Les écrits
Il existe plusieurs catégories d'écrits pouvant servir de support à cette recherche:
Le courrier était le moyen de communication le plus utilisé à l'époque. Le téléphone, au front, était réservé aux transmissions militaires.
Les soldats écrivaient plus ou moins régulièrement à leurs proches. Quand ils n'en avaient pas, des "marraines de guerre" faisaient office de confidente. La lettre était le rare moyen de signaler que l'on était encore en vie. L'arrêt de correspondance plongeait souvent les familles dans l'inquiétude. Le courrier était soumis à la censure. Il n'était pas permis de donner de position précise, ni de décrire l'armement des forces en présence et encore moins de diffuser d'opinions défaitistes. De tels délits pouvaient valoir à leurs auteurs de gros problèmes et servir de preuve devant les tribunaux de guerre. Nombre de soldats se contentaient donc de dire que tout allait bien et donnaient de vagues indications sur la teneur des combats.
Les récits de bals figurent donc dans les courriers comme des anecdotes anodines, pourtant celui qui est au loin peut l'interpréter d'une façon différente. Dans le film "les croix de bois" (1931), tiré du roman de Rolland Dorgelès (1919), il y a une scène où un soldat lit que sa femme
"a ri et dansé toute la nuit jusqu'à casser son talon". Chacun comprend alors, à cette remarque, qu'elle le trompe, chose que semble refuser de comprendre le destinataire de la lettre.
Lire le post
"Interdit de danser?"
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On peut distinguer deux sortes de cartes postales: les cartes postales dessinées et les cartes postales photographiées. Certaines procèdent à un montage photographique. A l'époque, la retouche photographique fait partie du traitement de la photo. Il permet de coloriser, d'accentuer certains traits ou de faire disparaître des irrégularités du cliché.
Les thèmes sont patriotiques, érotiques, humoristiques ou montrent les ravages de la guerre. Dans ce dernier cas, seuls les dégâts matériels sont présentés (ponts écroulés, matériel ou bâtiments détruits, ...). Les cadavres n'y figurent que très rarement.
Dans le sujet qui nous intéresse, le thème de la danse apparaît de façon humoristique.
-Exemple de carte postale dessinée
-Exemple de carte postale photographiée

Carte intitulée: "A un poste frontière russe"
Comme les lettres, les cartes postales servent de lien entre le soldat et ses proches. Elle est plus transparente pour la censure, car elle ne comporte pas d'enveloppe. On nous rapporte tout de même le fait que sous le timbre se cachait quelquefois quelque information que son auteur voulait soustraire aux autorités.
- Le 26 janvier 1914,
Louis Joseph Porcher (1891-1916) effectue son service militaire au 77e RI à Cholet (49).
Il écrit une carte postale à sa sœur qui dit ceci:
"...Voilà l'année commencé je me demande ci c'est cette année que je vai aller au noces car vraiment je crois qu'il doit y en avoir a la Besnerie qui doivent y songer serieusement car il est grand temps. Tu sais que je suis pas lassé maintenant pour danser j'ai la gigue et le jarret(sic)"
"
(...) maintenant pour danser, j'ai la gigue et le jarret", on reconnait bien sûr, les paroles de
"La fille de la meunière" un air très célèbre utilisé pour accompagner la
gigue ou gigouillette.
Cette correspondance témoigne du fait qu'à la veille de la grande guerre, la
gigue est encore bien connue.
Malheureusement,
Louis Joseph Porcher (1891-1916) sergent au 135e RI, disparaîtra près de Verdun à Esnes, côte 304, le 7 mai 1916 sans avoir pu danser la gigue aux noces de sa sœur.
Le parcours et la vie de
Louis Joseph Porcher sont consultables à cette adresse sur le site
www.europeana1914-1918.eu
Merci à
Elise49 qui a bien voulu me laisser publier cette histoire familiale et qui nous apporte là un témoignage tout simple mais très précieux!
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De nombreux soldats ont consigné au jour le jour, leurs activités durant le conflit. Ces carnets de route constituent, à leurs yeux, une sorte de passeport contre l'oubli, destiné à être envoyé à la famille, en cas de malheur. Ils ont parfois constitués pour ceux de leurs auteurs qui en ont réchappé, les bases de souvenirs qu'ils ont publiés après la guerre. Ces carnets de route, contiennent parfois des indications plus ou moins précises sur les occasions de danse qu'ils ont pu rencontrées. Ils font état également du vocabulaire relatif à la danse, en cours à cette époque.
-Dans ses mémoires,
Georges Goutte (1893-1958), sergent mitrailleur au 122ème R.I. écrit le 29 juillet 1916:
« Nous partons demain en auto pour Verdun. Nous allons enfin dans la danse » ![/i]
-
Georges Curien du 43ème RIT relate la journée du 24 juin 1915 sur le combat à Ban de Sapt (Vosges) dans son carnet de route
"L’instant fut court car, tout aussitôt, les canons français commencent la danse. Ah, quel enfer ! Tout crache à la fois, c’est une pluie de mitraille, un roulement continu, tout se mêle : coups de départ et éclatements, tout se confond. C’est à croire que la terre et le ciel vont disparaître dans la tourmente."
-
Ambroise Harel ,dans "
Les mémoires d'un poilu breton",nous décrit son 14 juillet 1915:
"Le 14 juillet arriva et, comme l'année précédente, me trouva dans la Somme. Bien qu'étant dans la zone dangereuse, nous organisâmes, pour marquer le fête, de nombreux jeux, concours de chants et un bal avec un piano automatique dans la salle d'une maison abandonnée. Presque tous les amateurs étaient déguisés (...)
Dans la soirée, les boches firent concert à leur tour avec des marmites de 210, nous obligeant à fuir, pour leur faire de la place, dans des boyaux protecteurs en dehors de la ville. Après cette séance, nous revînmes et l'animation reparut, mais moins brillante à cause de la nuit qui tombait. Deux obus étaient venus choir devant mon cantonnement."
Source: "
Les mémoires d'un poilu breton" - Editions Ouest-France-Imprimerie Floch à Mayenne avril 2009 -
-
Paul Duchatelle (1885-1917) sergent puis sous-lieuteneant au 303ème régiment d'infanterie, 21ème compagnie note ceci sans ses carnets :
"13 mai 1915 - Watronville
Jour de l'Ascension.
Très beau et chaud soleil. Je vais à la messe.
Calme complet, pas un coup de canon. Lebrun est plus que gai et me rappelle les souvenirs d'Auvours dont voici déjà une année de passée. Il organise un petit bal que les gendarmes font cesser car il est 9 heures du soir.
Nuit sombre, les projecteurs des forts fouillent l'horizon."
-
André Meyer du 43ème RI, dans son carnet de route note ceci à la date du 30 novembre 1917:

