Bonjour à tous,
Complément sur le torpillage du SUFFREN
Récit de l’amiral Arno Spindler,
écrit d’après le KTB de Hans Walther (voir post du 21/05/2009) Mais ce récit est plus clair et comporte des détails supplémentaires.
«
26 Novembre
08h30 du matin
Position 39°10 N 10°48 W à hauteur de Lisbonne.
Vent de NW force 5. Grosse houle
Grand bâtiment à deux cheminées que je prends pour un cuirassé de la classe FORMIDABLE.
Pas d’escorte et route rectiligne. Manœuvré pour l’attaquer par l’avant, mais la grosse houle ne permet pas de tenir l’immersion à petite vitesse.
Mis à demi-vitesse, mais je risque d’être trop près. Changé de route pour attaquer avec une forte incidence, en gardant de la réserve pour lancer avec le tube arrière en gyro-déviation.
Au remplissage des tubes, le sous-marin devient lourd de l’arrière et le kiosque sort de l’eau à 500 m du but. J’envoie tous les hommes à l’avant pour maintenir l’immersion de combat.
08h56
Lancé torpille par le tube d’étrave n° 2. Je crains d’avoir été vu et prends l’immersion à 20 m en abattant sur la droite.
18 secondes plus tard, première détonation claire, suivie d’une seconde qui ébranle fortement le navire. Remonté à 12 m pour voir ce qui se passe, mais il se produit un grincement contre la coque et il est impossible de manœuvrer le périscope qui reste sorti à moitié. Redescendu à 20m.
Aucun bruit n’étant plus perceptible, remonté et effectué un tour d’horizon. Grosse tache claire sur la mer couverte de suie.
09h03
Fait surface et ouvert le panneau du kiosque. On ne voit qu’un nuage d’explosion que le vent emporte.
Je m’explique ainsi l’événement :
L’explosion de la torpille a fait exploser le cuirassé qui a coulé instantanément et le sous-marin l’a frôlé pendant qu’il coulait. Il y a des vestiges de cette rencontre :
- enfoncement sur le pont
- fortes rayures sur le périscope arrière
- morceau de fer provenant d’un projectile de gros calibre sur le pont
- morceaux de vêtement en toile à voile sur les supports de pare-mines
- morceau de bonnet bleu avec une rayure rouge sur le mât avant
(Ces deux vêtements sentent le roussi)
Nous cherchons pendant une demi-heure des survivants, mais ne trouvons rien. Continué notre route.
Plus tard, j’ai su que c’était le cuirassé français SUFFREN, 12730 t avec 655 hommes d’équipage. »
Le 30 Novembre, l’U 52 interceptera le KEDIRI et remorquera ses 4 embarcations vers la terre. Le KEDIRI sera en fait coulé le lendemain par l’U 47.
Le 9 Décembre, il capturera le voilier EMMA LAURANS, qu’il coulera le 10, et ira déposer son équipage aux Canaries (voir récit à la fiche EMMA LAURANS)
Epilogue
Si les Français ne connaîtront le sort du cuirassé qu’après la guerre, l’Etat-Major de la Marine saura en réalité très vite ce qui s’était passé.
Voici une note confidentielle de l’Amiral Lacaze au Ministre de la Marine et envoyée dès Avril 1917
« Le cuirassé SUFFREN a été coulé le 26 Novembre dernier vers 08h00 ou 09h00 du matin par un sous-marin ennemi qui a réussi à s’approcher de lui en plongée sans être aperçu.
Une explosion formidable se produisit qui laisse à penser que la torpille a touché une soute à munitions.
Vers 10h00 du matin, le vapeur INCHWOZE, passant sur les lieux du sinistre n’a rencontré que de nombreuses épaves.
Aucune des personnes présentes à bord n’a pu être recueillie.
En conséquence j’ai l’honneur de prier Monsieur le Ministre de bien vouloir, par application de l’article 88 du code civil, décider qu’il y a disparition des 648 officiers, officiers mariniers et matelots figurant sur la liste d’équipage établie le 23 Mars par le chef du service de la solde de Brest. »
Autre note de Mars 1918
envoyée par la 1ère section au Chef d’Etat-Major Général et qui indique que le numéro même du sous-marin était connu.
Urgent et confidentiel
« J’ai l’honneur d’attirer votre attention sur l’article ci-joint paru dans le journal « OUI » du 2 Mars 1918, relatif au torpillage du SUFFREN par le sous-marin allemand U 52 dans lequel on relève le passage suivant :
Dès son arrivée aux Canaries, le commandant de l’U 52 télégraphia à son gouvernement qu’il avait coulé un cuirassé anglais.
Il serait désirable que vous convoquiez le capitaine de vaisseau Voitoux, auteur de cet article, pour qu’il indique la source d’où provient ce renseignement : journal ou opuscule allemand, ou bien indiscrétion.
Dans ce dernier cas, l’auteur de l’indiscrétion serait le vice-amiral de Lapeyrère.
Il est regrettable que de semblables articles ne soient pas soumis au préalable à la censure du service d’information de la Marine. »
De toute évidence, on avait quelques espions aux Canaries et la Marine ne souhaitait pas que cela se sache. Je ne pense toutefois pas que le Capitaine de Vaisseau Voitoux ait été (malgré son nom

) un espion.
Cet officier, ancien chef d'Etat-Major du 4e arrondissement maritime (Rochefort) en 1914, avait été versé dans la réserve en Avril 1916. (source Geneamar)
Mais il y avait comme du règlement de compte dans l’air, entre amiraux.
Cdlt