Récit du baptême de la promotion :
En casoar et gants blancs
Lorsqu'on les avertit qu'ils partaient pour les armées, on sait que les Saint-Cyriens de 1914 - promotion des « Montmirail » et de la « Croix du Drapeau» firent le serment, à la fois magnifique et fou, de monter la première fois à l'assaut en casoar et gants blancs.
M. Paluel-Marmont, qui fut leur camarade d'Ecole et de combat et qui est, de plus, le romancier estimé de Fille du Sud et de Visage Perdu, a écrit leur histoire, avec le talent d'un conteur et le coeur d'un soldat. Il a écrit l'histoire de dix-sept d'entre eux qu'une mort ou qu'un geste plus particulièrement héroïque apparente aux purs héros de notre Histoire.
Ce beau livre, qui va paraître dans quelques jours, est le plus bel hommage rendu aux six mille Saint-Cyriens tombés superbement sur les champs de bataille de la Grande Guerre. Il est aussi comme l'a écrit le général Gouraud dans sa préface « le livre des jeunes », une sorte de Plutarque destiné à devenir leur plus précieux manuel d'honneur, de courage et de dévouement à la Patrie,
Nous sommes heureux d'offrir à nos lecteurs la primeur de cet ouvrage, en publiant ici un de ses passages les plus pathétiques.
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Le 31 juillet, vers seize heures, les gradés de liaison rassemblèrent les « hommes » et leur lurent cette décision du « Conseil des Fines de la très bahutée promotion de « Montmirail » :
« En raison des circonstances exceptionnelles, la promotion de première année sera baptisée ce soir, à 21 heures, devant le Coquillard.
» Le baptême sera simple, militaire, sans aucun cérémonial. »
Une seconde, les « hommes » restèrent stupéfiés et silencieux. Puis, soudain, leurs poitrines décompressées se vidèrent et leurs hourras formidables retentirent.
Après le dîner, expédié comme on vide une gourde, ils remontèrent dans leurs chambres.
A 20 heures, les « hommes » et les « officiers » de Montmirail étaient rassemblés dans la cour Wagram. Tous portaient la grande tenue, les gants blancs, le casoar au shako.
Ceux-ci avaient seulement des sabres et ceux-là des fusils.
La journée, qui avait été magnifique, s'achevait dans une apothéose. La chaleur était tombée. Le soleil se couchait lentement derrière Fontenay-le-Fleury rasant la crête des murs, n'effleurant plus que d'une lumière horizontale le
glacis des mansardes les plus hautes, criblant d'or le Petit-Bois.
On ne distinguait plus l'arbre rouge de l'arbre bleu.
Les deux promotions étaient formées en carré. Les « Montmirail » sur deux rangs, le dos aux marquises, occupaient l'un des côtés du carré. Ils étaient sous les ordres de Bertrand, le « sous-système ». Les « hommes », par brigades et par groupes, commandés, par leurs « gradailles », occupaient les trois autres côtés. Une sorte de silence religieux planait. D'instinct, les « officiers » et les « hommes » s'étaient mis au garde-à-vous. Ils semblaient une armée immobile, figée.
Ils attendaient.
Alors, venant des salles de jeu, on vit s'avancer, magnifique, splendidement cyrard; Voizard, le « système », escorté de l'état-major du Conseil des Fines. Il pénétra dans le carré. D'un seul geste, les baïonnettes ornèrent les fusils. Quelque part, on entendit la voix du major des « hommes » commander :
- Présentez vos armes !...
Un frémissement lui répondit, et, de nouveau, ce fut un grand silence.
Voizard, suivi de son escorte, passait les « hommes » en revue.
Lorsqu'il eut ainsi inspecté chacun des groupes de la jeune promotion, il gagna le centre du carré et s'y arrêta.
Le soleil avait presque tout à fait disparu.
Voizard parla.
« il est un jour mémorable entre tous dans la vie d'un cyrard c'est celui du baptême de sa promotion.
» Quel nom donnerons-nous à la vôtre ?
» Le 23 avril dernier, sur le champ de manœuvres de Vincennes, en présence du roi George V et de la reine Mary, le président de la République s'est avancé jusqu'au drapeau de l'Ecole et l'a décoré.
» Votre promotion s'appellera : « Promotion de la Croix du Drapeau. »
» A vous, désormais, de lui faire une renommée.
» Aprement désireux de vouer votre existence entière et totale au service de la patrie, vous saurez, j'en suis sûr, vous rendre dignes de vos anciens. »
Sa voix s'était mise à trembler. Les mots lui échappèrent. Il ajouta simplement :
« Je vous salue, « Officiers » de la Croix du Drapeau. »
II n'y eut pas un cri, pas un chant, pas un mouvement. Le bataillon semblait un bataillon de fantômes, pétrifié en pleine parade.
