Bonjour à tous,
VILLE DE BORDEAUX
4857 tx JB
Armé de 2 canons de 90 mm sur affût 1916
2 Verdier et 10 Berger
Cargaison : 4500 t de sucre, 150 t de graphite, 220 t de viande frigorifiée et saindoux. En tout 5800 tonnes.
Rapport du capitaine MASSON
Le 18 Janvier 1918 à 11h25 par 40°28 N et 06°44 E, nous venions de terminer notre embardée de 30° sur la gauche et étions depuis 2 minutes au cap N18W quand Rouault, matelot de veille sur la passerelle basse bâbord a crié : « 90, une torpille » ! Monsieur Maccario, officier de quart l’a aussitôt vue et a fait mettre la barre toute à gauche. Mais la torpille n’était qu’à 40 m et l’évolution n’était même pas marquée quand l’explosif a heurté la coque par le travers bâbord, à hauteur de la cale soute.
J’étais sur l’échelle conduisant à la passerelle haute et j’ai été projeté par le choc et j’ai vu voler en l’air les panneaux de la cale et le poste TSF lancé sur tribord. Le pont, à toucher la cloison du fumoir sur l’arrière, était ouvert dans toute sa largeur avec une fente de 0,50 m. Je monte sur la passerelle et crie d’évacuer. Je veux faire jouer le télégraphe de la machine, mais il ne fonctionne plus. Chacun est à son poste et je vois les engins de sauvetage manœuvrés pour être mis à la mer.
Je quitte la passerelle, prends les papiers confidentiels qui sont dans une serviette plombée et les immerge. Je les vois couler et puis affirmer qu’ils sont irrémédiablement perdus. Je me rends sur le pont et voit avec quelle rapidité le navire s’enfonce. Je stimule les hésitants, exhorte et encourage les autres. Mon devoir est facile car équipage et passagers, tous marins, sont sublimes de calme et de sang froid. C’est la raison pour laquelle en trois minutes, tout le monde est sur les radeaux ou dans les embarcations.
Certain qu’il ne restait personne à bord, car j’avais dû brusquer le Lieutenant de Vaisseau Baule pour qu’il embarque dans la baleinière bâbord, je les vois s’éloigner et gagne, satisfait de voir tout mon monde en principe sauvé, mon poste dans la baleinière tribord. L’eau commençait à frisotter sous mes pieds et je n’ai eu qu’à enjamber la lisse pour embarquer. Nous restons avec nos avirons sur le bord du remous, et ne voyons plus que deux hommes à se débattre (dont le TSF Copie) et des épaves. Notre embarcation sauve ces deux hommes complètement épuisés à lutter contre le remous. Scrutant les débris, un sentiment d’effroi se généralise car nous voyons qu’une embarcation manque. Je ne sais que penser puisque j’ai vu toutes les embarcations déborder.
Les embarcations légères, commandées par le 1er lieutenant et le maître d’équipage, devaient sauver les hommes tombés à la mer. Celle du lieutenant a rempli magnifiquement sa consigne, recueillant 4 hommes soutenus seulement par leur ceinture de sauvetage. Ces hommes doivent la vie à la bonne conduite de l’embarcation et à la vigueur qu’ont déployée le matelot Rouault et le restaurateur Puyo.
Il n’y a plus que des épaves sur l’eau et nous sommes convaincus qu’il n’y a plus de sauvetage à faire. Envieux, nous regardons l’AUGUSTE LEBLOND tenter de nous venger, mais n’ayant rien vu, ne pouvons donner aucune indication. Le commandant fonce dans le sillage de la torpille et lance trois grenades. Il sait que nous comptons sur lui, mais que nous pouvons attendre. Il fait à grande distance le tour des épaves et, malheureux de son impuissance, il vient nous recueillir en commençant par les radeaux et en terminant par les baleinières. Les manœuvres sont impeccables et nous sommes délicieusement accueillis et abrités.
