Bonjour à tous,
Voici la retranscription intégrale du rapport manuscrit qui a servi à Farrère et Chack pour écrire leur relation du combat EMDEN – MOUSQUET. (Conservé aux archives de Vincennes)
Il reprend la plupart des faits signalés dans le post au-dessus, mais de façon plus officielle et sans aucun effet de style. La signature de l’officier qui a établi ce rapport est malheureusement très difficilement lisible. Le nom ressemble à DAVENOU ou DAVEROU ou encore DAVERON.
J’avais pensé de prime abord au capitaine de vaisseau DAVELUY qui commandait le croiseur cuirassé DUPLEIX, de la division navale d’Extrême Orient. Mais je ne vois pas pourquoi il aurait été chargé de l’enquête…
Récit
Le MOUSQUET fait route au S30W quand un croiseur est aperçu au large. A 06h30, le croiseur vient lentement sur le MOUSQUET qui hisse ses couleurs. Le commandant THEROINNE décide qu’on laissera le croiseur faire la demande des signaux de reconnaissance. Il est convaincu que le bâtiment de guerre devant lui est un bâtiment allié.
A 06h59, l’EMDEN hisse ses couleurs et ouvre aussitôt le feu.
Il est à environ 2,5 milles du MOUSQUET et les premiers coups passent par dessus le torpilleur.
En voyant la salve partie de l’EMDEN, le commandant THEROINNE fait appeler aux postes de combat et donne l’ordre à la TSF de faire le signal de concentration.
Le sd maître timonier se rend à l’arrière pour prévenir les officiers et le QM COZIC au poste équipage. Mr BOURCIER fait immédiatement pousser les feux de la chaufferie arrière où descendent les QM CHAPALAIN et TRONG et les matelots BARETGE, VALOGNE et TRI.
L’équipage se rend immédiatement à son poste de combat de jour. Le sd maître torpilleur ouvre la soupape de conservation de la torpille arrière et se rend au tube avant.
Les hommes ont à peine pris leurs postes qu’une salve tombe à bord du MOUSQUET.
Les sections du 47 avant sont mises hors de combat. Un projectile tombe dans la cuisine blessant grièvement le matelot HOUZE et le timonier PEGE. Les éclats traversent la chaudière arrière qui avait 4 kg de pression et un autre projectile le poste TSF, tuant les deux télégraphistes ALBERTINI et PIETRI.
Messieurs CARISSAN et de TORCY montent à la passerelle avec le QM COZIC qui prend la barre et le timonier STEPHAN qui descend aux signaux. Le sd maître MOURGUES, blessé au flanc par un éclat, monte aussi à la passerelle. L’officier en second met aux postes de combat aux tubes. Le commandant donne à la voix l’ordre d’augmenter la vitesse. Mr BOURCIER et le sd maître mécanicien descendent à la machine pour faire exécuter cet ordre.
Le QM torpilleur GALIA et les matelots ANDRE, BIGAY et SAVELLI ont enlevé la saisine de la torpille arrière, jeté à la mer les bouteilles et essayé d’enlever la tente.
Le QM HEURTAUX et les matelots LEFORT et PERROT ont armé le 47 tribord et ouvert le feu.
Une deuxième salve arrive à bord
Un coup tombe dans le poste équipage et crée une voie d’eau. Des éclats arrivent sur la passerelle, blessant grièvement le second, Mr de TORCY, qui tombe.
Un projectile démoli le ventilateur de la chaufferie avant. Des éclats traversent la chaudière et la vapeur sort par la porte de la soute à charbon. Les machines stoppent.
Monsieur BOURCIER, voyant sa présence désormais inutile dans les machines, remonte sur le pont. Au moment où il pose le pied sur le caillebotis, un éclat de tôle le coupe en deux. Le sd maître mécanicien et le personnel machine remonte sur le pont, à l’exception du QM LEVANT et du maître mécanicien ROYER qui restent derrière les bâtis. Le personnel de la chaufferie, brûlé par la vapeur, remonte sur le pont.
Le QM LE GALL et les matelots BARETGE et LE GOFFIC sont tués par des éclats. L’armement du tube arrière est mis hors de combat. Le QM HEURTAUX est tué au moment où il vient de dire « Et surtout, visez bien ». Le matelot PERROT, chef de pièce du 47 est tué et le clairon HAMON, qui passait les munitions à la pièce est mortellement blessé. Le QM DUCHENE est grièvement blessé à la jambe.
Le torpilleur s’enfonce par l’avant. L’EMDEN arrive sur son arrière.
Mr CARISSAN, qui descend de la passerelle pour se porter à l’arrière, est grièvement blessé à la jambe. Mr de TORCY, qui s’est relevé, et le sd maître fourrier MOURGUES quittent la passerelle.
Des éclats du tube avant blessent les QM ESSELET et SANSFOURCHE.
On tente d’amener l’un des canots bretons, mais l’embarcation tombe sur le sd maître mécanicien LEFEBVRE qui disparaît.
Le bâtiment ayant tout son avant dans l’eau, l’EMDEN interrompt le feu.
Le commandant THEROINNE descend de la passerelle et passe des bouées de sauvetage et des ceintures aux blessés. A ce moment là, il paraît légèrement blessé à la tête. Un filet de sang sort de sa casquette et coule sur son visage.
Le QM CHAPALAIN qui, à sa sortie de la chaufferie s’est rendu sur l’arrière, crie « Le bateau coule ! »
Des hommes, le fuyant, sautent à la mer.
L’EMDEN ouvre à nouveau le feu.
