Bonjour à toutes et à tous,
Ayant lu dans le JMO du Génie du 5e CA en octobre 1914 que la place de Verdun devait livrer 300 cuirasses Heslouin, je suis tombé sur ce fil en faisant des recherches. Ces dernières ont aussi produit un article savoureux du "
Stéphanois" de novembre
1911 :
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UNE AFFAIRE de cuirasses pare-balles
On mande de Landerneau à la Liberté :
Ça fait du bruit dans Landerneau. "Ça" n'est pas l'affaire des poudres, car on en parle peu ici et c'est à peine si je puis apprendre que telle ou telle personnalité du cru doit être documentée.
Il me fut narré toutefois par une personne digne de foi une histoire assez intéressante, bien que n'ayant avec le scandale actuel que des accointances paraissant assez lointaines au premier abord. Ce récit met en scène deux personnages que nous retrouverons dans l'affaire des poudres, M. Louppe, déjà connu, et M. Simmonet que j'introduis au débat.
Il y a sept ou huit ans, M. Brolivet, maire de Locronan, inventa un pare-balles qu'il proposa sans succès au ministère de la guerre. A la suite de cet échec, l'inventeur n'insista pas; de son pare-balles il fit un pare-cornes. Son invention consistait en une cuirasse armée de ressorts et d'étoffe. L'armée dédaignant ses
cuirasses, il en entoura le tronc de ses pommiers afin de les protéger contre les coups de cornes des vaches...
En 1904, une société reprit cette invention. Elle portait la raison sociale : Simonnet, Heslouin et Cie. M. Simonnet, grand ami de M. Louppe, était un ancien fabricant de papier devenu depuis peu fabricant de fulmi-coton à Landerneau.
M. Heinoul
(sic) n'était guère connu que pour avoir été un attaché zélé au cabinet du préfet, M. Collignon, et avoir rempli avec faste et inutilité une vague mission en Tunisie. La « Compagnie », c'était M. Louppe alors directeur de la poudrerie de Pont-de-Buis.
La société entra en pourparlers avec le gouvernement russe pour la fourniture de cuirasses pare-balles. Après pas mal de démarches elle obtint la commande de 100.000 pare-balles au prix de 60 francs chaque, soit 6 millions. Le tiers était payable immédiatement et fut en effet versé. Le solde devait être remis au fur et mesure des livraisons. Ces livraisons devaient être acceptées par le colonel de Zabulewski. Les pare-balles devaient naturellement résister aux balles et ne pas excéder le poids de 4 kilos 100 grammes.
Les expériences eurent lieu à Pont-de-Buis, elles furent désastreuses. Les balles traversaient les cuirasses, bien que celles-ci pesassent beaucoup plus que le poids convenu.
Les premiers stocks furent donc refusés et tandis que les essais se continuaient, M. Louppe louait et installait dans la Manche, à St Hilaire-du-Harcourt, une modeste usine pour la fabrication des cuirasses. Brusquement un progrès fut réalisé, les cuirasses pesaient le poids exigé.
Le colonel de Zabulewski en resta baba, car malgré l'attestation de la bascule, les cuirasses ne lui semblaient pas plus légères qu'avant. Il ne fit part à personne de son étonnement et assista aux expériences suivantes en compagnie d'un vérificateur des poids et mesures qui consigna dans un procès-verbal des observations à la suite desquelles un procès s'engagea et fut perdu par le gouvernement russe. Celui-ci demanda alors au tribunal civil de rompre le marché qui le liait à la société.
Le tribunal refusa, mais déclara que les fournitures ne seraient acceptées qu'après vérification d'une commission nommée par le gouvernement russe. Cette commission fut désignée. Elle avait à sa tête le général Ragozine.
Après huit jours d'essai, la Société Simonnet, Heslouin et Cie, hésita d'autant moins à reconnaître l'inutilité de ces expériences toujours désastreuses qu'elle supportait les frais de la commission russe, ce qui entamait forcément les deux millions d'acompte reçus.
La commission repartit, mais les deux millions restèrent en possession de la Société. Les associés se séparèrent. M. Louppe réintégra Pont-de-Buis d'où il ne devait pas tarder à partir pour le Moulin-Blanc. M. Heslouin alla fonder un comité radical et radical socialiste dans une bourgade de 150 habitants. M. Simonnet revint prendre à Landerneau la direction de son usine de fulmi-coton. >>
Le JMO ne donne pas plus de précisions, hélas. Toutefois, quelques jours après la livraison annoncée, il est fait mention d'un compte-rendu indiquant que "les cuirasses" avaient été percées par les balles, dont l'une 5 fois. Peut-être s'agit-il des cuirasses de 1911 ?
Edité pour ajouter que l'affaire date en fait de 1905, l'"
Humanité" du 26 août 1905 en fait un long article. La Russie souhaitait acheter ces cuirasses pour équiper ses troupes en Manchourie.
Cordialement
IM Louis Jean
sesouvenir