dont nous disposons.
Un exemple, emprunté à Emile Carrière : " Parce que je porte le même uniforme qu'eux, les propres ouvriers de mon père se croient immédiatement autorisés à me tutoyer, à me parler grossièrement. Nous vivons tous ici dans un état de promiscuité physique et morale extrême. Nous sommes entassés la nuit, […] nos membres s'enchevêtrent, nos transpirations se pénètrent, nos haleines se mélangent. "
Une pareille évocation de la promiscuité est rarement présente dans les témoignages issus de soldats venus des milieux populaires et, à fortiori, une telle conscience de classe.
Autre exemple, plus ancien : Jacques Meyer qui consacrera, en 1966 quelques lignes de l’avant propos de son livre " Les soldats de la Grande Guerre " à expliquer que le terme Poilu était une création de l’arrière et que les soldats, selon lui, répugnaient à l’utiliser . Meyer, officier subalterne vivait au contact de la troupe mais conservait de son éducation, certaines délicatesses de langage et son témoignage, par ailleurs fort intéressant, est, bien sûr, marqué par son origine sociale.
Plus singulier est le cas de Robert Hertz. Ses lettres publiées ", révèlent une obsession d'intégration qui le conduit à l'acceptation du sacrifice de sa vie : " C'est difficile de parler de ces choses si nuancées, mais c'est vrai qu'il y a quelque chose d'admirable dans cette tranquille et gaie acceptation du plus grand risque par nos petits troupiers. C'est une armée de gens qui y voient clair, qui ne se laissent pas bourrer le crâne et qui acceptent tout, résolument, sans faire usage de leur raison si éveillée et si vive, parce qu'il le faut. C'est une bénédiction de vivre parmi eux surtout pour un Juif. Aussi suis-je plein de gratitude et d'amour pour la douce patrie si accueillante, jusqu'à l'excès […] "
Mise à part le très croyant Johannès Berger de " Une lettre par jour ", une attitude d'extrême soumission au destin n'est jamais formulée aussi nettement dans les correspondances venues du rang dont nous avons eu personnellement connaissance.
Ces trois exemples montrent que pour tenter de savoir ce que pensaient les combattants, une voie est à privilégier : accumuler les témoignages !
On a, hélas, beaucoup trop attendu, pour s'en préoccuper.
" Combien d'erreurs ont été répandues sur les combattants ! […] Que ceux qui sont loin du combat ne nous travestissent pas par leur imagination ! Qu'ils ne songent point à décrire des états d'âme où ils n'entrent point et où ils n'ont pas droit de visite ! Qu'ils nous laissent la vérité […] que nous payons de notre sang ! ", protestait, avant d'être tué à Verdun, R. Jubert, scandalisé par les élucubrations d'un Barrés
On a souvent, considéré avec méfiance les témoins directs : " Les historiens se sont toujours méfiés de ce que l'on appelle l'histoire orale, c'est à dire le récit d'un événement par ceux qui l'ont fait ou en ont été les témoins. Méfiance légitime si l'on songe que tout événement passant par le prisme déformant d'une personnalité donnée est filtré par une mémoire qui l'interprète, n'est plus qu'une vérité subjectivée, que toute évocation d'un passé lointain fait nécessairement jouer la sélectivité dans les souvenirs et leur télescopage, transmute la réalité vécue et l'éclaire différemment, gommant ici, idéalisant là, ordonnant les événements selon l'intensité avec laquelle ils ont été ressentis […].", écrit Simone Pesquies-Courbier du S.H.A.A dans la revue " ICARE , " avant de poser l’autre grande question : " L'histoire peut-elle être faite uniquement à partir de documents écrits dont l'objectivité n'est, après tout, pas davantage absolument garantie? Le témoignage d'hommes que l'on interroge sur des événements contemporains n'apporte-t-il pas aussi, malgré‚ ses imperfections, une note nouvelle, donnant à la réalité son poids d'humanité ? "
On a même évoqué, au cours d'un colloque (Jean-François Jagielski) le problème de l'altération de la " perception du temps chez les combattants ".
Cette défiance, beaucoup trop souvent manifestée à l’encontre des témoins, explique, probablement, le retard pris dans l’étude des mentalités des soldats. Il va sans dire aussi que certains propos dérangent quand ils vont à l’encontre des idées reçues ou en vogue.