Le capitaine termine en revenant assez longuement sur le jet à la mer des papiers secrets et en remerciant, en termes d’ailleurs particulièrement grandiloquents l’équipage de l’AUGUSTE LEBLOND. Toutefois, la commission d’enquête va lui demander des précisions sur le fonctionnement de ses machines et il ajoute un complément à son rapport le lendemain.
Le 13 Décembre, j’avais quitté le chenal de Port Saïd en convoi avec OTTO FRECHMANN, escorté par ASPIRANT HERBERT. Je suis arrivé le 14 à Alexandrie et y suis resté 4 jours avant d’appareiller le 19 en convoi dirigé par ASPHODEL, pour Bizerte
Le 22 à 02h00 la machine a stoppé et le chef mécanicien a donné pour raison que les pompes alimentaires avaient désamorcé. A partir de ce moment, nous n’avons plus marché du tout, faisant une moyenne de 2,5 nœuds. Le 25, j’ai signalé à un chalutier resté pour m’escorter que j’allais relâcher à Marsa Scirocco et que nous ne pouvions penser aux zigzags, le navire ne gouvernant pas.
Le 26 à 08h00, j’ai mouillé à Marsa Scirocco et j’ai rendu compte aux commandants Benoist d’Azy et Brossard que mon chef mécanicien aurait fini les réparations le 1er Janvier. Ces réparations consistaient en un nettoyage à fond des chaudières.
Le 4 Janvier, j’ai appareillé à 13h00 pour Bizerte en convoi avec BAYONNAISE et OGONO, 2 anglais, et 4 chalutiers en escorte dont LEMBERG et ROBINES. Jusqu’à Pantellaria, la vitesse, bonne au début, est tombée peu à peu. Le 6, en arrivant à Sidi Abdallah, nous ne donnions plus qu’1,5 nœud.
J’ai rendu compte à l’Amiral de l’état de mes chaudières et les ai fait visiter par un mécanicien principal. Il a trouvé la chaudière milieu entièrement bouchée par le sel, fait étonnant car nous ne marchons qu’à l’eau douce. Le chef mécanicien m’a assuré pouvoir faire les réparations et je lui ai laissé le temps voulu, lui recommandant de faire un travail méticuleux.
Nous avons appareillé le 16 Janvier en convoi avec LA GAULE et le grec PANDIA A. RALLI, escortés par AUGUSTE LEBLOND et, dès le 17, même répétition que pendant la traversée précédente. Nous ne pouvions plus avoir de pression et la vitesse tombait à 6 nœuds. Le 18 en fin de quart, à 11h25, nous atteignions péniblement 5 nœuds.
La commission d’enquête va aussi demander au capitaine : « Vous dites que vous avez dû brusquer le Lieutenant de Vaisseau Baule pour le faire embarquer. Qu’entendez-vous par là ? »
C’est le LV Baule qui, après avoir fait embarquer tout le personnel de l’embarcation bâbord est resté sur le pont et m’a suivi. Je lui ai dit : « Capitaine, vous êtes passager, embarquez immédiatement car je ne vous laisserai pas l’honneur de partir le dernier. » Il a embarqué et l’embarcation a débordé. Comment a-t-elle chaviré par la suite ? Je ne me l’explique pas.
Elle lui demande aussi : « Avez-vous la sensation que votre service de veille était bien fait ? Aviez-vous les jumelles de veille délivrées par l’AMBC pour la vigie du nid de pie ? »
Non. J’ignorais complètement que les services d’AMBC délivraient des jumelles de veille comme celles que j’avais données au veilleur. Mais elles étaient tombées à deux reprises du nid de pie et étaient inutilisables. Je n’en avais plus pour les remplacer.
Déposition du 1er lieutenant Jean CARRE (CLC)
Je déjeunais quand j’ai ressenti l’effet de l’explosion de la torpille. Je suis sorti du carré et suis allé prendre mes papiers dans la cabine. En sortant dans la coursive, le bâtiment était incliné sur bâbord et j’avais de l’eau aux genoux. Je suis allé à mon poste qui était la baleinière tribord arrière. Je l’ai faite mettre à la mer. Ma consigne était : mettre une embarcation légère à la mer pour sauver les hommes qui, en cas de panique, pourraient se jeter à l’eau. Le navire avait une certaine vitesse et j’ai du faire souquer sur les avirons pour le rejoindre.
