Bonjour à toutes et à tous.
Bonjour Bernard.
Allez ! une petite suite...
« La dépêche » du 27 mars 1913
Le cas du 57e R.I.
« La mesure projetée est une chose grave » de l’ancien commandant du 18e C.A..
A Bordeaux, la question du départ du 57e R.I.est un peu et même beaucoup la question du jour. Le sentiment général de la population est nettement hostile au déplacement de notre régiment d’infanterie. Parmi les personnalités susceptibles d ‘exprimer des vues autorisées, il n’est personne de favorable à la mesure ministérielle, personne qui s’y rallie ou pour mieux dire, qui ne la désapprouve…
A l’hôtel de ville :
Déclaration de M. le Maire.
L’impression de la municipalité en présence d’une décision qui aurait pour effet de réduire notablement notre population militaire, nous sommes allés prier M. le Maire de bien vouloir nous la donner.
« Jusqu’à nouvel ordre, nous a fort aimablement et textuellement déclaré l’honorable M. Gruet. Je persiste à croire que la mesure dont vous me parlez n’est pas officielle. Car je n’en ai pas été prévenu.
Il est signaler que l’autorité militaire prenne des déterminations aussi graves sans consulter personne, dans les administrations intéressées…
Je ne pense pas que la partie est perdue et nous allons agir. Je ne ferai rien, néanmoins, sans en avoir référé à mes collègues du conseil municipal. La question sera posée devant eux à la première réunion des commissions. Je ne doute pas d’obtenir leur assentiment unanime, une démarche collective des élus de la ville et des élus du département auprès des pouvoirs publics. J’espère que ces voix réunies formeront un organe assez fort pour se faire entendre. Nous ferons notamment valoir que les autorités locales n’ont pas été saisies de la question. L’avis même de M. le Préfet de la Gironde n’a pas été demandé. Et je ne crains pas de m’avancer à dire que ce haut fonctionnaire, invité à fournir son appréciation, eût conclu au maintien du statu quo en ce qui concerne le 57e R.I..
Poursuivant, M. le Maire ajouta que l’argument qu’il venait d’indiquer ne serait pas le seul, ni le principal qu’il serait fournir.
IL existe des contrats entre la ville et l’armée. Elle a mis à la disposition de l’armée des casernements aptes à recevoir au total une garnison de 7000 hommes…
Sept mille hommes, au minimum insista M. le Maire, voilà le chiffre que nous pouvons loger ; voilà le chiffre que nous devons recevoir puisque nous nous sommes imposé les dépenses nécessaires. L’engagement réel de l’autorité militaire vis à vis de Bordeaux n’a jamais été rempli. A telle enseigne, que la garnison actuelle ne dépasse pas 4500 hommes en chiffres ronds. Le remplacement du 57e R.I. par le 7e R.I.C. entraînerait une nouvelle diminution de cette population déjà numériquement médiocre. Je veux croire que l’on nous épargnera ce mécompte supplémentaire, qui toute question de sympathie pour des hôtes de 40 ans mise à part, lèserait gravement le commerce local.
Toujours est-il acheva t-il et cette assurance terminera l’entretien. Toujours est-il que l’agrément du conseil obtenu. Je me mettrai, immédiatement en rapports avec la représentation parlementaire de la Gironde en vue d’une intervention commune et prompte… »
Une voix militaire
L’ancien commandant du 18e C.A. est loin d’approuver le départ du 57e R.I.
Une voix autorisée, certes que la voix de M. le Maire de Bordeaux ! Mais une voix civile susceptible de n’obéir qu’à des considérations étroitement locales, par conséquent de n’éclairer qu’une seule face de la question. Nous avons souhaité verser au débat un autre facteur d’examen et de jugement pour tout dire une appréciation militaire.
M. le général O… exerçait, il y a peu encore, le commandement du 18e C.A.. Cette circonstance, jointe à la liberté que lui a conférée son passage au cadre de réserve, le désignaient tout particulièrement à l’interview. Il a bien voulu s’y prêter avec une bonne grâce très accueillante.