Ici, Allard-Méeus, « le barde » qui devait tomber le premier en casoar, sortit des rangs des « Montmirail », s'avança et, tourné vers l'Est, récita, avec un élan superbe, des strophes patriotiques.
Puis...
Il n'y eut plus rien. Un long et terrible silence dura, plus lourd qu'un monde. Une oscillation s'empara des fusils.
Alors, au commandement de leurs gradailles, les « Croix du Drapeau » se formèrent en colonnes de compagnie et allèrent se masser contre le mur du Pékin.
Sur deux rangs, face à face, parallèlement aux salles de jeu, les « Montmirail » s'alignèrent.
C'était presque, déjà, tout à fait la nuit. A peine une indécise clarté, attardée dans le ciel, étendait-elle sur le marchfeld un reflet vert, inconsistant. Le Petit-Bois, grandi, amplifié par l'ombre, semblait le seuil monumental d'une forêt. Tout au fond, du côté d'où était venue la nuit, on distinguait une vague présence d'hommes et une sorte de long halo neigeux qui était le blanc moutonnement des casoars.
Soudain, le bataillon s'ébranla.
Il descendit vers les Anciens.
Sans musique, sans autre accompagnement que le froissement cadencé des pas dans l'herbe haute, raidis par l'émotion, mieux alignés qu'à Vincennes, les « Croix du Drapeau » s'avançaient.
A mesure, comme d'une multitude de lampes dont les flammes progressivement eussent grandi, on discernait les éclairs pointus de leurs baïonnettes, le balancement de leurs mains gantées, et leurs casoars parallèles que le vent de leur course ébouriffait.
D'un pas irrésistible, ils dévalaient le marchfeld. C'était leur dernier défilé à l'Ecole, Mais ce dernier défilé prenait pour chacun la signification émouvante d'une manière de premier départ; et ils tenaient à ce qu'il fût impeccable, digne d'eux.
Ils arrivèrent ainsi à la hauteur des « Montmirail » qui leur présentaient le sabre, et les dépassèrent...
Le zinguo ayant soudain surgi de l'ombre à quatre pas des premiers rangs, ils firent halte et reposèrent leurs fusils.
La nuit était maintenant totale. Du côté de la gare des Matelots, on entendait très loin de sourds halètements de machines et, plus près, vers celle de Saint-Cyr, des coups de sifflet, précipités, qui réclamaient d'urgence un droit de passage.
- Officiers de la « Croix du Drapeau », dit une voix, rompez vos rangs !
Les deux promotions se saluèrent de leurs armes et, dans un élan, se confondirent. Ensemble, elles se précipitèrent vers les marquises. Les premiers s'en trouvaient encore à mi-chemin qu'un chant - qui donna le signal ? - jaillit soudain de toutes les poitrines...
Ils chantaient le Chant du Départ.
Ils chantèrent ensuite La Galette.
Leur voix montait comme une mer furieuse.
L'écho, rejeté de muraille en muraille, la multipliait, reprenait leurs couplets, leur relançait en plein visage leurs refrains :
Noble Galette, que ton nom
Soit immortel dans notre histoire,
Qu'il soit embelli par la gloire
D'une vaillante promotion.
chantaient-ils. Et aussitôt sonnait à leurs oreilles :
Amis, il faut nous réunir
Autour de la Galette sainte.
Ils avaient beau courir plus vite, chanter plus fort, partout l'écho les devançait, couvrait leur chant...
Ils s'engouffrèrent dans la rue de la Pompe :
Que son nom tout-puissant,
S'il vient un jour d'alarme,
A six cents frères d'armes
Serve de ralliement.
Ils gravirent quatre à quatre l'escalier Turenne. Sur le Grand Carré, la Patrie, enlaçant les drapeaux, chantait aussi :
Qu'à défaut d'étendard,
Au jour de la conquête,
Nous ayons la Galette
Pour fixer nos regards.
Alors, un certain nombre qui étaient restés groupés autour d'Allard-Méeus - il y avait de Fayolle, de Blottefière, Durosoy, Hachette, de Salins, d'Ampherney, Robert de Saint-Just, Perrault, Le Balle, Poussin, de Castelnau, de Brésis, de Rigaud et d'autres - furent pris tout à coup d'une pensée folle.
Oui, dit Allard-Méeus, jurons de monter la première fois à l'assaut en casoar et en gants blancs.
Et tous ceux qui se trouvaient là prêtèrent ce serment.
Le lendemain, les projecteurs de Paris balayèrent les plafonds des dortoirs, par intermittence.
Le 2 août, on leur remit leurs ordres de mobilisation.
Le 3, le tramway de Versailles les emporta.
Le 4 ...
Paluel-Marmont
Source http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5 ... %22.langFR
Cordialement
IM Louis Jean
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