En plus de l’armement de 7 hommes, j’ai recueilli 2 hommes en train de se noyer, dont le QM électricien Objois. Quand j’ai rejoint le bord, l’avant était immergé et le bâtiment s’est nettement couché sur bâbord.
La baleinière de bâbord avait été rejetée par le remous au milieu du navire, juste au dessus du panneau 3. Dans cette baleinière, les hommes étaient debout et appelaient au secours. Deux hommes tentaient de la déborder avec l’aide d’avirons, le télégraphiste Copie et le second maître timonier Taraud. J’ai lutté en vain contre le remous pour m’approcher et leur porter secours. Mais le navire s’est englouti, entraînant l’embarcation. Elle a piqué du nez, pivoté deux ou trois fois sur elle-même et disparu. Je n’ai pu sauver que le matelot Leroy, le mousse Marcel Teissere et deux matelots permissionnaires qui s’étaient jetés à l’eau avant que le canot ne disparaisse.
Vu la position du canot par rapport au panneau de la machine, j’estime que la plupart des personnes qui s’y trouvaient ont été entraînées par le remous à hauteur de la claire-voie et précipitées dans le compartiment machine quand il a été envahi. Je pense que si Monsieur le Lieutenant de Vaisseau Baule avait voulu se jeter à la mer, il se serait sauvé. Mais cet officier, qui avait donné la preuve du plus grand sang froid au moment de l’embarquement dans les canots et que le commandant avait même été obligé de faire embarquer, a craint de donner un mauvais exemple et de créer une panique. Il a disparu, victime de son devoir.
Après être resté un moment sur les lieux pour voir s’il n’y avait plus personne à sauver, j’ai été recueilli par le chalutier AUGUSTE LEBLOND. L’évacuation s’était effectuée dans l’ordre le plus parfait. Deux minutes après en avoir reçu l’ordre, tout le monde était dans les canots.
Q. Etiez-vous chargé du tir et de l’organisation défensive ?
Oui. J’avais suivi une cession d’instruction au centre AMBC de Toulon en Juillet et Août. L’école à feu exécutée sur VILLE DE BORDEAUX le 1er Août comptait pour l’obtention de mon brevet d’officier de tir.
Q. Pourquoi n’aviez-vous pas de jumelles de veille haute à bord ?
Le capitaine avait donnée une paire de jumelles pour la veille haute. Elle s’était brisée en tombant du nid de pie dans la traversée Toulon - Salonique. A bord, on n’en avait pas un nombre suffisant pour en mettre une autre à la disposition du veilleur. Pendant le cours de Toulon, je n’ai jamais entendu que la Marine mettait des jumelles à la disposition des bâtiments du commerce. Je n’ai appris cela qu’à Bizerte quand le service d’inspection me les a réclamées. Or Bizerte n’en possédait pas et m’a prié d’en demander dès mon arrivée à Marseille.
Q. Comment était organisée la veille ?
1 veilleur au nid de pie, 1 canonnier à chaque pièce, 1 homme sur la passerelle haute et 1 homme sur la passerelle basse. De plus, nous avions des matelots permissionnaires qui ont complété la veille à 4 hommes sur la passerelle basse, 1 à chaque angle.
Q. Le rôle de veille avait-il été organisé par l’AMBC ?
Non. J’ignorais d’ailleurs totalement cette organisation par l’AMBC. C’est le commandant de l’AUGUSTE LEBLOND qui m’a parlé après le torpillage de cette organisation à bord des bâtiments de commerce avec veille haute, basse, éloignée et rapprochée. Le rôle du bord avait été établi par le commandant.
Q. Quelle était la situation du bâtiment au point de vue machine ?
Dès le départ de Toulon, la marche était inférieure à la marche normale. Le mécanicien attribuait cela au mauvais état du condenseur qui ne faisait plus de vide. Nous avons fait Toulon – La Réunion à 7 nœuds. Je n’ai pas entendu parler de visite du condenseur pendant le séjour là-bas.
