Bonjour à tous,
L’engagement de Banias (18 mai 1915)
• Croiseur de 3e classe D’Estrées ― alors commandé par le lieutenant de vaisseau François Marie JOURDAN de La PASSARDIÈRE ―, Registre historique de la correspondance du commandant : Service historique de la Défense, Cote SS Y 168, p. num. 43 à 45, 47, Notes n°ˢ 48, 49 et 55.).
I. ― Rapport de l’enseigne de vaisseau François René LE GUILLOUau lieutenant de vaisseau François Marie JOURDAN de La PASSARDIÈRE, commandant le croiseur de 3e classe D’Estrées (18 mai 1915).
« № 48.
Bord, Famagouste, 18 mai 1915.
L’Enseigne de vaisseau de 1re classe Le Guillou F. R.
à Monsieur le Lieutenant de vaisseau, Commandant le D’Estrées
Commandant,
Je vous rends compte des faits suivants qui se sont passés hier après-midi devant le village de Banias.
J’ai quitté le bord vers midi avec le vapeur remorquant le youyou pour aller visiter une goélette turque mouillée à Banias. Monsieur l’Enseigne de vaisseau Van der Kemp m’accompagnait dans le vapeur.
Un peu avant d’arriver à la goélette, j’ai fait larguer le youyou dont je n’avais plus besoin et lui ait or-donné de prendre le large. Le vapeur a alors accosté la goélette qui se trouvait environ à trente mètres de terre. Aussitôt, de nombreux coups de feu ont été tirés sur les deux embarcations. Nous avons riposté à coups de canon de 37 et à coups de fusil en faisant arrière pour nous éloigner.
A environ deux cents mètres du rivage, nous avons rejoint le youyou et lui avons donné la remorque. J’ai appris alors que deux hommes étaient blessés dans cette embarcation.
Dès que je l’ai pu, j’ai fait accoster le youyou pour me rendre compte de l’état des blessés. J’ai trouvé le patron du youyou, le matelot gabier Lagadec, étendu dans l’embarcation inanimé, et le matelot Percelé grièvement blessé à la jambe.
Les tireurs, que j’évalue à plus de cent, étaient abrités dans des maisons et derrière des murs bordant le rivage d’une cinquantaine de mètres. Dans le nombre, nous avons distingué beaucoup de civils.
L’armement des deux embarcations a montré le plus grand sang-froid sous le feu de l’ennemi.
Signé : F. Le Guillou. »
II. ― Lettre du lieutenant de vaisseau François Marie JOURDAN de La PASSARDIÈRE au vice-amiral, commandant la 3e escadre (20 mai 1915).
« № 49.
Bord, 20 mai 1915.
Le Lieutenant de vaisseau Jourdan de la Passardière, commandant le D’Estrées
à Monsieur le Vice-amiral, commandant la 3e Escadre
Amiral,
J’ai le profond regret d’avoir à porter à votre connaissance la mort du gabier breveté Lagadec Henri Émile, n° 10.943 – Douarnenez, tué glorieusement à l’ennemi le 18 mai 1915 devant la petite ville de Ba-nias.
Le rapport de Monsieur l’Enseigne de vaisseau Le Guillou que je joins à ma lettre et mon rapport d’o-pérations vous donneront tous les détails sur cette action au cours de laquelle l’aide canonnier Percelé Clet Yves, n° 6.982 – Audierne, a été également grièvement blessé d’une balle qui lui a brisé la jambe.
A la fin de son rapport, M. Le Guillou dit : " L’armement des embarcations a gardé le plus grand sang-froid sous le feu de l’ennemi."
Mais il m’appartient, et ce m’est une grande satisfaction, de vous signaler d’une façon plus complète la belle conduite du personnel du D’Estrées.
M. Le Guillou, Enseigne de vaisseau de 1re classe, qui était chef de l’expédition, s’est déjà signalé lors de l’affaire des Piliers de Jonas. Brave et plein de sang-froid, il a fait de nouveau preuve d’une grande pré-sence d’esprit et a donné à tous le plus bel exemple. En regagnant le bord, il a donné les premiers soins à ce malheureux Lagadec et c’est avec un calme absolu qu’il m’a rendu compte des événements.
M. Van der Kemp, Enseigne de réserve de 1re classe, a fait preuve des mêmes et belles qualités que M. Le Guillou. Cet officier d’un entrain remarquable, d’un jugement très éclairé, a déjà rendu de grands ser-vices depuis le début de la guerre. Une heure après l’action, alors que je lui avais confié momentanément une prise, il a par sa manœuvre habile capturé un autre petit bâtiment ottoman.
