[Dans la marge : ] voir ci-joint un extrait de lettre du front
Recopiée le 01/12/48
12e lettre du front
Hoogstaed le 21 novembre 1914
Chers parents,
Je viens de recevoir votre carte du 14 courant juste comme je venais de vous envoyer une carte disant que je n'avais rien reçu de vous depuis une dizaine de jours, je n'ai pas reçu non plus l'imperméable. Comme je pense vous avez dû le deviner pendant que j'étais dans les tranchées c'était à Dixmude (on me remet pendant que je vous écrit votre carte du 18 courant celle-là n'a mis que 3 jours pour arriver, c'est un record, merci pour elle et je continue ma lettre) et je puis vous affirmer que ça a bardé et par la même occasion je vous envoie un article qui a paru dans le Daily Mail et qui est entièrement faux, il n'y avait aucun autre corps que la Marine si ce n'est une compagnie de tirailleurs sénégalais et quelques Belges sur notre droite et je puis vous dire sans crainte de démenti que leur réputation est surfaite, vous direz sans doute que ces gens-là se battent depuis trois mois et demi, cela est très vrai mais je pourrais répondre à ça que ces gens là sont allés se reposer à Dunkerque et que ceux qui étaient à Dixmude pouvaient rentrer dans la catégorie des troupes fraîches, et bien ces gens-là dès que les marmites tombaient près de leurs tranchées, se cavalaient comme des lièvres et il fallait en plus de nos postions occuper les leurs. Je ne sais si ma lettre vous parviendra, en tout cas je vais vous raconter la prise de la ville par les Allemands telle qu'elle a eu lieu. Comme vous devez le voir par le plan que je vous adresse la ville de Dixmude, ville d'environ trois mille âmes, était du côté de l'Yser occupé par les boches mais était toujours en possession des troupes de la Marine française qui occupaient des tranchées en avant de la ville qui, elle-même, n'était plus qu'un monceau de ruines, et par ce fait intenable, mais ce qui en faisait sa valeur c'est qu'elle se trouvait sur la route de Dunkerque et elle commandait le pont et nos troupes qui se trouvaient en avant de la ville empêchaient les Allemands de se glisser par surprise jusqu'au pont. Alors le 10 les Allemands nous firent subir un bombardement épouvantable et malgré les pertes considérables réussirent à percer nos tranchées avancées, l'on se battit toute la journée dans les rues, mais comme ils étaient très supérieurs en nombre l'on dû évacuer la ville et passer le pont les pertes des Allemands étaient considérables mais les nôtres, hélas sont assez fortes. J'ai su que deux compagnies de marins, qui avaient été cernées et obligées de se rendre après avoir brûlé toutes leurs cartouches, furent désarmées et obligées de marcher pousses par les baïonnettes boches sur nos tranchées afin de leur permettre d'avancer sans danger et nous être dans l'alternative de les laisser avancer ou de tirer dessus et bien cela est malheureux mais le le fallait, et on l'a fait. Beaucoup de marins, heureusement pour eux, se jetèrent à l'eau et nous pûmes les repêcher de l'autre rive, ceux-là furent sauvés. Où les Boches eurent le plus de pertes ce fut lorsqu'ils eurent l'audace de placer 2 mitrailleuses à 30 mètres du pont et un canon ils devaient venir de la forêt qui se trouve à droite entièrement à découvert, il en fut fait un carnage épouvantable ceux qui restaient s'enfuirent jusqu'au dernier en somme les Boches s'emparèrent de Dixmude mais ne purent passer la rivière et cette prise ne leur est d'aucune valeur car dès que nous eûmes évacué la ville notre artillerie se mit à pleuvoir dessus et le rendit intenable à l'ennemi qui dut l'évacuer .

Quand à nous nous fîmes sauter les 2 ponts, celui de la route et celui de la voie ferrée ; pour celui de la voie ferrée c'était un lieutenant belge qui avait le responsabilité de le faire sauter, il avait son poste à côté du pont, les mines étaient en place et les fils à portée, et bien lorsqu'il reçut l'ordre de faire sauter le pont, chose honteuse à dire, il ne le fit pas, les fils étaient en mauvais état, il ne les avait pas surveillés, il a fallu qu'un de nos commandants arriva et revolver au poing l'en fit réparer, 10 minutes après son arrivée le pont sauta. [Dans la marge : ]bruit qui circula dans la Brigade après le 10 novembre. En résumé si ce n'est que de part et d'autre part beaucoup plus considérable du côté boche, on a eu des pertes à déplorer, le combat du 10 n'aura été qu'une légère victoire d'amour propre pour les boches mais pour nous ça n'a pas été une défaite car nous tenons toujours la rive gauche de l'Yser plus énergiquement que jamais et que tous les jours on reçoit des renforts en quantité.
Comme vous le voyez il ne faut pas toujours croire les journaux car souvent ceux qui font les articles soi-disant à sensation les font d'imagination et sont out le contraire de la réalité pour mon compte j'ai confiance plus que jamais et je termine en vous embrassant de tout coeur.
Votre Fortuné.