Re: WALDECK-ROUSSEAU - Croiseur & sujet sur les mutineries
Publié : mer. nov. 04, 2009 12:17 pm
(suite)
Le rétablissement du courrier a permis aux matelots de prendre connaissance des interpellations des parlementaires socialistes condamnant une guerre non déclarée, illégale et contraire à la constitution. Cette action extérieure s'est exercée sur la masse des équipages par l'intermédiaire de cellules révolutionnaires constituées, de plus ou moins longue date, sur nombre de grands bâtiments. Leur existence est certaine à bord de la France et du Waldeck-Rousseau. Elle ne peut guère être mise en doute sur le Jean Bart, la Justice, le Vergniaud ou le Mirabeau, ne serait-ce qu'en raison de l'apparition « spontanée » de délégués aux opinions politiques nettement tranchées.
Ces hommes issus des milieux ouvriers, ayant l'expérience des luttes sociales, connaissent les techniques revendicatives. Ils associent les revendications de style économique : discipline, permissions, démobilisation, à forte résonnance collective, aux revendications de style politique. S'ils ne se sont pas bornés au rôle de conciliation que certains ont cru devoir souligner, il n'en reste pas moins que ces meneurs ont fait preuve de modération et ont su canaliser le mouvement.
Ils se sont efforcés d'éviter un affrontement et ont su résister aux sollicitations des exaltés désireux de pousser les choses à l'extrême et de provoquer l'irréparable. A plusieurs reprises, sur la France, tout au moins, certains n'affirment-ils pas : « nous sommes dans l'engrenage. Il faut aller jusqu'au bout, sinon nous serons massacrés à notre arrivée en France. Dans la Marine russe et allemande, on a tué les officiers et ensuite on a été les maîtres. Il n'y a qu'à faire comme eux... Foutons à l'eau les officiers, nous n'avons pas besoin d'eux pour naviguer ». Menace qui n'avait rien de formel, puisque nombre de mutins possédaient des armes, couteaux à cran d'arrêt et surtout révolvers, qu'ils s'étaient procurés en ville.
Le refus des meneurs de recourir aux extrêmes peut s'expliquer par le fait qu'un succès, en cas d'affrontement, n'avait rien d'assuré. C'est ainsi qu'à l'arrière de la France les officiers avaient constitué un réduit et on pouvait redouter l'intervention de compagnies de Sénégalais. Le problème de la navigation pouvait encore se poser, sans oublier, toutefois qu'à bord du Potemkine, par exemple, les mutins avaient épargné un enseigne et c'est cet officier, qui, sous la menace, avait assuré la conduite du bâtiment. Cependant, le véritable motif n'est pas là. Un indiscutable idéalisme anime la plupart des meneurs qui tiennent à conserver à leur mouvement un caractère propre et qui ne considèrent pas la violence comme l'élément clé de toute action révolutionnaire, Ils ne considèrent nullement, contrairement à ce qui semble s'être passé en Russie et en Allemagne, les officiers comme les représentants d'un système politique et social exécré. Ils tentent même parfois de les rallier à leur point de vue. Ils sont convaincus que les techniques éprouvées de la lutte sociale, en un mot la grève, suffiront à faire triompher leurs revendications, d'autant plus que, pour la plupart d'entre eux, celles-ci se limitent au retour en France. L'évènement finit, en tout cas, par leur donner raison.
Cette constatation n'épuise pas le sujet et on est tenté de se poser quelques questions. A l'origine du mouvement, n'y aurait-il pas eu des incitations d'origine française, émanant des formations politiques ou syndicales ? Pour le moment, il n'est pas encore possible de répondre à cette question. On ne peut que se limiter à certains faits troublants. Les mutins du Waldeck-Rousseau sont en relations étroites avec des camarades qui militent en France en faveur de la non-intervention et de la subversion. A bord des bâtiments de la 2e escadre, avec le rétablissement du courrier, c'est par ballots entiers ou sous plis cachetés adressés à certains hommes que sont arrivés les extraits de presse et du Journal officiel concernant les réactions de la gauche à la politique française en Russie.