De La Réunion à Port Saïd, nous avons fait la traversée à 6 nœuds et le mécanicien attribuait cela à la mauvaise qualité du charbon. A Port Saïd, j’ai entendu parler d’un ramonage des chaudières. Nous sommes allés à 7,5 nœuds jusqu’à Alexandrie. Là, nouveau ramonage.
Après 7 jours à Alexandrie, nous sommes partis en convoi, mais ne donnions que 6,5 nœuds.
Au bout d’une journée, nous avons eu un stoppage et le commandant est alors descendu dans la machine. Il a vu le mécanicien occupé à réparer l’avarie et on lui a dit que c’était un désamorçage de pompe. Mais la vitesse a diminué de jour en jour sans que nous puissions en connaître la raison et en arrivant à Malte nous ne faisions plus que 1,5 nœud.
A Malte, pendant 5 jours les mécaniciens se sont occupés des chaudières, et quand nous sommes partis nous marchions 6 nœuds. Mais arrivés à Pantellaria, c’était 4 nœuds, et à Bizerte, plus que 3 nœuds.
A Bizerte, nouvelle réparation des chaudières après visite d’un Mécanicien Principal de la Marine.
Quand nous avons quitté Bizerte, nous marchions 6 nœuds et dès le lendemain c’était 5 nœuds, mais je n’ai jamais pu savoir pourquoi ces variations d’allure. Les mécaniciens prétendaient ne pas pouvoir dépasser 8 kg de pression.
Déposition du 2e lieutenant Lazare MACCARIO
J’étais de quart sur la passerelle et venais de terminer l’abattée sur bâbord quand j’ai entendu crier : « Une torpille, une torpille ! » En regardant sur bâbord, j’ai aperçu le sillage venant légèrement de l’avant du travers. J’ai ordonné « Bâbord toute » par acquit de conscience, sachant que vu la faible vitesse du bâtiment (5 nœuds) nous serions atteint avant que l’évolution ait commencé.
L’explosion s’est produite, faisant giter le navire de façon considérable sur bâbord. J’ai été fortement secoué et arrosé par l’eau sortant des manches à air. Le commandant est arrivé sur la passerelle et a essayé de donner un ordre à la machine avec le télégraphe. Mais il ne fonctionnait plus. Il a donné l’ordre d’évacuation et je me suis rendu à mon poste, la baleinière tribord, qui a été amenée. L’armement a embarqué en bon ordre, et nous sommes restés le long du bord jusqu’à l’embarquement du commandant. Le bâtiment a piqué de l’avant et coulé, et je n’ai rien vu de ce qui se passait dans les autres embarcations.
Q. Quel était la situation du navire au point de vue machine ?
Depuis longtemps, le bâtiment ne marchait plus du tout. Les mécaniciens attribuaient cela au condenseur et aux chaudières.
Déposition du télégraphiste Julien COPIE
Dès que l’explosion s’est produite, j’ai essayé d’envoyer un « Allo », ce qui a été impossible. La dynamo avait stoppé et la grande antenne était tombée à cheval sur les petites. Les accumulateurs du poste de secours étaient chavirés. Par suite, grand et petit poste étaient inutilisables. J’ai rendu compte au commandant qui m’a ordonné d’embarquer dans la baleinière bâbord. Quand tout l’armement y eut pris place, le Lieutenant de Vaisseau Baule, qui m’avait demandé si j’avais fait les signaux de détresse, a embarqué le dernier et le commandant a donné l’ordre de pousser. Mais, à cause du remous, nous sommes restés collés le long du bord. Nous avons essayé de déborder en vain avec gaffes et avirons. L’eau est alors arrivée au niveau du pont. L’embarcation est passée par-dessus la lisse, est venue se coller sous les mâts de charge, s’est mâtée sur l’arrière, puis a chaviré par tribord.
J’ai été projeté à la mer et entraîné par les remous à plusieurs reprises. Je suis revenu à la surface, soutenu par ma ceinture de sauvetage et un caillebotis que j’avais pu saisir. Revenu complètement en surface, j’ai été recueilli par la baleinière du commandant.
