Bonjour à tous
Trouvé dans une revue (merci Vincent et Laurent

), un témoignage des évenements de la nuit du 22 au 23 aout. Ce témoignage est paru dans la presse locale du Finistère en septembre octobre 1914.
L'auteur de ce témoignage pourrais être (a vérifier) le lieutenant Henri Cariou de la 5e compagnie du 118e RI.
" Le 22 aout nous eûmes l’ordre de rentrer dans Maissin à 8 heures du soir. Les hommes étaient fatigués. Les maisons brûlaient et des cadavres jonchaient le sol. A minuit nous avons une violente attaque des Allemands : ils sont repoussés à la baïonnette. On reste sur le qui-vive. Puis, on entend dans la nuit sinistre les coups de clairon et de trompe : c’est le ralliement des Prussiens. Les Français se taisent et écoutent l’oreille attentive. Le moment est impressionnant et l’attente quelque peu angoissante ; on sait que les Boches vont revenir. Ils chantent des chœurs.
A 3 heures du matin on distingue sur la grand-route menant à Maissin le bruit de pas d’une colonne en marche. Bientôt ce sont des commandements en allemand faits à haute voix. On entend des rires bruyants ; l’ennemi s’avance confiant et croyant que nous avions évacué le village où nous nous tenions cependant silencieux et cachés.
Les soldats du 118e sont prêts. Soixante d’entre eux sur trois rangs deux à genoux et un debout dissimulés dans l’ombre des maisons, barrent la grande route, prêts à tirer. Cinquante camarades sont derrière nous massés la baïonnette au canon, prêts à bondir en avant. Le silence recommandé est impressionnant… Chacun sent que quelque chose va se passer.Encore quelques minutes. Les Prussiens s’avancent toujours très bruyant ; ils sont à cinquante pas, la nuit est noire ; on ne distingue rien, on devine seulement qu’un grand nombre d’ennemis s’avancent sans se douter de ce qui les attend.
Les voici à trente pas, 25 mètres ; on aperçoit à ce moment des silhouettes noires, un paquet sombre.
Les voici à 20 mètres.
Un commandement calme et bref :- Feu à répétition !...
Un crépitement épais et prolongé déchire la nuit ; le bruit impitoyable des Lebel domine tout autre bruit durant quatre à cinq minutes.
Un deuxième commandement :- Cessez le feu !
A la pétarade de nos fusils, succèdent les hurlements de douleur. La fuite des rescapés et des blessés qui se sauvent s’entend pendant une dizaine de minutes. Puis, plus rien….Silence de mort !...
Les Français n’ont pas bougé. On entend dans nos rang la manœuvre de quelques culasses, des cartouches qui se heurtent dans les gibernes : on réapprovisionne les magasins vidés des fusils.
Quelques réflexions s’échangent à voix basse :Quel fricot on a dû faire !...Qu’ont-ils dû prendre pour leur rhume !...Ils en ont soupé pour quelques quarts d’heure !
Les chefs se concertent rapidement.On décide de mettre le secteur nord-est du village en état de défense. Tout cela a duré une demi-heure. A 3 heures 30 un capitaine apporte l’ordre de tenir à outrance. Les troupes qui occupaient le centre et le sud du village se retirent en arrière.
300 hommes environ sont autour de nous et chacun comprend qu’il faut mourir là pour que le corps d’armée effectue sa retraite en bon ordre. Des ordres sont donnés et en moins de cinq minutes tout le monde est à sa place ; la section de mitrailleuses s’installe bravement sur la grande route. La partie gauche du chemin est défendue par 150 hommes.
Je prends position avec 100 hommes environ sur la partie droite. Les soldats construisent hâtivement mais avec soin des abris individuels ; ils prévoient que la lutte va être dure.Le jour se lève à quatre heures, je descends sur la route avec un autre lieutenant qui me désigne du doigt le chemin qui s’allonge tout droit devant nous sur une grande longueur. Je regarde et sur près de 100 mètres je constate que la route est couverte sur toute sa largeur de cadavres d’Allemands dont nous évaluons le nombre à 1500. Spectacle émotionnant et réconfortant.
Je rejoins mes hommes déjà prêts et je leur distribue des bouts de pain, du pain allemand abandonné par les Teutons ! Il est bon et mes gaillards s’en régalent, n’ayant pu manger depuis la veille.
Je venais de finir ma distribution, lorsque levant les yeux vers la plaine, à 700 mètres environ, dans la brume du matin, je distinguai confusément une ligne de tirailleurs ennemis s’avançant tranquillement et en ordre.
Les hommes avertis, frémissants d’impatience, se préparent à faire feu. Je laissai l’ennemi s’approcher jusqu’à 300 mètres environ et, après avoir recommandé à nos braves de bien viser et de garder leur sang-froid je commandai : « Feu à volonté ! »
Ce fut le début d’une lutte épique. Pendant quatre heures 300 Français tinrent tête à toute la première ligne d’attaque d’un corps d’armé Prussien. Les balles ennemies pleuvaient autour de nous comme grêle. Il devenait très dangereux de se déplacer dans le champ ; les branches d’arbres claquaient, la terre, l’herbe volaient en l’air ; les pignons des maisons recevaient le choc des balles qui venaient s’y aplatir. Plusieurs hommes furent tués ou blessés : malgré tout ils tiraient avec sang-froid et ardeur… Ils avaient devant eux une belle cible !
Nos cartouches s’épuisaient, on en fit prendre rapidement à l’autre extrémité du village où des troupes de la division étaient encore.
Dans ces heures tragiques, des hommes se conduisirent en vrais héros : deux d’entre eux traversèrent et parcoururent cinq ou six fois le champ criblé de balles pour aller ravitailler leurs camarades : un autre revint de lui-même se remettre à sa place sur la ligne de feu après avoir fait constater à l’ambulance de la croix de Genève que sa blessure à l’épaule n’offrait aucune gravité.
Nos mitrailleuses firent merveilles. Pendant quatre heures ce fut un feu d’enfer. Je passai mon temps avec l’adjudant à encourager les hommes et défaire les paquets de cartouches. Nos soldats étaient fiers et enthousiasmés, car ils voyaient que leurs coups portaient bien, les Prussiens s’avançant en terrain découvert. Vers 7 heures ¼ l’ordre nous parvint de nous retirer au moment opportun. Nous tînmes encore et pendant une demi-heure le feu continua furieux et terrible pour les Allemands. Enfin, voyant l’ennemi dessiner et préparer un mouvement enveloppant et s’avancer plus près de nous, nous décidâmes que le moment était venu de nous retirer.
Nous partîmes donc le long de la grande rue ; mais à ce moment une avalanche d’obus et de balles s’abattit sur le bourg. C’était effroyable, les tuiles volaient, les carreaux se brisaient : sortis du village nous nous dirigeâmes vers un bois situé à 800 mètres. Dans la forêt quelques obus éclatèrent ; un schrapnell s’enfonça dans ma musette sans me faire de mal. Un quart d’heure après nous fîmes l’appel et nous nous dirigeâmes vers Bouillon, heureux de voir que malgré les pertes, plus de 200 hommes étaient saufs. Trois heures après, nous avions rejoint notre régiment, contents d’avoir assuré la retraite. "
Amicalement
Sophie