Bonjour,
Pour les membres familiers avec les carnets d'un fantassin de Charles Delvert, voici une sorte d'épilogue décrivant la chute du retranchement R1
Champs de bataille de Verdun
Dans la nuit du 8 au 9 juin 1916, secteur de la 63e DI, à l'ouest du fort de Vaux.
Comme durant les jours passés, il pleut et l'artillerie bat son plein.
Tranchée Fumin, début de soirée
De 15 heures à 20 heures, un violent bombardement s'abat sur la tranchée Fumin. Dans la tranchée boulversée, la 10e compagnie du lieurenant Taranne et la 11e du lieutenant Colonna attendent le passage de la tempête de feu et d'acier. En retrait, la 9e couvre le ravin des Fontaines. Ces compagnies du 101e sont les dernières compagnies de la 124e DI encore présentes sur la ligne de feu. Elles occupent la première ligne avec le 298e RI et n'ont, depuis le 6 juin, reçu aucun ravitaillement.
La chute de R1 et DV4, vers 19 h 30
Alors qu'au PC Fumin on attend la relève au milieu d'un bombardement incessant, une brusque attaque Allemande se déclenche. En effet, les Bavarois du Jäger-Regiment 3 s'élancent de DV3 à travers le ravin du bois Fumin tandis que le IR 43 de Prusse orientale sort de la tranchée de Sarajévo. La vague allemande emporte d'abord le retranchement R1 et l'abri DV4, puis la tranchée de la Courtine et tranchée de Besançon.
L'artillerie française, malgré les fusées rouges, reste silencieuse tandis que dans le ravin, les tirs partants de la gauche de R1 et de DV4 infligent des pertes aux Jäger.
À R1, le lieutenant Léon Claude et sa 18e compagnie du 298e se battent pied à pied mais, après plusieurs enrayements de mitrailleuses et des bonds agressifs de la part des grenadiers Allemands, la position est sur le point de tomber.
"Chez nous, les munitions manquaient. Tous se sont défendus bravement au fusil lorsqu'ils n'eurent plus de grenades a leur disposition. Le lieutenant Claude, commandant la 18e compagnie du 298e, qui se battait lui-même au milieu de ses hommes, est tombé frappé mortellement d'un eclat en plein front. L'adjudant de bataillon Conte, du 238e fut atteint de deux graves blessures.
Le commandant Mathieu lui-même fur blessé aux deux genoux. Projeté à terre par l'explosion et la bousculade de quelques defenseurs, il s'écria en tombant "À la baïonnette !" Mais il fut immédiatement saisi par les soldats allemands, désarmé et transporté comme bonne prise à l'arrière des lignes ennemies¹ter.
Ayant passé la journée du lendemain sur le lieu du combat, j'ai éprouvé la douloureuse émotion de revoir le lieutenant Claude, non pas étendu au sol, mais accoudé sur le parapet de sac à terre, deux grenades restant a proximité de sa main droite. Autour de lui gisaient de nombreux soldats de la 18e compagnie du 298e, la plupart approchant la quarantaine, originaire de tous les pays de France. Ils s'etaient défendus jusqu'à la mort autour du corps de leur commandant de compagnie." (Médecin auxiliaire Bourrat, 6e bataillon du
238e RI, Les derniers jours du fort de Vaux, Henri Bordeaux, édition Nelson, 1917, p.272-273)
Finalement, les Allemands investissent R1 et avancent désormais vers DV4 au milieu des morts du 298e, des armes et du materiel français éparpillé.
Derrière les parapets, les Prussiens du IR 43 peuvent voir les alignements de morts de la 8e compagnie du 101e tombés entre le 1er et le 5 juin, roulés dans leurs toiles de tentes hachées par les éclats.
D'autres cadavres français, plus anciens, parsèment les alentours de R1. Il s'agit des morts du 124e RI, tombés le 22 mai dernier.
Les derniers survivants de la 18e compagnies abandonnent R1 et se replient vers DV4 :
"Couvert par le bord du ravin, nous étions tombés sur une structure que nous n’avions jamais vue auparavant. En avant de nous se trouvait une tranchée dans laquelle 12 à 15 Français se tenaient et tiraient sur le ravin du Fumin. Les grenades à main les ont chassés. Ils se sont retirés dans un point d'appui [DV4 N.d.A] que nous n’avons découvert qu'à ce moment." (Oberjäger Sprengert, 15. Kompanie, 3. Jäger Regiment, Die Tragödie von Verdun 1916 II.Teil, Das Ringen um Fort Vaux, p.138)
Dans DV4, les blessés s'entassent. Certains, intransportables, appartiennent aux 5e et 8e compagnies du 101e RI, ou au 124e RI et sont coincés dans cet avant-poste depuis plusieurs jours.
