Bonjour à tous,
Voici quelques précisions sur le torpillage du cargo LE CALVADOS.
Ce navire, de la série LE GARD et LE TARN avait été lancé à Hoboken en 1890. Le 12 Février 1895, il avait abordé et coulé près de Noirmoutier la goélette YVONNE. Refondu à Port de Bouc en 1906, doté de chaudières neuves, il avait été affecté au service postal en Méditerranée.
Dans l’histoire des navires de la Compagnie Générale Transatlantique, il est écrit qu’après l’avoir torpillé, le sous-marin U 38 mitrailla les embarcations de sauvetage et que deux seulement purent atteindre la côte, tandis que le vapeur anglais LADY PLYMOUTH recueillait 55 survivants.
Il y avait à bord du cargo 804 militaires et 55 hommes d’équipage. Le nombre de survivants aurait été de 137.
L’enquête fut menée à Oran par le lieutenant de vaisseau Aubry, du centre des flottilles d’Oran. Il a interrogé les rescapés suivants dont les témoignages se trouvent tous aux archives de Vincennes:
BARRE Georges Capitaine au 8e tirailleur
DU MESNILDOT Joseph Capitaine au 8e tirailleur
PAOLI Jean 2e capitaine de LE CALVADOS
GUILLEMAIN François Lieutenant de LE CALVADOS
LLUCIA Gaston Chef mécanicien de LE CALVADOS
GIUDICELLI 2e mécanicien de LE CALVADOS
BEL GACEM Lieutenant au 8e tirailleur
JOURDAN Lieutenant au 8e tirailleur
LE GARREC 1er chauffeur électricien LE CALVADOS
CALISTI Matelot électricien LE CALVADOS
Le témoignage du capitaine Barré est tout à fait conforme (sous une forme plus officielle) au récit qu’il a fait dans une lettre envoyée à sa mère.
Les autres récits sont sensiblement identiques.
Voici celui du second capitaine, qui donne un point de vue de marin
Témoignage du 2e capitaine Paoli, 35 ans, domicilié 21 quai de la Joliette à Marseille
Le 4 Novembre 1915 vers 14h00, LE CALVADOS faisait route sur Oran et se trouvait à 25 milles du cap de l’Aiguille. J’étais à la passerelle en compagnie du commandant et de quelques officiers de l’armée de terre lorsque j’entendis des coups de canon dans l’Ouest. Nous crûmes à un exercice de tir mais, prenant mes jumelles, je vis à 6 milles des gerbes d’eau près d’un grand navire qui prit de la bande. A côté de lui, il y avait un point noir que nous supposâmes être un sous-marin.
Ayant 804 hommes de troupe à bord, nous avons essayé de lui échapper en virant de bord et en mettant le cap sur Mostaganem. Le sous-marin comprit la manœuvre, lança trois obus à l’autre navire et se mit à notre poursuite avant même qu’il ait coulé. La poursuite a duré trente minutes et sa vitesse, 20 nœuds, était très supérieure à la notre. Ses premiers coups de canon furent de 300 à 400 m trop courts. Puis deux obus tombèrent très près de l’arrière de LE CALVADOS qui ne portait aucun pavillon. Les 10 obus suivants passèrent au dessus de la passerelle et le dernier tomba sur la cheminée où il coupa le tuyau de vapeur du sifflet. Le capitaine donna l’ordre de capeler les brassières dont nous étions pourvus (environ 900), et de déborder les embarcations.
Il fit alors stopper et ordonna la mise à l’eau des moyens de sauvetage, soit 6 canots et 2 radeaux. Le sous-marin s’approcha puis plongea. Les tirailleurs n’écoutant ni les officiers du bord ni leurs officiers, l’évacuation se fit en désordre. Les soldats sautaient dans les embarcations avant qu’elles fussent amenées, provoquant la rupture des bossoirs. Deux seulement purent quitter le bord, chargées à couler bas, et toutes les autres chavirèrent. Le sous-marin, dont on voyait le périscope, s’approcha alors et, de 100 m tira une torpille qui atteignit LE CALVADOS au travers de la cale III où elle explosa. Mais le navire ne coula pas immédiatement.
