Re: Conseils de guerre spéciaux du 27e RI
Publié : dim. mai 05, 2013 2:05 pm
Bonjour à tous
Les archives de la série 11 J ne comportent aucun dossier des conseils de guerre spéciaux concernant le 134e. Il est impossible de savoir si ces dossiers ont disparu ou si une procédure judiciaire a été réalisée pendant la période d’existence des CdGS, j’ai donc regardé les 6 dossiers du 27e RI. Parmi ces 6 dossiers, 3 ont abouti à des acquittements, un s’est soldé par une peine de 2 ans d’emprisonnement pour abandon de poste en présence de l’ennemi en application de l’article 213 du CdJM, les 2 derniers dossiers concernent un soldat qui a été condamné à la peine de mort.
Le premier ces 2 derniers dossiers qui concerne le soldat François Marius F n°554 au registre de matricule au recrutement, indique qu’il est né en 1890 à Verjux en Saône et Loire, qu’il était ajusteur-mécanicien, qu’il résidait à Dijon, qu’il n’a pas contracté de mariage, qu’il a été incorporé le 8 octobre 1911, qu’il est passé dans la réserve de l’armée d’active le 8 novembre 1913.
Le 7 novembre 1914, le soldat François Marius F est passé devant le CdGS du 27e siégeant à Ranzières dans la Meuse. Il est accusé d’abandon de poste en présence de l’ennemi pour un délit commis le 30 octobre 1914. Il a été condamné à 2 ans d’emprisonnement. Compte tenu des antécédents de ce soldat, les juges ont accordé le sursis à l’exécution de la peine conformément aux articles 1 de la loi du 26 mars 1891 et de la loi du 28 juin 1904.
Le second dossier du soldat François Marius F indique qu’il est accusé des faits « d’abandon de poste en présence de l’ennemi », ces faits qui ont été commis le 10 décembre 1914, sont punis par l’article 213 du CdJM. Le soldat François Marius F a été cité à comparaître le 17 décembre 1914.
Le rapport du capitaine Tisserand-Delange de la 10e Cie est rédigé ainsi : le 10 décembre 1914, à 21 heures, le soldat François Marius F quittait subrepticement et sans autorisation les rangs de sa Cie qui se rendait de Vignot au Bois Brûlé, ce soldat est resté aux cuisines alors qu’il savait parfaitement que son bataillon allait livrer une attaque au Bois Brûlé, il ne rentrait dans son escouade que le 12 décembre à 19h00 après l’action, il donnait alors comme motif de son absence qu’il avait été fatigué en cours de route. Présenté à la visite médicale le 13 décembre, le médecin-major ne le reconnaissait pas malade. Le soldat François Marius F a été puni le 29 octobre de 15 jours de prison dont 8 jours de cellule pour s’être caché dans la nuit afin de se soustraire à un service de sentinelle particulièrement dangereux. Il a été traduit devant le CdGS le 11 novembre pour abandon de poste et condamné à 2 ans de prison avec sursis. En conséquence, le capitaine commandant la 10e Cie demande sa comparution devant le CdGS. Les témoins de l’affaire sont le caporal Berthon et le soldat Royer de la 10 Cie qui ont constaté son absence à l’arrivée au Bois Brûlé. Il faut souligner l’erreur de date dans le rapport du capitaine, le soldat François Marius F n’a pas été traduit en CdGS le 11 novembre mais le 7 novembre.
Le commandant de la 10e Cie décrit François Marius F comme un soldat assez propre, mais lâche au feu qui s’il n’est l’objet d’une surveillance constante, se dérobe devant le danger. Il est du plus mauvais exemple pour ses camarades.
Interrogatoire du soldat François Marius F daté du 20 décembre 1914 par le capitaine Biarnois commissaire-rapporteur devant le CdGS : après l’énoncé du nom, du prénom, de l’âge, du lieu de naissance, de la profession, de la résidence du prévenu, après la lecture du rapport du Cdt de la Cie, le soldat a répondu aux questions suivantes :
Q3 : pourquoi avez-vous quitté les rangs sans autorisation lorsque votre Cie se rendait de Vignot au Bois Brûlé ?
R3 : parce que j’étais fatigué
Q4 : à quel endroit avez-vous quitté les rangs ?
R4 : à 2 kms environ avant d’arriver à Marbotte
Q5 : saviez-vous pourquoi le régiment allait au bois Brûlé
R5 : je savais que le régiment devait faire une attaque mais je ne savais pas si c’était pour le lendemain
Q6 : où et quand avez-vous rejoint ?
R6 : j’ai rejoint aux cuisines le 11 décembre à midi après avoir passé le nuit au poste de secours du 29e près de Marbotte, en cherchant la compagnie dans la matinée, j’ai appris qu’elle était aux tranchées, n’ayant trouvé personne pour m’y conduire, je suis rentré aux cuisines
Q7 : quel jour et à quelle heure avez-vous rejoint votre escouade ?