Les recherches historiques récentes ont fait avancer la connaissance des événements, l’ouverture des Archives a permis aux spécialistes de redresser nombre d’erreurs et d’éclaircir bien des zones d’ombre, les " Traces " laissées par la guerre, dans des domaines aussi divers que la sociologie, la littérature, la musique, la peinture, l’industrie, l’aviation ont été explorées. On sait tout des automobiles, de l’artillerie, des uniformes et des armes, on sait tout …ou presque, mais une interrogation demeure : comment des hommes ont-ils pu se laisser ainsi conduire, en masse, à la mort ?
L’expliquer par une sorte de consentement généralisé n'est pas convaincant au regard des registres de Prévôté; par le patriotisme inculqué par l'Ecole de la République ou " le souci de la défense d'un sol dans lequel ils sont enfouis à longueur de journée [qui correspondrait] à la mentalité de paysans-fantassins et [paraîtrait] d'autant plus nécessaire que des camarades sont morts sur cette terre […] Défendre le sol, c'est aussi défendre ceux qui sont morts pour lui " est un peu court. L’expliquer par la peur de l'encadrement, des officiers, du peloton d’exécution, par la terreur que faisait régner les gendarmes qui sévissaient sur les arrières des armées et " l'impérieux regard des autres " n’est pas suffisant selon nous. [...]
Et il me vient l'idée de demander à chacun s'il connait une bonne bibliographie de 14-18.
A bientôt.
CC
Je reprends ici , pour le moins spécialiser, un échange avec notre ami H H qui écrit:
décidément, ça ne s'arrange pas !!!
A la trappe, ces deux bons vieux archi-classiques ?
Mais qu'y a-t-il donc dans les biblio couramment accessibles à nos chers "moins de 20 ans" ?
-"Les oubliés de ci", "les oubliés de ça", et "untel fusillé"... et encore "le fusillé trucmuche", ou "les sénégalais ont gagné la guerre" ? etc...
Je réponds: faut pas exagérer, même pour la bonne cause....
Une bibliographie, une bonne, ça se trouve à la fin de tous les bons ouvrages
évidemmment, il faut choisir un assez récent
[#b80046]-"Les oubliés de ci", "les oubliés de ça", et "untel fusillé"... et encore "le fusillé trucmuche", ou "les sénégalais ont gagné la guerre" ? etc...
et là je sens un soupçon d'hire à propos de laquelle nous nous sommes expliqués.
On ne peut pas aujourd'hui écrire "le feu "ou "les croix de bois" ... la parole est aux historiens
et ils vont chercher dans les coins sombres même si ça gratte ou dérange parfois.
Il y a quelques années, pardon de me citer, j'avais écrit ce qui suit, un article pour justifier la publication des correspondances de Poilus...
L'inventaire rapide, d’une bibliographie consacrée aux milliers d’ouvrages ayant trait à la Première Guerre Mondiale montre qu’environ deux cents témoignages ou écrits polémiques ont été publiés, en France, pendant les hostilités. Il montre aussi que dès l’armistice, parurent en grand nombre les " Souvenirs " et " Mémoires " des acteurs politiques du conflit et " Les historiques grands formats " de ceux qui avaient exercé le commandement des Armées. Comme si un irrépressible désir de justification et d’explication émergeait soudain ! Il révèle enfin qu’aux textes suscités par un évident désir de propagande, comme " Gaspard " ou " Bourru soldat de Vauquois " s’ajoutèrent des œuvres écornées par la censure, dont les auteurs, Barbusse, Dorgelès, Genevoix ou Lintier, tentaient de rendre compte de l’horreur dans laquelle les soldats avaient été plongés.
Le succès populaire des uns et des autres, fut indéniable mais les combattants revenus du front ne reconnurent pas leur expérience singulière dans cette profusion de publications.
Dès 1919 André Maillet écrivait : " Qui sauvera des ténèbres qui l’ensevelissent, la sauvagerie des luttes multiples que nous livrons ? Tout cela est irrémédiablement perdu, et c'est dommage […] ". C’est probablement la raison pour laquelle, parallèlement aux grandes éditions, plus discrètement, des dizaines d’ouvrages virent le jour. Derniers honneurs rendus à quelque célébrité locale, pieux hommages à la mémoire de disparus ou volonté de survivants de dire les heures terribles vécues au front, ces écrits manifestent, tous, un même souci de témoigner, une volonté commune, très souvent formulée, de ne pas laisser s’effacer les traces de la tragédie .