Le QM COZIC et le canonnier STEPHAN sont blessés au bas de la passerelle. Le sd maître torpilleur MARBOEUF, qui se tenait dans l’eau accroché au liston, a la tête emportée.
Le commandant, ayant quitté l’avant, passe des bouées à STEPHAN et COZIC.
Le contre-torpilleur glisse sur son avant et s’enfonce définitivement. Les survivants se tiennent sur l’eau au moyens de bouées de sauvetage, de caillebotis, de bouts de bois de barils.
Le commandant THEROINNE, qui paraît nager aisément au début, est trouvé évanoui par le matelot CALLOCH qui le soutient sur un caisson à pavillons. Mais le matelot annamite TRI qui se tient à l’autre bout du caisson ayant abandonné cette épave, le caisson pivote et le commandant et le matelot CALLOCH coulent. Le commandant ne reparaît pas.
L’officier en second, grièvement blessé, demande du secours. Le matelot CALLOCH prend de son côté Mr. CARISSAN et le dépose sur le caisson à pavillons.
L’EMDEN s’approche des survivants et met deux canots à la mer
Il recueille tout ce qui flotte, à l’exception du matelot annamite HUONG qui, pris de peur, s’éloigne sur un morceau de caillebotis. Une embarcation s’apprête à aller le recueillir lorsque l’EMDEN ordonne le retour de tout le monde à son bord.
Aussitôt à bord du croiseur allemand, tous les hommes du MOUSQUET sont envoyés à l’infirmerie où un médecin prend ceux qui sont blessés légèrement, tandis qu’un autre médecin prend toutes les dispositions pour faire les opérations graves.
L’EMDEN met en route à une vitesse estimée à 18/20 nds par le PM PROVOST et fait route à l’ouest puis au nord selon le sd maître timonier EVINNEC. Au bout de 24 heures, la vitesse diminue.
Les médecins ont opéré les blessés graves. Mr CARISSAN a demandé à être opéré le dernier. Ceux qui n’ont rien sont parqués sur le pont dans la journée et dans la batterie aux chaînes la nuit. Les matelots allemands leur donnent quelques effets.
L’EMDEN ne paraît pas avoir souffert de ses deux combats. Aucun homme de son équipage n’est à l’infirmerie.
Un officier de réserve embarqué sur le croiseur allemand demande au PM PROVOST le nombre d’hommes disparus. Il dit qu’il a vu le d’IBERVILLE à Penang, mais que l’EMDEN n’a pas tiré à cause de la présence de deux cargos. Il n’a pas vu les torpilleurs et plusieurs matelots allemands demandent à nos marins où sont le FRONDE et le PISTOLET.
Dans la nuit du 28 au 29, BARBAROUX et STEPHAN meurent à l’infirmerie. Ils sont immergés le 29 à 09h00.
Tous les officiers de l’EMDEN et une partie de l’équipage en tenue n°1 assistent à la cérémonie. Un détachement en armes rend les honneurs militaires. Les corps sont enveloppés dans le pavillon français. Le commandant de l’EMDEN prononce quelques mots en allemand, puis en français : « Nous prions pour ces braves, morts des blessures contractées dans un combat honorable ».
Le 29 au soir, les survivants sont informés qu’ils seront transbordés sur un cargo que l’on croisera le 30. A 04h00 du matin, le cargo NEWBURN est arraisonné. Sa destination est Singapour. Mais, en raison de l’état de Mr CARISSAN, le commandant allemand ordonne au capitaine anglais de se rendre à Sabang. Tous les survivants sont transbordés sur le NEWBURN, à l’exception du matelot SALDUCCI qui meurt dans la nuit du 29 au 30.
Le Prince de Hohenzollern, neveu de l’Empereur, installe lui-même les blessés sur le cargo .
Sabang
Le clairon HAMON meurt le 30 vers 18h00. Le NEWBURN arrive à Sabang à 21h00.
Le lieutenant de vaisseau hollandais commandant le SERDANG vient à bord pour se rendre compte de la situation et prend toutes les mesures nécessaires. Trois médecins font évacuer les blessés vers l’hôpital. Les indemnes sont dirigés vers la caserne où on leur donne souper, des lits et les moyens de faire leur toilette. Le lendemain, ils sont conduits sur le SERDANG où on les habille avec des uniformes hollandais.
Trois heures après son arrivée à l’hôpital, Mr CARISSAN meurt. Ses obsèques et ceux du clairon HAMON ont lieu le lendemain 31 à 17h00 devant des détachements en armes qui rendent les honneurs militaires, le général commandant la place et le commandant du SERDANG.
Les survivants du MOUSQUET n’ont qu’à se louer de la façon dont il ont été traités pendant leur séjour à Sabang. Ils ont même reçu une solde.
Résumé
Le MOUSQUET, surpris, a reçu une telle pluie de mitraille qu’il a été dans l’impossibilité de se mettre en état de répondre aux coups de l’EMDEN.
A bord du MOUSQUET, tout le monde a fait son devoir.
Le commandant THEROINNE et ses officiers ont tenté d’utiliser tous les moyens à leur disposition, mais ces moyens d’attaque ont été successivement et rapidement mis hors d’état de combattre. Ne pouvant plus rien faire avec son bâtiment, le commandant s’est occupé jusqu’au dernier moment de sauver son personnel.
Parmi les survivants, certains ont eu une attitude digne d’être signalée .
(L’auteur du rapport note alors les actions de CALLOCH et COZIC, ainsi que l’attitude de l’enseigne CARISSAN.)
Cdlt