Source:
www.chtimiste.com
- Sur cette page, quelques exemples de carnets de route :=>
http://hist-geo.ac-montpellier.fr/v1/IM ... ique10.pdf
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- -Les carnets de bord ou livres de bord
Un livre de bord est un ensemble de registres (journal passerelle / journal machine / journal radio) dans lesquels le capitaine ou les officiers d'un navire, consignent chronologiquement les différents évènements, manœuvres, caps, observations et paramètres concernant la navigation, la conduite des machines, la réception et l'émission de messages radios. Dans les documents trouvés, les deux termes "carnet de route" et "carnet de bord" se chevauchent parfois.
- Dans son carnet de bord,
Charles De Gaulle, alors jeune officier, écrit concernant son entrée en Belgique le 13 août 1914:
« Accueil enthousiaste des Belges. On nous reçoit comme des libérateurs. »
Le surlendemain, c’est l’épreuve du feu : « À six heures du matin, boum ! Boum ! La danse commence, l’ennemi bombarde Dinant avec fureur. "
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La presse de guerre est florissante. Les lecteurs veulent avoir des informations concernant le front et la vie des soldats. De nombreux articles relateront avec beaucoup de précision, des scènes de danse. Les lecteurs attendent des nouvelles à "sensation". Les reportages concernant les danses sont souvent "exotiques".