J’avais fait jeter à la mer tous les objets en bois qui pouvaient servir au sauvetage et couper les saisines des deux radeaux qui flottèrent quand le navire sombra. Mais l’un d’eux avait été coupé en deux par l’explosion de la torpille.
Je pus me maintenir dans un premier temps sur un panneau de cale, puis je fus recueilli par un radeau. Le sous-marin est resté un quart d’heure sur les lieux, évoluant à petite vitesse. La coque était peinte en gris et le kiosque en noir. Il mesurait environ 70 m. Il portait deux canons. Tout l’équipage était sur le pont, autour du kiosque. On aurait dit qu’il nous narguait.
C’est 24 heures plus tard que nous avons été recueillis par le vapeur anglais LADY PLYMOUTH. Son capitaine, Monsieur Watson, a eu une conduite au dessus de tout éloge. Il nous a donné les soins les plus assidus et nous a ramenés à Alger.
Extraits d’autres témoignages
Le chef mécanicien Llucia fit jeter à la mer les parcs à moutons en bois. Il précise que le bruit de la vapeur qui s’échappait du tuyau du sifflet était si fort qu’il empêchait de comprendre les ordres. Il prit place dans le tout dernier canot avec le commandant (qui ne savait pas nager). Mais celui-ci chavira au moment de l’explosion de la torpille. Il put alors s’accrocher à un radeau. Il dit qu’il a bien vu le sous-marin, mais pas son équipage.
Le capitaine Du Mesnildot déclare qu’il n’a rien remarqué de particulier concernant le sous-marin, si ce n’est qu’il lui semble avoir entendu rire sur le pont du submersible…
Conclusion de l’officier enquêteur
Le LV Aubry écrit : « Le sous-marin assista en surface à l’agonie de ses victimes et évolua à petite vitesse au milieu des malheureux qui se noyaient. Les avis sont toutefois très différents au sujet de l’attitude de son équipage. Certains prétendent avoir vu les Allemands rire, tandis que d’autres au contraire disent qu’ils étaient complètement impassibles. Le lieutenant Jourdan dit qu’il a vu un marin prendre des photos. »
(Nota : On constate donc qu’il n’existe aucun témoignage d’un mitraillage des embarcations et l’on peut se demander d’où vient l’information donnée par la Compagnie Générale Transatlantique. Il n’est pas impossible que d’aucun ait pris le chavirage et la destruction d’une embarcation par l’explosion de la torpille comme le résultat de coups de canons tirés sur le dit canot).
Le sous-marin attaquant
C’était donc l’U 38 du KL Max Valentiner. Le vapeur qu’il avait canonné et coulé juste avant de prendre en chasse LE CALVADOS était le Français DAHRA (Récit à venir) Les heures concordent parfaitement.
Le même jour il avait aussi coulé les vapeurs MERCIAN et IONIO à peu de distance.
Il est bien connu que Max Valentiner fut un sous-marinier particulièrement agressif, aux méthodes souvent peu orthodoxes, et les alliés songèrent même à le faire traduire devant un tribunal pour crimes de guerre après la capitulation allemande. Le torpillage de LE CALVADOS montre en tous cas qu’il ne s’embarrassait pas de considérations humanitaires.
Il a coulé un total de 143 navires. Né au Danemark en 1883, il est décédé au Danemark le 19 Juin 1949.
Récompenses
Citation à l’Ordre de l’Armée avec Croix de Guerre
CATINCHI Dominique Capitaine au Long Cours inscrit à Marseille. Commandant de LE CALVADOS
Disparu après s’être courageusement dépensé pour tenter de sauver son équipage et ses passagers lors du torpillage de son bâtiment.
Dominique Catinchi sera aussi proposé pour le grade de Chevalier de la Légion d’Honneur. Toutefois, j’ignore si cette proposition fut acceptée.
Médaille d’Or du Sauvetage
Captain WATSON du cargo LADY PLYMOUTH
On peut noter qu’en cette même occasion, mais pour un autre sauvetage, le captain Bertam HAYES, du paquebot OLYMPIC (sister-ship du TITANIC) reçut aussi la Médaille d’Or du Sauvetage. Il avait pourtant été l’objet d’une réprimande de l’Amiral de Robeck pour avoir ainsi exposé son navire à une éventuelle attaque de sous-marin…
Bref, en pareille situation, on constate que sauver les naufragés n’était pas plus le souci des Allemands que des Anglais !