On peut encore se demander si la révolte avait uniquement pour but de mettre fin à l'intervention et d'obtenir l'évacuation de la mer Noire ? Certains n'envisageaient-ils pas d'aller plus loin ? Ne voulaient-ils pas s'assurer du contrôle de la flotte et l'utiliser dans un vaste mouvement révolutionnaire ? A la lumière des témoignages de plusieurs matelots de la France, cette hypothèse ne peut être écartée. Certains meneurs tenaient, en effet, à amener, pour le 1er mai, les bâtiments battant pavillon rouge devant Toulon et Marseille et conjuguer leur mouvement avec la vague de grèves qui sévissait dans le midi de la France et dont ils s'exagéraient l'importance. Les équipages auraient joué ainsi le rôle d'avant-garde révolutionnaire comme les marins russes de 1917 ou les matelots autrichiens et allemands en 1918.
Un objectif de cet ordre répondait aux intentions de certains milieux d'extrême gauche de la métropole et à la propagande du groupe communiste français. Avant le déclenchement des mutineries, des tracts invitaient les marins à manifester avec les travailleurs russes. « Camarades, écrit Jacques Sadoul, le 1er mai, vous vous mêlerez dans une manifestation commune avec vos amis, avec vos frères de misère et d'espérance, avec les ouvriers et les paysans socialistes de la Russie et de l'Ukraine.
Que votre démonstration grandiose fasse comprendre au grand peuple russe révolutionnaire, que notre bourgeoisie veut écraser, qu'il n'a rien à craindre du généreux prolétariat français, qu'elle fasse comprendre à tous ceux qui se sont enrichis de vos souffrances et engraissés de votre sang, à nos généraux, à nos amiraux, à nos ministres, à tous les valets du capital, que l'heure du règlement de comptes a sonnée, que les esclaves vont secouer leurs chaînes, qu'on ne vous bourrera plus le crâne, que vous ne marcherez plus que vers un seul but, l'affranchissement total et immédiat des travailleurs, et que pour atteindre ce but vous emploierez le seul moyen efficace, le moyen révolutionnaire.
Camarades : vous êtes le nombre, vous êtes la force, vous êtes le Droit et la Justice.
Osez seulement et vous pourrez tout.
Vive la flotte et l'armée révolutionnaire de la France rouge. Vive la Révolution internationale ».
(à suivre)
Le rétablissement du courrier a permis aux matelots de prendre connaissance des interpellations des parlementaires socialistes condamnant une guerre non déclarée, illégale et contraire à la constitution. Cette action extérieure s'est exercée sur la masse des équipages par l'intermédiaire de cellules révolutionnaires constituées, de plus ou moins longue date, sur nombre de grands bâtiments. Leur existence est certaine à bord de la France et du Waldeck-Rousseau. Elle ne peut guère être mise en doute sur le Jean Bart, la Justice, le Vergniaud ou le Mirabeau, ne serait-ce qu'en raison de l'apparition « spontanée » de délégués aux opinions politiques nettement tranchées.
Ces hommes issus des milieux ouvriers, ayant l'expérience des luttes sociales, connaissent les techniques revendicatives. Ils associent les revendications de style économique : discipline, permissions, démobilisation, à forte résonnance collective, aux revendications de style politique. S'ils ne se sont pas bornés au rôle de conciliation que certains ont cru devoir souligner, il n'en reste pas moins que ces meneurs ont fait preuve de modération et ont su canaliser le mouvement.
Ils se sont efforcés d'éviter un affrontement et ont su résister aux sollicitations des exaltés désireux de pousser les choses à l'extrême et de provoquer l'irréparable. A plusieurs reprises, sur la France, tout au moins, certains n'affirment-ils pas : « nous sommes dans l'engrenage. Il faut aller jusqu'au bout, sinon nous serons massacrés à notre arrivée en France. Dans la Marine russe et allemande, on a tué les officiers et ensuite on a été les maîtres. Il n'y a qu'à faire comme eux... Foutons à l'eau les officiers, nous n'avons pas besoin d'eux pour naviguer ». Menace qui n'avait rien de formel, puisque nombre de mutins possédaient des armes, couteaux à cran d'arrêt et surtout révolvers, qu'ils s'étaient procurés en ville.