Alors que les grenadiers allemands approchent, les soldats du 298e s'apprêtent à faire le dernier carré.
"Cependant a la porte de [DV4 N.d.A], se defendaient toujours contre l'attaque de flanc dix soldats valides environ, avec deux officiers, le capitaine Curel et le sous-lieutenant Degironde. Au commandement du sous-lieutenant Degironde, ces defenseurs se groupèrent sur deux rangs, le premier rang à genoux." (Médecin auxiliaire Bourrat, 6e bataillon du
238e RI, Les derniers jours du fort de Vaux, Henri Bordeaux, édition Nelson, 1917, p.273)
Degironde leur déclare
"Mes amis, nous mourrons tous... Le premier rang a genoux... Et tirez bien...".
Les poilus tirent depuis la gorge de DV4 dans le ravin du bois Fumin où s'infiltrent les Bavarois, mais arrivant de R1 dans leur dos, les Prussiens du IR 43 escaladent la structure :
"Le camarade Kriegel monta sur l’œuvre ; 15 hommes l’ont suivi. Des grenades à main ont été lancées dans la porte par le haut. Après que les Français aient été travaillé pendant environ dix minutes, des blessés sont sortis en courant et ont levé les mains." (Gefreiter Holzheiser, 4. Kompanie, 43. Infanterie Regiment, Die Tragödie von Verdun 1916 II.Teil, Das Ringen um Fort Vaux, p.138)
Dans les chambres bétonnées de DV4, le médecin auxiliaire Bourrat du 238e et le médecin auxilaire Puig du 298e sont témoins de la réddition des derniers défenseurs présent hors de l'abri.
Alors que les deux médecins français s'entretiennent vivement, les Bavarois approchent. Le vize-feldwebel Engesser arrive à l'entrée de DV4 avec ses Jäger :
"J’étais debout avec une partie de la section devant la paroi côté gorge. Nous nous sommes blottis contre le mur ; je me suis glissé jusqu’à la position de tir. "Cessez le feu !" répétais-je à chaque position. Puis j’ai sauté avec mes hommes pour atteindre l’entrée de la casemate. En frappant sur la porte de fer, nous avons hurlé : "Ouvrez la porte!" - A l’intérieur une querelle s’ensuivit. Certains ont crié : "Ouvre donc !" - Réponse : "Non, je n’ouvre pas".
J’ai menacé. La porte fut violemment ouverte, mais aussitôt refermée. Mes Jäger se tenaient prêts à intervenir autour de l’entrée. Puis la porte s’est ouverte. J’ai mis mon pied dans l'entrée, et en passant mon bras gauche à travers l’interstice, j’ai attrapé un officier qui se disputait encore. Je l’ai immédiatement tiré dehors.
60 à 70 Français sont sortis sans armes et les mains en l’airs." (Vize-Feldwebel Engesser,15. Kompanie, 3. Jäger Regiment, Die Tragödie von Verdun 1916 II.Teil, Das Ringen um Fort Vaux, p.138)
"Après quelques paroles et gestes de menaces de la part des soldats ennemis, l'intervention d'un officier prussien les fit se comporter correctement." (Médecin auxiliaire Bourrat, 6e bataillon du
238e RI, Les derniers jours du fort de Vaux, Henri Bordeaux, édition Nelson, 1917, p.273)
Les Allemands ont donc capturé dans l'attaque deux officiers d'importance : le commandant Mathieu et le capitaine adjudant-major Curel.
Des 60 à 70 prisonniers pris dans DV4, une quarantaine sont des blessés capables de marcher. Ceux-là sont évacués immédiatement. Une vingtaine de blessés supplémentaires seront brancardés vers l'arrière allemand dans la journée du 9 juin. La poignée de prisonniers restants sont des infirmiers et les deux médecins auxilaires. Ces derniers seront autorisés par les Allemands à rester un jour de plus sur place afin de venir en aide aux nombreux blessés des deux camps.
La prise de la tranchée de Besançon, vers 19 h 30
Dans la tranchée de Besançon, les survivants de la 23e compagnie du 238e, une des compagnie ayant pris part contre-attaque du 5 au 6 juin, reçoivent également l'attaque allemande.