Suite de l’enquête
Dans son rapport, le lieutenant de vaisseau Aubry signale tout de même quelques faits intéressants :
LE CALVADOS, requis par la Marine, était parti de Marseille pour Oran avec 804 soldats du 8e régiment de marche des tirailleurs indigènes (2e, 4e et 5e bataillons). Pour tous moyens de sauvetage il disposait seulement de 6 canots et de 2 radeaux.
Pour l’occasion, on avait embarqué 700 brassières de sauvetage en plus de celles qui étaient déjà à bord.
Le vapeur possédait un poste de radiotélégraphie. Mais, malgré les demandes répétées de la Transat, la Marine n’avait pas embarqué de radiotélégraphiste, arguant du fait que ceux-ci étaient mobilisés et qu’aucun n’était disponible.
A Oran, on avait été averti, le jour même de l’attaque, que le vapeur MERCIAN, attendu dans ce port, avait été coulé par un sous-marin. L’inquiétude était donc grande en ne voyant pas arriver LE CALVADOS.
Des membres des familles des victimes se plaignirent et s’indignèrent vivement de l’incurie de la Marine dans cette affaire et quelques lettres assez incendiaires figurent aux archives. Elles entraînèrent un supplément d’enquête et les conclusions sont données par l’Amiral Lacaze.
Note de l’Amiral Lacaze au commandant de Marine Alger (classifiée secret défense)
Suite à l’enquête à laquelle j’ai fait procéder sur les circonstances entourant la perte de LE CALVADOS, j’ai le regret de constater que le personnel de la Marine, s’il ne porte pas la responsabilité directe de ce regrettable évènement de guerre, n’a malheureusement pas montré en cette occasion l’initiative et l’esprit de décision que le Ministre est en droit d’attendre des chefs qui ont l’honneur de détenir l’autorité en temps de guerre.
Si le COSMAO avait appareillé dans la journée du 4 Novembre il aurait pu, sinon empêcher la perte du bâtiment, tout au moins sauver de nombreuses et précieuses existences. Ce n’est pas sans raison que l’opinion publique, à Oran, s’est émue de l’inaction de ce bâtiment et reporte sur la Marine une part des responsabilités dans les conséquences du torpillage de LE CALVADOS.
L’envoi sur les lieux du SAINT JOSEPH, bâtiment de trop faible échantillon et sans vitesse, parti sans ordres définis, ne pouvait donner au Gouverneur d’Oran l’impression d’un commandement agissant avec vigueur et décision.
Je vous prie d’infliger un blâme au capitaine de frégate Millault, chef du service de renseignements et commandant du centre des flottilles. Il appartenait à cet officier supérieur de vous tenir au courant de l’attaque du MERCIAN et de la prochaine arrivée de LE CALVADOS et de rappeler à votre attention la disponibilité du COSMAO qu’il ne pouvait ignorer. Sa fonction lui faisait un devoir de connaître l’état de ce bâtiment. Il est d’ailleurs resté en relation constante avec le commandant du COSMAO le jour même du naufrage. La responsabilité du commandant Millault n’est pas douteuse car il a fait preuve d’une négligence et d’un manque de jugement incompatibles avec sa fonction. Je vous prie donc de procéder immédiatement à son remplacement.
J’inflige également un blâme au commandant du COSMAO qui a fait preuve d’une inertie et d’un manque d’initiative regrettables.
Conclusion
Dans les archives, on ne trouve pas trace d'embarcations étant parvenues à la côte ou récupérées par un navire (comme le cargo belge WOLHANDEL, cité dans un post précédent). Je me demande donc si en fait, tous les rescapés n'ont pas été retrouvés par le LADY PLYMOUTH.
Voici un cliché de ce navire alors qu'il était devenu ST QUENTIN en 1927 pour l'armement St Quentin & Co de Newport. Devenu le Japonais TAIZAN MARU en 1941, il fit naufrage le 11 Novembre 1944.
Cdlt