R7 : le lendemain 12 décembre à 8 heures
Q8 : quels nouveaux efforts avez-vous fait pour rejoindre votre compagnie du 11 décembre à midi jusqu’au 12 décembre à 8 heures du matin ?
R8 : je n’ai fait aucune autre tentative parce qu’on m’a répondu qu’il était trop tard
Q9 : pourquoi ne vous êtes-vous pas présenté au médecin de votre bataillon dès la matinée du 11 puisque vous vous étiez malade au point de ne pouvoir participer au service de votre compagnie ?
R9 : parce que m’étant reposé au poste de secours du 29e près de Marbotte, j’espérais rejoindre ma compagnie dès le matin
R10 : vous rappelez-vous ce que vous dit le docteur quand il vous vit le 13 à la visite ?
R10 : que je n’étais pas malade
Q11 : vous n’ignorez pas que vous venez de vous rendre coupable « d’abandon de poste devant l’ennemi »
R11 : non
Q12 : Je vous avertis, comme vous l’a déjà indiqué le rapport de votre capitaine que vous comparaîtrez devant un conseil de guerre pour ce motif « d’abandon de poste devant l’ennemi »
R12 : j’ignorais à quel moment devait se faire l’attaque et j’espérais pouvoir rejoindre rapidement ma Cie
Q13 : vous rendez-vous compte que la faute d’aujourd’hui est analogue à celle du 29 octobre et beaucoup plus grave ?
R13 : oui
Q14 : pourquoi n’avez-vous pas tenu compte de l’avertissement que vous a donné le CdGS de Ranzières en vous accordant les circonstances atténuantes et le sursis ?
R14 : je ne pensais pas commettre une faute
Q15 : reconnaissez-vous les faits qui vous sont reprochés ?
R15 : oui
Q16 : écoutez la lecture de votre interrogatoire
R16 : faite
Q17 : ce sont bien vos réponses ?
R17 : oui
Q18 : avez-vous répondu la vérité et persistez-vous dans vos réponses ?
R18 : oui
Q19 : qu’avez-vous à ajouter pour votre défense ?
R19 : je regrette beaucoup l’acte que j’ai commis
Le soldat a signé son interrogatoire, La Louvière, le 20 Décembre 1914
Les membres du CdGS ont été désignés le 17 novembre 1914. La désignation du défenseur a eu lieu le 20 novembre 1914.
Le CdGS s’est réuni le 21 décembre, il était composé du chef de bataillon Baille (président), du capitaine Creskens (membre), de l’adjudant Labrune (membre). Le défenseur du prévenu (désigné d’office) est le S/Lieutenant Berthaud.
Le président, après avoir fait lire par le greffier l’ordre de convocation, le rapport, les pièces du dossier, a fait connaître à l’accusé les faits qui lui sont reprochés puis il a procédé à l’interrogatoire de l’accusé et des témoins suivant la procédure prescrite.
Enfin, les questions suivantes ont été posées aux membres du CdGS :
1- le soldat François Marius F du 27e est-il coupable d’abandon de poste ?
2- cet abandon de poste a-t-il eu lieu en présence de l’ennemi ?
A l’unanimité, sur les 2 questions posées, les juges ont répondu : oui
En conséquence, le CdGS a condamné le soldat François Marius F à la peine de mort par application de l’article 213 du CdJM. En séance publique au Bois Brûlé, le président a lu les motifs qui précèdent, a déclaré le soldat coupable et l’a condamné à la peine de mort.
Le 22 décembre 1914, à 12 heures, en exécution du jugement rendu le 21 décembre par le CdGS du 27e, devant les troupes de réserve rassemblées du Bois brûlé, le soldat François Marius F de la 10e Cie a été fusillé.
Les circonstances des 2 délits sont identiques. Le commissaire-rapporteur du second procès était juge lors du premier procès. Le décret du 6 septembre 1914 signé à Bordeaux par le ministre de la guerre et le président de la république instituant les conseils de guerre spéciaux mentionnait :
-dans son article 3, l’obligation de la présence d’un juge « sous-officier » si l’accusé est un soldat, pour ce procès, un sous-officier était parmi les 3 juges
-dans son article 5, qu’aucun délai n’est imposé entre la citation de l’accusé et la réunion du conseil, dans le cas présent, il s’est passé 4 jours ; que le jugement est prononcé à la majorité de deux voix contre un, dans le cas présent, les 3 juges ont répondu oui (lors le premier procès, à une des 3 questions posées, les juges avaient répondu non ce qui explique la sentence de 2 ans de prison)
-dans son article 6, les jugements des CdGS ne sont susceptibles ni de recours en révision, ni de pouvoir en cassation ce qui a été le cas pour le soldat François Marius F
Cordialement
yves
Les archives de la série 11 J ne comportent aucun dossier des conseils de guerre spéciaux concernant le 134e. Il est impossible de savoir si ces dossiers ont disparu ou si une procédure judiciaire a été réalisée pendant la période d’existence des CdGS, j’ai donc regardé les 6 dossiers du 27e RI. Parmi ces 6 dossiers, 3 ont abouti à des acquittements, un s’est soldé par une peine de 2 ans d’emprisonnement pour abandon de poste en présence de l’ennemi en application de l’article 213 du CdJM, les 2 derniers dossiers concernent un soldat qui a été condamné à la peine de mort.