Ces deux officiers sont des modestes. " Nous n’avons fait que notre devoir ", m’ont-ils répondu. Oui mais ils l’ont fait de façon calme et intelligente et ont évité des pertes cruelles.
Je vous signale, Amiral, la belle tenue au feu de tous les hommes dont les noms suivent mais plus parti-culièrement celle des hommes du youyou qui a paru spécialement visé.
Une mention toute particulière est due au matelot Percelé. Bien que grièvement blessé et étendu dans le fond de l’embarcation, il a jusqu’à l’arrivée à bord bouché avec la main le trou fait par une balle dans le fond du youyou. En outre, alors que M. Le Guillou voulait s’occuper de lui, il lui a répondu qu’il valait mieux s’occuper de son camarade Lagadec qui était plus malade que lui.
― M.M. Le Guillou, Enseigne de vaisseau de 1re classe.
Van der Kemp, ................. d° ......................
ARMEMENT
Armement du vapeur
― Salmon Auguste, Quartier-maître de manœuvre.
― Bervas Jean-Marie, Timonier breveté.
― Plantié Abel, Canonnier breveté.
― Prigent François, Matelot sans spécialité.
― Josse Augustin, ............. d°.............. .
― Le Gall Goulven, Quartier-maître mécanicien.
― Le Meur Gabriel, Chauffeur breveté.
Armement du youyou
― Lagadec Henri, Gabier breveté, patron.
― Percelé Clet, Matelot aide-canonnier.
― Miliner Gabriel, Aide-fusilier.
― Riou Casimir, ....... d°....... .
Nombre de ces hommes avaient déjà fait partie d’expéditions semblables.
En terminant, Amiral, je dois attirer votre attention sur deux points :
1° ― Les Turcs emploient des balles dum-dum ou dum-dumisées ; j’en ai recueilli dans les embarcations.
2° ― Nous avons constaté que les civils turcs sont armés. Un prisonnier nous a confirmé que, dans la ré-gion de Latakié, tous les fusils Martini confisqués aux Druses il y a 3 ou 4 ans avaient été répartis dans la population civile.
Les nombreux civils que l’on apercevait sur la plage et sur lesquels je me suis efforcé de ne pas tirer étaient donc armés. Si je l’avais su en temps utile, j’aurais immédiatement bombardé au lieu de leur lais-ser le temps de s’enfuir.
Signé :
Jourdan de la Passardière. »
III. ― Note du lieutenant de vaisseau François Marie JOURDAN de La PASSARDIÈRE au vice-amiral, commandant la 3e escadre (25 mai 1915).
« № 55.
Bord, Port-Saïd, 25 mai 1915.
Le Lieutenant de vaisseau Jourdan de la Passardière, commandant le D’Estrées
à Monsieur le Vice-amiral, commandant la 3e Escadre
Amiral,
Comme suite à ma lettre n° 49 relative à l’engagement de Banias, j’ai l’honneur de vous demander de bien vouloir accueillir favorablement la présente demande de récompense pour le personnel qui s’est dis-tingué dans cette action.
1°― Citation à l’ordre de l’Escadre de M.M. Le Guillou, Van der Kemp, et du personnel dont le nom suit :
― Salmon Auguste, Quartier-maître de manœuvre ;
― Bervas Jean-Marie, Timonier breveté ;
― Plantié Abel, Canonnier breveté ;
― Prigent François, Matelot sans spécialité ;
― Josse Augustin, ............. d°............... ;
― Le Gall Goulven, Quartier-maître mécanicien ;
― Le Meur Gabriel, Chauffeur breveté ;
― Lagadec Henri, Gabier breveté, patron ;
― Percelé Clet, Matelot aide-canonnier ;
― Miliner Gabriel, Aide-fusilier ;
― Riou Casimir, ....... d°........ .
2°― Citation à l’ordre de l’Armée du gabier Lagadec, mort glorieusement, du matelot sans spécialité Percelé, grièvement blessé, et de M.M. les Enseignes de vaisseau Le Guillou et Van der Kemp qui ont fait preuve des plus belles qualités d’initiative, de sang-froid et de courage.
Je rappellerai que c’est la seconde fois que M. Le Guillou se signale.
Signé : Jourdan de la Passardière. »