Lorsque, en 1929, Norton Cru fit paraître " Témoins ", il appuyait son travail sur trois cent quatre volumes. Deux cent seize avaient été publiés entre 1915 et 1919, les autres, dans les dix années qui suivirent. Au sein de ce corpus, comportant les auteurs dont on a l’habitude de dire qu’ils sont les meilleurs : Meyer, Delvert, Pézard, Bernier, Escholier, rares étaient les authentiques " Carnets de guerre ", encore plus rares les Correspondances de soldats. " Volatier [était] le seul soldat homme du peuple, le seul poilu non bachelier, non breveté dont on [avait] publié les impressions ".
Quatre vingt dix sept ans plus tard, et tenant compte de la floraison d'ouvrages postérieurs aux commémorations de 1998, on constate, sans surprise, que les documents dont nous disposons sont presque toujours l’œuvre d’hommes rompus à la pratique de la langue écrite. Font exception des livres, comme, " Grenadou paysan français ", " Les carnets de Louis Barthas, tonnelier " et quelques ouvrages publiés, sous l’impulsion d’universitaires comme Rémy Cazals et Patrick Cabanel à Toulouse, Gérard Canini, Pierre Barral à Nancy . On conviendra qu’un tiers des textes les plus anciens émanent d’officiers, on conviendra aussi qu’ils ont souvent été " lissés " par la censure, des héritiers timorés , des éditeurs prudents.
Depuis 1998 une évolution se perçoit. Au témoignage d’un spécialiste comme Jules Isaac , on peut confronter de nouvelles publications qui constituent, peu à peu, les sources nécessaires à l’étude de la vie des " hommes – soldats " de 14-18 et de leurs mentalités.
On citera, entre autres : " Un Commandant bleu horizon ", présenté par Yves Pourcher (Editions de Paris), " Emile Carrière : un professeur dans les tranchées 1914-1916 " (L’Harmattan), " Si je reviens comme je l'espère : Lettres du front et de l'arrière, 1914-1918 ",(Grasset) par R. Cazals et N. Offenstadt, " Carnets de guerre d’un hussard noir de la République " sous la direction du Général Bach, sans oublier l’étonnant " Une lettre par jour " de Gérard Berger (CERHI – Saint-Etienne).
Ces œuvres, moins littéraires, moins éloignées des préoccupations quotidiennes de la troupe, s’inscrivent dans ce mouvement de renouveau, sans pour autant corriger la sous représentation des " hommes du peuple ", les grands silencieux du corpus dont nous disposons.
Un exemple, emprunté à Emile Carrière : " Parce que je porte le même uniforme qu'eux, les propres ouvriers de mon père se croient immédiatement autorisés à me tutoyer, à me parler grossièrement. Nous vivons tous ici dans un état de promiscuité physique et morale extrême. Nous sommes entassés la nuit, […] nos membres s'enchevêtrent, nos transpirations se pénètrent, nos haleines se mélangent. "
Une pareille évocation de la promiscuité est rarement présente dans les témoignages issus de soldats venus des milieux populaires et, à fortiori, une telle conscience de classe.
Autre exemple, plus ancien : Jacques Meyer qui consacrera, en 1966 quelques lignes de l’avant propos de son livre " Les soldats de la Grande Guerre " à expliquer que le terme Poilu était une création de l’arrière et que les soldats, selon lui, répugnaient à l’utiliser . Meyer, officier subalterne vivait au contact de la troupe mais conservait de son éducation, certaines délicatesses de langage et son témoignage, par ailleurs fort intéressant, est, bien sûr, marqué par son origine sociale.