Le premier ces 2 derniers dossiers qui concerne le soldat François Marius F n°554 au registre de matricule au recrutement, indique qu’il est né en 1890 à Verjux en Saône et Loire, qu’il était ajusteur-mécanicien, qu’il résidait à Dijon, qu’il n’a pas contracté de mariage, qu’il a été incorporé le 8 octobre 1911, qu’il est passé dans la réserve de l’armée d’active le 8 novembre 1913.
Le 7 novembre 1914, le soldat François Marius F est passé devant le CdGS du 27e siégeant à Ranzières dans la Meuse. Il est accusé d’abandon de poste en présence de l’ennemi pour un délit commis le 30 octobre 1914. Il a été condamné à 2 ans d’emprisonnement. Compte tenu des antécédents de ce soldat, les juges ont accordé le sursis à l’exécution de la peine conformément aux articles 1 de la loi du 26 mars 1891 et de la loi du 28 juin 1904.
Le second dossier du soldat François Marius F indique qu’il est accusé des faits « d’abandon de poste en présence de l’ennemi », ces faits qui ont été commis le 10 décembre 1914, sont punis par l’article 213 du CdJM. Le soldat François Marius F a été cité à comparaître le 17 décembre 1914.
Le rapport du capitaine Tisserand-Delange de la 10e Cie est rédigé ainsi : le 10 décembre 1914, à 21 heures, le soldat François Marius F quittait subrepticement et sans autorisation les rangs de sa Cie qui se rendait de Vignot au Bois Brûlé, ce soldat est resté aux cuisines alors qu’il savait parfaitement que son bataillon allait livrer une attaque au Bois Brûlé, il ne rentrait dans son escouade que le 12 décembre à 19h00 après l’action, il donnait alors comme motif de son absence qu’il avait été fatigué en cours de route. Présenté à la visite médicale le 13 décembre, le médecin-major ne le reconnaissait pas malade. Le soldat François Marius F a été puni le 29 octobre de 15 jours de prison dont 8 jours de cellule pour s’être caché dans la nuit afin de se soustraire à un service de sentinelle particulièrement dangereux. Il a été traduit devant le CdGS le 11 novembre pour abandon de poste et condamné à 2 ans de prison avec sursis. En conséquence, le capitaine commandant la 10e Cie demande sa comparution devant le CdGS. Les témoins de l’affaire sont le caporal Berthon et le soldat Royer de la 10 Cie qui ont constaté son absence à l’arrivée au Bois Brûlé. Il faut souligner l’erreur de date dans le rapport du capitaine, le soldat François Marius F n’a pas été traduit en CdGS le 11 novembre mais le 7 novembre.
Le commandant de la 10e Cie décrit François Marius F comme un soldat assez propre, mais lâche au feu qui s’il n’est l’objet d’une surveillance constante, se dérobe devant le danger. Il est du plus mauvais exemple pour ses camarades.
Interrogatoire du soldat François Marius F daté du 20 décembre 1914 par le capitaine Biarnois commissaire-rapporteur devant le CdGS : après l’énoncé du nom, du prénom, de l’âge, du lieu de naissance, de la profession, de la résidence du prévenu, après la lecture du rapport du Cdt de la Cie, le soldat a répondu aux questions suivantes :
Q3 : pourquoi avez-vous quitté les rangs sans autorisation lorsque votre Cie se rendait de Vignot au Bois Brûlé ?
R3 : parce que j’étais fatigué
Q4 : à quel endroit avez-vous quitté les rangs ?
R4 : à 2 kms environ avant d’arriver à Marbotte
Q5 : saviez-vous pourquoi le régiment allait au bois Brûlé
R5 : je savais que le régiment devait faire une attaque mais je ne savais pas si c’était pour le lendemain
Q6 : où et quand avez-vous rejoint ?
R6 : j’ai rejoint aux cuisines le 11 décembre à midi après avoir passé le nuit au poste de secours du 29e près de Marbotte, en cherchant la compagnie dans la matinée, j’ai appris qu’elle était aux tranchées, n’ayant trouvé personne pour m’y conduire, je suis rentré aux cuisines
Q7 : quel jour et à quelle heure avez-vous rejoint votre escouade ?