"Les pertes de ma compagnie, la 23e, ont été cruelles. Sur 160 hommes et 3 officiers présents au moment de l'attaque 22 hommes seulement sont restés non blessés au main de l'ennemi. Tous ont utilisé jusqu'à leur dernière cartouche et leur dernière grenade. [...] Lorsqu'à 9 heures du soir, j'ai été présenté aux officiers de l'état-major de brigade allemand qui avait dirigé l'attaque et qui occupait les baraquements dans le bois d'Étain, ils m'ont félicité pour la vaillance des troupes chargées de la défense de R1 et de la tranchée de Besançon. Contusionné, harassé, n'ayant pas bu depuis trois jours, j'ai été conduit au mess des officiers où j'ai été entouré d'égards et de soins..." (Capitaine Aillaud, 23e Cie 238e RI, Verdun, J. Péricard p.327)
Les lignes françaises sont dans un état de chaos indescriptible. Il n'existe plus aucune liaison. Cette attaque allemande se déroule sans que le commandement français n'en soit informé et ce n'est que lorsque vers 5 heures du matin, deux Allemands sont capturés que leur intérrogatoire rélève l'information stupéfiante : la première ligne française à disparu dans la nuit, sans qu'aucun survivant ne se soit replier pour donner l'alerte.
Pour les français, la totalité des 17e, 18e et 20e compagnies du 298e RI, la 23e du 238e RI et quatre sections de mitrailleuse ont disparus dans la nuit.
PC Fumin, vers 21 heures
Le PC Fumin à également subit le bombardement de 15 à 20 heures. Une partie du 298e RI, particulièrement épuisé, doit être relevé durant la nuit par des compagnies du 2e RMZ.
Lorsque quelques éléments du 2e RMZ arrivent avec quelques heures de retard, des guides les mènent cette fois vers les lignes françaises... occupées par les Allemand.
Marchant en avant de la colonne, le capitaine Francis Chéroniot aborde la tranchée de Besançon :
"Le capitaine Chénoriot, qui se trouvait en tête, est saisi par deux Allemands et privé de ses armes. Il se laisse faire sans résistance et, au moment d'être dirigé sur l'arrière, bousculé par les deux soldats, un trait d'héroïque initiative illumine son esprit : "Tenez-vous tranquille maintenant, crie-t-il à ses deux gardiens, et n'oubliez pas que je suis capitaine !" Les Allemands, impressionnés, desserent leur étreinte ; deux coup de poing les envoient rouler à terre. Le capitaine gagne l'arrière à la course sous le feu de l'ennemi. Cette scène à duré quelques minutes à peine ; Chénoriot a le temps d'alerter les unités du bataillon qui arrive et de faire organiser une nouvelle position."¹ (Anonyme, 2e régiment de marche de zouaves, Verdun, J. Péricard p.353)
Les Zouaves se plaignent de l'incompétence des guides mais sont pourtant arrivé au bon endroit.
La même chose se produit lorsque la 19e compagnie du 238e monte relever la 18e du 298e occupant R1. En arrivant à R1, le guide du 298e et les premiers éléments du 238e tombent dans une embuscade et doivent décrocher de 100 m !
La confusion la plus totale règne dans le camps français. Que s'est-il passé?
Le lieutenant-colonel Justin Hauw du 298e RI fait porté l'ordre au commandant Calté² d'envoyer une mission de reconnaissance vers R1.
Tranchée Fumin, dans la nuit
Depuis la croupe du bois Fumin, le sous-lieutenant Gonin observe :
"La bataille autour du fort faisait rage. Spectacle saisissant. Qui, à ce moment possédait le fort¹quad ? Ce n'était qu'une masse grise et informe au-dessus de laquelle jaillissaient des flammes, des colonnes de terre, des blocs de bétons et d'où s'élevait un épais nuage de fumée de couleur indécise." (Sous-lieutenant Gonin, 9e Cie 101e RI, Histoire de la guerre par les combattants, Tome 3, p.288)
Le bombardement a cessé. Dans la tranchée, les soldats du 101e ne réalise pas que toutes les positions situées sur leur flanc droit viennent de disparaître en moins d'une heure.
"Nous passâmes ainsi toute une nuit profitant de l'obscurité pour aménager un peu nos emplacements en tranchée de protection." (Sous-lieutenant Gonin, 9e Cie 101e RI, Histoire de la guerre par les combattants, Tome 3, p.288-289)
Depuis son abris du ravin des Fontaines, le commandant Calté transmet la mission de reconnaissance à la 12e compagnie en réserve.
Finalement, avec l'aube naissante, le sous-lieutenant Marguerite et quelques hommes de la 12e du 101e RI se faufilent dans la pente menant à R1 et peuvent confirmer l'occupation de DV4 et R1 par les Allemands.
¹ Francis Chénoriot sera tué près de Fleury-devant-Douaumont le 26 juillet 1916.
² Commandant le 3e bataillon du 101e RI détaché auprès de la 63e DI.