Rapport de l’officier AMBC
L’officier s’étend assez longuement sur la veille, reprenant la disposition des divers marins. La vigie du nid de pie disposait d’un mégaphone, les veilleurs de la dunette d’un sifflet et ceux du gaillard d’une cloche. Il y avait une paire de jumelles sur chaque passerelle, mais pas dans le nid de pie. Le veilleur avait laissé tomber ses jumelles pendant le voyage entre Toulon et Salonique et on n’avait pu les remplacer, ni à bord, ni ensuite à Bizerte. Bizerte avait prescrit à l’officier de tir d’en commander une paire à Marseille.
Il conclut que l’intérêt d’une veille serrée et attentive était d’autant plus évident que le navire était mauvais marcheur. Les veilleurs n’avaient pas d’instructions assez précises quand à la distance de veille et aux indications à donner à l’officier de quart. Il est bien sûr regrettable que la vigie du nid de pie n’ait pas eu constamment des jumelles.
Rapport de la commission d’enquête
La commission reprend longuement l’exposé des faits tels que rapportés par les témoins et ajoute :
La commission doit devoir signaler la bonne attitude de l’équipage et des passagers et appeler tout spécialement l’attention de l’Autorité supérieure sur la conduite :
- De Monsieur le Lieutenant de Vaisseau Baule, mort victime de son esprit de devoir ; qui a refusé de quitter le bord avant de s’assurer que tout le monde était parti, s’est occupé auprès du TSF de savoir si les signaux réglementaires avaient été faits et ne s’est embarqué qu’après en avoir reçu l’ordre du capitaine qui tenait à quitter son bâtiment le dernier
- Du capitaine Masson qui avait pris toutes les dispositions pour évacuer rapidement son bâtiment en cas de torpillage et pour maintenir l’ordre et la discipline, ce qui a permis de faire embarquer équipage et passagers en moins de 4 minutes dans les canots avant que le bateau ne disparaisse
- Du 1er lieutenant Carré qui a pu, grâce à la direction habile de son embarcation, sauver 4 hommes de la baleinière qui avait été entraînée
- Du matelot Rouault et du restaurateur Puyo qui, par l’aide efficace qu’ils ont prêtée à leur lieutenant, ont coopéré au sauvetage de ces 4 hommes.
Mais la commission a été frappée, pendant tout l’interrogatoire des rescapés de VILLE DE BORDEAUX, par les renseignements donnés au sujet de la marche de ce bateau.
Au départ des ports, le commandant était prévenu par son chef mécanicien que tout était pour le mieux dans la machine. Ce bâtiment, dont la vitesse normale est 9 nœuds, commençait ses traversées à 7 ou 8 nœuds. Le lendemain, ce n’était plus que 6 nœuds, puis 5 nœuds, et la vitesse est même descendue jusqu’à 1,5 nœud, le bâtiment gouvernant à peine.
La commission a jugé qu’il était de son devoir d’éclaircir cette question et elle a poussé autant qu’elle a pu l’interrogatoire du chef mécanicien.
D’après cet officier, la compagnie avait été prévenue depuis 2 ans environ que le condenseur avait besoin d’être visité et rien n’avait été fait. Le vide se maintenait à 50, au lieu de 60 à 62 en marche normale. Si cette réduction de vide explique une diminution de vitesse, elle ne peut servir d’excuse à une diminution aussi rapide entre le jour du départ et les jours suivants.
Le chef mécanicien se plaint alors de la mauvaise qualité du charbon qui oblige à des décrassages nombreux. Cette explication peut être valable après Djibouti, où le charbon était réellement mauvais, mais ne tient plus après Bizerte où le bâtiment avait reçu du Cardiff. La commission, qui admettait à la rigueur les raisons données pour les diminutions de vitesse à l’aller et au retour jusqu’à Port Saïd, ne leur reconnait pas la même valeur pour la suite.
Elle a fini par faire avouer au chef mécanicien
- qu’au départ d’Alexandrie, alors que le capitaine croyait avoir le plein normal d’eau douce, seul le ballast machine en contenait. Les deux autres étaient pleins d’eau de mer.