Plus singulier est le cas de Robert Hertz. Ses lettres publiées ", révèlent une obsession d'intégration qui le conduit à l'acceptation du sacrifice de sa vie : " C'est difficile de parler de ces choses si nuancées, mais c'est vrai qu'il y a quelque chose d'admirable dans cette tranquille et gaie acceptation du plus grand risque par nos petits troupiers. C'est une armée de gens qui y voient clair, qui ne se laissent pas bourrer le crâne et qui acceptent tout, résolument, sans faire usage de leur raison si éveillée et si vive, parce qu'il le faut. C'est une bénédiction de vivre parmi eux surtout pour un Juif. Aussi suis-je plein de gratitude et d'amour pour la douce patrie si accueillante, jusqu'à l'excès […] "
Mise à part le très croyant Johannès Berger de " Une lettre par jour ", une attitude d'extrême soumission au destin n'est jamais formulée aussi nettement dans les correspondances venues du rang dont nous avons eu personnellement connaissance.
Ces trois exemples montrent que pour tenter de savoir ce que pensaient les combattants, une voie est à privilégier : accumuler les témoignages !
On a, hélas, beaucoup trop attendu, pour s'en préoccuper.
" Combien d'erreurs ont été répandues sur les combattants ! […] Que ceux qui sont loin du combat ne nous travestissent pas par leur imagination ! Qu'ils ne songent point à décrire des états d'âme où ils n'entrent point et où ils n'ont pas droit de visite ! Qu'ils nous laissent la vérité […] que nous payons de notre sang ! ", protestait, avant d'être tué à Verdun, R. Jubert, scandalisé par les élucubrations d'un Barrés
On a souvent, considéré avec méfiance les témoins directs : " Les historiens se sont toujours méfiés de ce que l'on appelle l'histoire orale, c'est à dire le récit d'un événement par ceux qui l'ont fait ou en ont été les témoins. Méfiance légitime si l'on songe que tout événement passant par le prisme déformant d'une personnalité donnée est filtré par une mémoire qui l'interprète, n'est plus qu'une vérité subjectivée, que toute évocation d'un passé lointain fait nécessairement jouer la sélectivité dans les souvenirs et leur télescopage, transmute la réalité vécue et l'éclaire différemment, gommant ici, idéalisant là, ordonnant les événements selon l'intensité avec laquelle ils ont été ressentis […].", écrit Simone Pesquies-Courbier du S.H.A.A dans la revue " ICARE , " avant de poser l’autre grande question : " L'histoire peut-elle être faite uniquement à partir de documents écrits dont l'objectivité n'est, après tout, pas davantage absolument garantie? Le témoignage d'hommes que l'on interroge sur des événements contemporains n'apporte-t-il pas aussi, malgré‚ ses imperfections, une note nouvelle, donnant à la réalité son poids d'humanité ? "
On a même évoqué, au cours d'un colloque (Jean-François Jagielski) le problème de l'altération de la " perception du temps chez les combattants ".
Cette défiance, beaucoup trop souvent manifestée à l’encontre des témoins, explique, probablement, le retard pris dans l’étude des mentalités des soldats. Il va sans dire aussi que certains propos dérangent quand ils vont à l’encontre des idées reçues ou en vogue.
Les recherches historiques récentes ont fait avancer la connaissance des événements, l’ouverture des Archives a permis aux spécialistes de redresser nombre d’erreurs et d’éclaircir bien des zones d’ombre, les " Traces " laissées par la guerre, dans des domaines aussi divers que la sociologie, la littérature, la musique, la peinture, l’industrie, l’aviation ont été explorées. On sait tout des automobiles, de l’artillerie, des uniformes et des armes, on sait tout …ou presque, mais une interrogation demeure : comment des hommes ont-ils pu se laisser ainsi conduire, en masse, à la mort ?
L’expliquer par une sorte de consentement généralisé n'est pas convaincant au regard des registres de Prévôté; par le patriotisme inculqué par l'Ecole de la République ou " le souci de la défense d'un sol dans lequel ils sont enfouis à longueur de journée [qui correspondrait] à la mentalité de paysans-fantassins et [paraîtrait] d'autant plus nécessaire que des camarades sont morts sur cette terre […] Défendre le sol, c'est aussi défendre ceux qui sont morts pour lui " est un peu court. L’expliquer par la peur de l'encadrement, des officiers, du peloton d’exécution, par la terreur que faisait régner les gendarmes qui sévissaient sur les arrières des armées et " l'impérieux regard des autres " n’est pas suffisant selon nous. [...]
Et il me vient l'idée de demander à chacun s'il connait une bonne bibliographie de 14-18.
A bientôt.
CC