Danse guerrière du corps des travailleurs zoulous sur la plage de Dannes (80) le 27 juin 1917.
* Quelques titres
-Le miroir
-L'illustration
-La guerre
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- - Les magazines de lecture
La lecture est l'une des rares distractions de l'époque. Les magazines, destinés aux amateurs de lecture, présentent des articles de plusieurs pages, relatant des faits d'armes, des histoires vécues. Certains d'entre eux, relatent des histoires comportant des scènes de danse.
-Lecture pour tous
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- - Les journaux de tranchée
Écrits et réalisés par des soldats, avec des moyens réduits, leur tirage est souvent très limité en nombre d'exemplaires. En revanche ils sont très nombreux, on en dénombre près de 400 ! Ils sont destinés à être lus sur le front et à maintenir le moral des troupes. Les nouvelles officielles y sont souvent commentées avec humour et ironie. Ils sont souvent malmenés par la censure. L'un d'entre eux parmi les plus connus est devenu aujourd'hui le "Canard enchainé". Les termes "
danse" ou "
bal" (le combat) y figurent fréquemment.
* Voici quelques titres :
- Le Gafouiller
- Le Petit Colonial
- L'écho de l'Argonne
- Le Bochofage
- Le Cri des Boyaux
- Le Poilu sans poil
- Le Cri de guerre
- Face aux Boches
- Jusqu'au bout
- On les aura
- On progresse
- Le Vide-Boches
- Le Clairon territorial
- Le Crapouillot
- Le Périscope
- L'Argonnaute
- Le canard poilu
- Le biniou à poils
etc.
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- - Les journaux de camps de prisonniers
L'écriture et l'édition de journaux dans les camps de prisonnier, fait partie des passe-temps autorisés. Le tirage se limite à quelques centaines d'exemplaires. Le ton y est souvent mélancolique et emprunt de nostalgie. Les propos sont contrôlés par les autorités ennemies. Certains de leurs articles, traitent des spectacles donnés par les prisonniers à l'intérieur du camp et font état des danses que l'on y pratique.
- Dans la revue "
L'intermède" n°37 éditée par les prisonniers français du camp en date du 21 janvier 1917, on peut lire dans un article intitulé "Souvenir sombre" :
"Aujourd"hui, le pauvre fou est mort et le Revier - abréviation de l'allemand Krankenrevier, le quartier des malades dans un bâtiment militaire - est tout au bout du camp. Son ancienne baraque abrite la sixième compagnie. On y parle un français sonore, coloré des compatriotes du midi, des Corses gais, loquaces, vifs, et noirs y causent dans leur patois aux inflexions rauques et douces. Presque chaque soir, quand la soupe est mangée, nos amis s'assemblent. Une voix tremblante, plaintive, une voix qui semble devoir sangloter en complainte surannée l'air le plus vif, la voix d'un accordéon se fait entendre. Sous les doigts de l'artiste habile, le fruste instrument s'anime et dit un air simple, aérien, un air dont les notes grêles semblent s'espacer pour mieux s'accrocher aux rameaux des buissons et aux herbes folles du maquis. Par couples aux gestes vifs, aux esprits joyeux, on danse, on danse....
Et n'est-ce pas notre part, danser sur nos souffrances, par dessus les tombes?
Je vois toujours, menant la ronde, la grande ombre du fou extatique, visionnaire, brandissant sa baguette à contre-temps de la cadence gaie: un mécanisme humain, cassé par la réalité brute.
Article signé Claude.
Source Bnf/ Gallica
* Quelques titres
- L'intermède
- Le camp de Göttingen
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A moins qu'ils n'aient été écrits à partir de
carnets de route ou de souvenirs vécus, les romans, si leurs auteurs n'ont pas participé activement aux combats, ont peu de chance de transcrire la réalité des faits. Les scènes de danses qui y figurent sont à prendre avec toute la réserve, quant à la réalité historique, que peut avoir celle d'un roman...
-
Lily Braun (1865 -1916), née
Amalie von Kretschmann, est une écrivain féministe allemande, née à Halberstadt (Saxe-Anhalt). Elles est, par sa grand-mère,
Jenny von Pappenheim (de) (1811-1890), fille illégitime du plus jeune frère de Napoléon Ier, l'arrière-petite fille de
Jérôme Bonaparte (1784-1860). Son père est le général prussien
Hans von Kretschmann (1832-1899).
Lily Braun rejoint très tôt le SPD et devient une des dirigeantes du mouvement féministe en Allemagne. Elle entre dans l'opposition révisionniste du SPD. Profondément influencée par les travaux de Friedrich Nietzsche, elle cherche à ce que le SPD se concentre sur le développement de la personne et sur l'individualisme à la place de l'égalitarisme de tous.
Les femmes doivent avoir leur propre personnalité et ne doivent pas être considérées comme filles, mères ou épouses de. Elle souhaite la liberté économique pour les femmes et l'abolition du mariage juridique. Elle meurt des suites d'une longue maladie le 8 août 1916 au cours de la guerre.
Elle écrit dans "
Lebenssucher" (Chercheurs de vie), Münich - 1915
"(...) Und über verendete Leiber springt die stürmende Truppe wider die Menschenmauer , die ihren Weg versperrt . Das ganze Orchester der Hölle spielt dem satanischen Tanze auf : Kugeln , Granaten , Schrapnells - ein Pfeifen und Knattern , Heulen und Sausen . Die lebendige Mauer zerreißt - fällt auseinander - bricht in sich zusammen ."
Source : "
Deutsche Literatur von Frauen" (Littérature allemande des femmes), Berlin: Directmedia Publ. 2001
Traduction:
(...) Les troupes d'assaut sautent sur les corps morts, contre le mur humain qui leur barre le chemin. Tout l'orchestre de l'enfer joue la danse satanique: des balles, des grenades, des éclats d'obus - sifflements et cliquetis, hurlant et rugissant. Le mur vivant se déchire - tombe en morceaux - s'écroule sur lui-même..
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Les affiches annonçant les spectacles de danse de l'époque, sont toujours des sources très instructives. Elles mentionnent souvent les noms des danses, le type d'orchestre, les lieux, les tarifs et toutes sortes de détails intéressants.
- Australie

Affiche australienne pour un bal à Auckland- Fond de collecte pour les soldats blessés.
- Allemagne

Affiche allemande: Fête printanière des soldats - Mercredi 2 juin 1915
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A l'époque, les jeunes filles qui dansaient dans la Société, se devaient d'avoir été dûment invitées. Elles remplissaient à l'avance un "carnet de bal" où était noté pour chaque danse qui devait être produite, le nom du jeune homme avec lequel elle danserait.
Ces carnets de bal sont très intéressant car on y trouve dans le détail, les danses pratiquées à l'époque.

Carnet de bal de Miss Helen - Credit photo : Michael J.Tuttle
On y voit que le
Fox-trot et le
One-step y sont particulièrement bien représentés.
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