R7 : le lendemain 12 décembre à 8 heures
Q8 : quels nouveaux efforts avez-vous fait pour rejoindre votre compagnie du 11 décembre à midi jusqu’au 12 décembre à 8 heures du matin ?
R8 : je n’ai fait aucune autre tentative parce qu’on m’a répondu qu’il était trop tard
Q9 : pourquoi ne vous êtes-vous pas présenté au médecin de votre bataillon dès la matinée du 11 puisque vous vous étiez malade au point de ne pouvoir participer au service de votre compagnie ?
R9 : parce que m’étant reposé au poste de secours du 29e près de Marbotte, j’espérais rejoindre ma compagnie dès le matin
R10 : vous rappelez-vous ce que vous dit le docteur quand il vous vit le 13 à la visite ?
R10 : que je n’étais pas malade
Q11 : vous n’ignorez pas que vous venez de vous rendre coupable « d’abandon de poste devant l’ennemi »
R11 : non
Q12 : Je vous avertis, comme vous l’a déjà indiqué le rapport de votre capitaine que vous comparaîtrez devant un conseil de guerre pour ce motif « d’abandon de poste devant l’ennemi »
R12 : j’ignorais à quel moment devait se faire l’attaque et j’espérais pouvoir rejoindre rapidement ma Cie
Q13 : vous rendez-vous compte que la faute d’aujourd’hui est analogue à celle du 29 octobre et beaucoup plus grave ?
R13 : oui
Q14 : pourquoi n’avez-vous pas tenu compte de l’avertissement que vous a donné le CdGS de Ranzières en vous accordant les circonstances atténuantes et le sursis ?
R14 : je ne pensais pas commettre une faute
Q15 : reconnaissez-vous les faits qui vous sont reprochés ?
R15 : oui
Q16 : écoutez la lecture de votre interrogatoire
R16 : faite
Q17 : ce sont bien vos réponses ?
R17 : oui
Q18 : avez-vous répondu la vérité et persistez-vous dans vos réponses ?
R18 : oui
Q19 : qu’avez-vous à ajouter pour votre défense ?
R19 : je regrette beaucoup l’acte que j’ai commis
Le soldat a signé son interrogatoire, La Louvière, le 20 Décembre 1914
Les membres du CdGS ont été désignés le 17 novembre 1914. La désignation du défenseur a eu lieu le 20 novembre 1914.
Le CdGS s’est réuni le 21 décembre, il était composé du chef de bataillon Baille (président), du capitaine Creskens (membre), de l’adjudant Labrune (membre). Le défenseur du prévenu (désigné d’office) est le S/Lieutenant Berthaud.
Le président, après avoir fait lire par le greffier l’ordre de convocation, le rapport, les pièces du dossier, a fait connaître à l’accusé les faits qui lui sont reprochés puis il a procédé à l’interrogatoire de l’accusé et des témoins suivant la procédure prescrite.
Enfin, les questions suivantes ont été posées aux membres du CdGS :
1- le soldat François Marius F du 27e est-il coupable d’abandon de poste ?
2- cet abandon de poste a-t-il eu lieu en présence de l’ennemi ?
A l’unanimité, sur les 2 questions posées, les juges ont répondu : oui
En conséquence, le CdGS a condamné le soldat François Marius F à la peine de mort par application de l’article 213 du CdJM. En séance publique au Bois Brûlé, le président a lu les motifs qui précèdent, a déclaré le soldat coupable et l’a condamné à la peine de mort.
Le 22 décembre 1914, à 12 heures, en exécution du jugement rendu le 21 décembre par le CdGS du 27e, devant les troupes de réserve rassemblées du Bois brûlé, le soldat François Marius F de la 10e Cie a été fusillé.
Les circonstances des 2 délits sont identiques. Le commissaire-rapporteur du second procès était juge lors du premier procès. Le décret du 6 septembre 1914 signé à Bordeaux par le ministre de la guerre et le président de la république instituant les conseils de guerre spéciaux mentionnait :
-dans son article 3, l’obligation de la présence d’un juge « sous-officier » si l’accusé est un soldat, pour ce procès, un sous-officier était parmi les 3 juges
-dans son article 5, qu’aucun délai n’est imposé entre la citation de l’accusé et la réunion du conseil, dans le cas présent, il s’est passé 4 jours ; que le jugement est prononcé à la majorité de deux voix contre un, dans le cas présent, les 3 juges ont répondu oui (lors le premier procès, à une des 3 questions posées, les juges avaient répondu non ce qui explique la sentence de 2 ans de prison)
-dans son article 6, les jugements des CdGS ne sont susceptibles ni de recours en révision, ni de pouvoir en cassation ce qui a été le cas pour le soldat François Marius F
Cordialement
yves