« Je n’aurais rien à vous dire, nous a t-il déclaré sans ambages, si la mutation engageant deux régiments métropolitains. Tout au plus eussé -je pu regretter l’absence de tout préavis. Car un changement de garnison froisse toujours des intérêts très respectables et qu’il importe de ménager dans la mesure où le permettent les intérêts supérieurs de l’armée et du pays. Mais je considère comme une chose grave d’amener de l’infanterie coloniale à Bordeaux.
Et le général avec une netteté très militaire, se laissa aller à nous parler franc quoique sans passion sur la manière d’être des coloniaux. ; d’excellentes troupes d’expédition, sans contredit, dit-il, mais c’est le propre du soldat français dans toutes les armes, d’être vaillant et alerte au feu ! Dans nos possessions lointaines, la brousse, le bled, la coloniale prend et garde le goût du débraillé et des libertés touchant quelques fois la licence. Dans la garnison métropolitaine, elle se considère un peu comme le matelot à terre, c’est à dire en bordée. Cet état d’esprit, les porte parfois à certains écarts, dont on ne s’effarouche pas trop dans les ports, par suite d’habitude. Mais dans la ville comme celle-ci, grande, populeuse, brûlante, jalouse de son élégance, attentive à la tenue, je craindrais que les têtes brûlées que les régiments coloniaux referment, n’attirent bientôt au 7e R.I.C., par leurs excentricités, autre chose que la sympathie du public.
Entendez-vous bien ! Ne m’en faites pas dire plus que je n’en ai dis. Je n’avance pas que tous les coloniaux soient des cabochards, mais que de cabochards parmi les coloniaux ! »
Ainsi parla le général, au fond, si ce n’est tout à fait dans la forme, illustrant ses aperçus d’anecdotes piquantes, quelques-unes plus personnelles. Nous nous sommes attachés à reproduire sur ce point la substance de sa pensée.
Et nous l’attaquâmes ensuite sur les raisons de l’autorité militaire.
« Oui, je sais, nous dit-il. On déclare que Bordeaux constitue le point d’attache désigné pour l’infanterie coloniale appelée à alimenter les relèves du Maroc. D’un mot une facétie ! C’est une facétie parce que la coloniale a déjà fourni au Maroc à peu près tout ce que l’on pouvait exiger de ses contingents. Mais quand bien même on devrait lui demander de nouveaux renforts quoi de plus simple que de les amener de Rochefort à Bordeaux. !
La formation d’un train spécial, est une opération classique et familière à tous les états-majors. Elle est rapide et peu onéreuse. Par conséquent à qui fera t-on croire que l’on envoie la coloniale à Bordeaux pour éviter tous les ans, l’organisation de 2 ou 3 trains spéciaux.
Ainsi donc la question de l’alimentation en hommes du corps d’occupation marocain, prétexte ! Et comme tous les prétextes quelque chose d’inconsistant et masque ! Mais derrière le masque qu’y a t-il ? »
Restait l’argument de l’instruction du 57e R.I., avancé par les « considérants » ministériels. A ce sujet également, le général s’est montré très net, très affirmatif…
… « L’envoi à Rochefort du 57e R.I.disloquera dans les pires conditions, la brigade qu’il forme avec le 144e R.I.. La brigade coloniale de Rochefort sera de la même façon disloquée par l’éloignement du 7e R.I.C.. »
Ajournement en attendant mieux
A quelque porte que l’on frappe, la cause est entendue, on le voit. A la mairie, l’autorité civile se dispose à défendre les intérêts de la cité, compromis. A l’autre pôle des considérations que peut soulever le cas du 57e R.I., un officier général, qui hier encore détenait le plus haut mandat militaire local, n’hésite pas à regretter, pour d’autres motifs, non moins graves une mesure qui ne laisse apercevoir aucun avantage.
Nous en signalons un nouveau qui tiendra honorablement sa place en queue de liste de ceux que l’on connaît.
On sait que M. Millerand, quand il a passé rue Saint-Dominique a rétabli le roulement par les fractions détachées.
Par conséquent en 1915, le bataillon de Libourne du 57e R.I. devrait être remplacé à Libourne par un autre bataillon, lequel n’aurait le temps de séjourner à Rochefort que l’espace d’une quinzaine de mois.
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Bien cordialement.
Denis