Le refus des meneurs de recourir aux extrêmes peut s'expliquer par le fait qu'un succès, en cas d'affrontement, n'avait rien d'assuré. C'est ainsi qu'à l'arrière de la France les officiers avaient constitué un réduit et on pouvait redouter l'intervention de compagnies de Sénégalais. Le problème de la navigation pouvait encore se poser, sans oublier, toutefois qu'à bord du Potemkine, par exemple, les mutins avaient épargné un enseigne et c'est cet officier, qui, sous la menace, avait assuré la conduite du bâtiment. Cependant, le véritable motif n'est pas là. Un indiscutable idéalisme anime la plupart des meneurs qui tiennent à conserver à leur mouvement un caractère propre et qui ne considèrent pas la violence comme l'élément clé de toute action révolutionnaire, Ils ne considèrent nullement, contrairement à ce qui semble s'être passé en Russie et en Allemagne, les officiers comme les représentants d'un système politique et social exécré. Ils tentent même parfois de les rallier à leur point de vue. Ils sont convaincus que les techniques éprouvées de la lutte sociale, en un mot la grève, suffiront à faire triompher leurs revendications, d'autant plus que, pour la plupart d'entre eux, celles-ci se limitent au retour en France. L'évènement finit, en tout cas, par leur donner raison.
Cette constatation n'épuise pas le sujet et on est tenté de se poser quelques questions. A l'origine du mouvement, n'y aurait-il pas eu des incitations d'origine française, émanant des formations politiques ou syndicales ? Pour le moment, il n'est pas encore possible de répondre à cette question. On ne peut que se limiter à certains faits troublants. Les mutins du Waldeck-Rousseau sont en relations étroites avec des camarades qui militent en France en faveur de la non-intervention et de la subversion. A bord des bâtiments de la 2e escadre, avec le rétablissement du courrier, c'est par ballots entiers ou sous plis cachetés adressés à certains hommes que sont arrivés les extraits de presse et du Journal officiel concernant les réactions de la gauche à la politique française en Russie.
On peut encore se demander si la révolte avait uniquement pour but de mettre fin à l'intervention et d'obtenir l'évacuation de la mer Noire ? Certains n'envisageaient-ils pas d'aller plus loin ? Ne voulaient-ils pas s'assurer du contrôle de la flotte et l'utiliser dans un vaste mouvement révolutionnaire ? A la lumière des témoignages de plusieurs matelots de la France, cette hypothèse ne peut être écartée. Certains meneurs tenaient, en effet, à amener, pour le 1er mai, les bâtiments battant pavillon rouge devant Toulon et Marseille et conjuguer leur mouvement avec la vague de grèves qui sévissait dans le midi de la France et dont ils s'exagéraient l'importance. Les équipages auraient joué ainsi le rôle d'avant-garde révolutionnaire comme les marins russes de 1917 ou les matelots autrichiens et allemands en 1918.
Un objectif de cet ordre répondait aux intentions de certains milieux d'extrême gauche de la métropole et à la propagande du groupe communiste français. Avant le déclenchement des mutineries, des tracts invitaient les marins à manifester avec les travailleurs russes. « Camarades, écrit Jacques Sadoul, le 1er mai, vous vous mêlerez dans une manifestation commune avec vos amis, avec vos frères de misère et d'espérance, avec les ouvriers et les paysans socialistes de la Russie et de l'Ukraine.
Que votre démonstration grandiose fasse comprendre au grand peuple russe révolutionnaire, que notre bourgeoisie veut écraser, qu'il n'a rien à craindre du généreux prolétariat français, qu'elle fasse comprendre à tous ceux qui se sont enrichis de vos souffrances et engraissés de votre sang, à nos généraux, à nos amiraux, à nos ministres, à tous les valets du capital, que l'heure du règlement de comptes a sonnée, que les esclaves vont secouer leurs chaînes, qu'on ne vous bourrera plus le crâne, que vous ne marcherez plus que vers un seul but, l'affranchissement total et immédiat des travailleurs, et que pour atteindre ce but vous emploierez le seul moyen efficace, le moyen révolutionnaire.
Camarades : vous êtes le nombre, vous êtes la force, vous êtes le Droit et la Justice.
Osez seulement et vous pourrez tout.
Vive la flotte et l'armée révolutionnaire de la France rouge. Vive la Révolution internationale ».
(à suivre)