- Qu’entre Port Saïd et Marsa Scirocco, on avait marché à l’eau de mer quand le bouilleur ne suffisait pas
- Qu’entre Malte et Bizerte, les chaudières étaient alimentées à l’eau de mer.
Le commandant n’a jamais été au courant de ces faits. Le chef mécanicien lui a demandé de l’eau à Marsa Scirocco. Il a répondu qu’il n’était pas possible d’en avoir, mais persuadé qu’il y avait encore suffisamment d’eau douce dans les ballasts pour aller jusqu’à Bizerte. Jamais il n’avait refusé de signer les bons présentés par le chef mécanicien. S’il avait connu la situation, il se serait fait remorqué à La Valette par deux remorqueurs que lui avait proposés l’Amirauté, au lieu d’entreprendre une traversée avec des chaudières alimentées à l’eau de mer.
Il était persuadé que tout allait être remis en état dans ses machines, et le rapport fait à Marsa Scirocco par le chef mécanicien confirme ses dires. (Copie jointe)
Il y a là une faute grave du chef mécanicien
- qui a cherché à cacher au commandant l’état de son matériel
- qui a mis de l’eau salée dans ses chaudières malgré toutes les prescriptions ministérielles et les recommandations formelles de sa compagnie
- qui a caché sa faute au Mécanicien Principal envoyé par l’Amirauté à Bizerte, en ne le prévenant pas de la façon dont il faisait le plein de ses chaudières et en voulant faire croire que les tubes étaient bouchés par de la suie
- qui par sa faute a réduit la vitesse du bâtiment, augmenté les difficultés de manœuvre et en même temps les chances de torpillage, non seulement pour lui, mais pour tout le convoi qui devait régler sa vitesse sur lui.
La commission estime qu’il ne lui appartient pas de proposer une sanction et signale le fait à l’Autorité supérieure.
Ce rapport est transmis au Ministre le 27 Janvier 1918 avec la mention suivante :
Avis absolument conforme à celui de la commission. Demande qu’une sanction très sévère soit prise à l’égard du chef mécanicien Georges Bataille, Le Havre 4977, pour la négligence grave qu’il a commise et le manque de conscience professionnelle si gros de conséquences dont il a fait preuve. Accord pour les récompenses.
Les récompenses
Citation à l’Ordre de l’Armée
BAULE Augustin Lieutenant de Vaisseau
A fait preuve d’un beau dévouement et d’un haut esprit du devoir lors du torpillage d’un navire sur lequel il était passager. A disparu avec le bâtiment.
Citation à l’Ordre du Corps d’Armée
MASSON Lucien Capitaine LV auxiliaire
Pour les qualités qu’il a déployées lors de l’évacuation de son bâtiment torpillé en appliquant les mesures qu’il avait su prendre, ainsi que pour le dévouement dont il a donné l’exemple.
Citation à l’Ordre de la Brigade
CARRE Jean 1er lieutenant
Pour l’habileté et le courage dont il a fait preuve lors du torpillage de son bâtiment en réussissant à sauver des naufragés dans des circonstances difficiles.
ROUAULT Eugène Matelot
PUYO Henri Restaurateur
Pour le courageux dévouement dont ils ont fait preuve dans des circonstances difficiles lors de l’évacuation de leur bâtiment torpillé.
Le restaurateur Puyo a déjà été torpillé sur VILLE DE MOSTAGANEM le 23 Juillet 1915 et sur OLGA le 18 Juin 1916.
Témoignage Officiel de Satisfaction
Equipage et passagers vapeur VILLE DE BORDEAUX
Pour le sang froid et la discipline dont chacun a fait preuve lors de l’évacuation de ce vapeur torpillé.
Le sous-marin attaquant
C’était donc l’U 63 du Kptlt Kurt HARTWIG.
Notons que le vapeur grec PANDIA A. PALLI, qui faisait partie du même convoi, sera finalement coulé le 16 Avril 1942 par le sous-marin U 572 lors d’une traversée New York – Bermudes.
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