Bonjour,
La situation a beaucoup évolué en quelques heures!
Tout d'abord, bravo à "Guitoune" qui a de bonnes lectures car la solution, un peu cachée il est vrai, se trouvait bel et bien sur le Forum!
La réponse de François, qui publie une photo tirée du livre "Gebirgsartillerie" de Franz Kosar, éminent spécialiste autrichien de l'artillerie, consolide cette identification qui mérite quelques explications:
Ce canon a la dénomination suivante "Canon de 65 mm à recul différentiel (Système Deport)" et figure dans l'importante gamme de matériels d'Artillerie de Montagne proposée par la "Compagnie des Forges et Acéries de la Marine et d'Homécourt", plus connue sous la dénomination de sa principale usine, implantée à Saint-Chamond.
Ce canon utilise la technique du lancer ou du recul différentiel, c'est à dire que le canon, placé à l'intérieur d'un ressort récupérateur, est maintenu en batterie, à la position de recul par un verrou d'arrêt.Au moment du tir, le canon est lancé en avant sous l'action du récupérateur, lorsqu'il est en pleine vitesse, la mise à feu a lieu, le canon recule alors avec une vitesse diminuée de celle du lancer et reste enclenché à la position de recul.
Avant le premier coup, il est nécessaire de mettre le tube à la position de recul, cette manoeuvre étant exécutée au moyen d'un levier spécial.
L'invention du recul différentiel résulte des études du lieutenant-colonel Deport, le véritable "père" du 75 modèle 1897, le "75" est certes le fruit d'un travail d'équipe mais c'est bien Deport qui eut le rôle principal, Sainte-Claire Deville et Rimailho étant surtout les acteurs de la mise au point du "75".On sait que la "récompense" de Deport pour ses travaux fut la non-inscription au tableau d'avancement de colonel et que l'officier partit alors en retraite et entra à la Compagnie de Châtillon-Commentry, grande firme industrielle construisant entre autres des matériels d'artillerie.C'est au sein de cette société que Deport prend des brevets pour un canon de montagne à recul différentiel et met au point un canon de montagne proposé à l'Armée française.Le général André, ministre de la guerre, celui de "l'affaire des fiches", avec sa "lucidité" habituelle refuse le matériel Deport mais achète les prototypes pour garder secrête l'idée du recul différentiel.On sait que le canon de Montagne de 65 mm modèle 1906 réglementaire en France emploie cette technique, "pillée" à Deport par le commandant Baquet et son adjoint le capitaine Ducrest qui créent ce matériel de 65 modèle 1906 (mis au point à la Fonderie de Bourges et non pas chez Schneider comme on le lit malheureusement un peu partout).
Les brevets Deport sont enfin "libérés" vers les années 1910 et la firme Saint-Chamond construit alors un modèle de canon de 65 de Montagne à recul différentiel, objet de notre sujet.
Disons en quelques mots les avantages et inconvénients des canons à recul différentiel:
-les canons sont très légers car les systèmes de frein et récupérateurs sont extrêmement simples.
-le 65 de Montagne Saint-Chamond ne pèse ainsi que 328 kg (383 kg avec boucliers).
-par contre, la précision est médiocre du fait du départ du coup dans la course du lancer.
-en cas de long feu, dû à une munition défectueuse, le coup peut partir à la fin complète du lancer dans un angle dangereux pour les servants.
Vers 1910-1911, Saint-Chamond reçoit une commande de canons de 65 mm de Montagne à recul différentiel de la République du Salvador dont les militaires apprécient la légèreté et la mobilité, tant en montagne qu'en forêt dense.Le canon de 65 Saint-Chamond peut en effet passer "partout où passe l'homme" comme le souhaitait le Maréchal Bugeaud en Algérie 80 ans plus tôt.
La commande est probablement de l'ordre de six batteries de quatre pièces comme c'est souvent le cas pour les "petits" Etats d'Amérique du Sud de l'époque (ce chiffre est néanmoins à confirmer).Le canon est adopté au Salvador sous l'appellation de canon de 65 modèle 1913.
En 1914, la Belgique, agressée par l'Allemagne, se tourne vers la France pour acheter les matériels d'artillerie qui lui manquent et Saint-Chamond fournit des matériels construits et en instance de livraison à différents pays.
Je laisse le soin au Colonel Lothaire de nous conter dans un de ses futurs livres l'emploi du 65 mm à recul différentiel Saint-Chamond au sein de l'Armée belge qui l'a employé en particulier à Anvers lors du siège de la forteresse, réduit central de la défense de la Belgique.
Un fait moins connu, les allemands ont employé ces 65 mm à recul différentiel Saint-Chamond sur le front des Vosges.Il faut dire que l'Armée allemande qui inondait une multitude de pays de sa production de canons de montagne, n'en possédait aucun dans sa propre Armée (à l'exception de batteries dans les colonies allemandes d'Afrique).Ce fait ne plaide pas pour le sérieux de l'étude des champs de bataille possibles aux frontières même de l'Empire par le Grand-Etat-Major allemand.L'emploi de ces canons fut certainement très marginal en 1914-1915 et vite arrêté par le manque de munitions particulières.Il est un fait certain, des obus de 65 mm Saint-Chamond ont été tirés sur des positions françaises dans les Vosges.Il reste à savoir si ces canons ont été capturés à l'Armée belge ou simplement saisis dans un port où ces canons attendaient le départ vers l'Amérique centrale.Un lecteur a peut-être une idée.
Il existe des photographies du 65 à recul différentiel Saint-Chamond en action dans l'Armée belge que le colonel Lothaire publiera dans un de ses prochains livres.
Mieux, il existe encore un de ses rares canons en Belgique, il porte le numéro de série "16", ce qui plaide pour une commande de 16 à 24 pièces par le Salvador.Il reste à trouver une photographie qui prouverait son emploi au sein de l'Armée allemande.J'ai réuni une importante collection de photographies de matériels d'artillerie capturés et remis en service dans l'Armée allemande sous l'appellation générique de "Beute Geschütze", je n'ai malheureusement pas de photo de l'espèce pour le 65 à recul différentiel Saint-Chamond.
Pour clore ce "Quizz", voici une photographie du 65 mm un peu naïve qui figure la position du tube lancé et le départ de l'obus.La présence des ouvriers de l'Usine de Saint-Chamond permet de distinguer les faibles dimensions du canon qui n'est pas un "jouet": il peut tirer un obus de 4,2 kg à la vitesse de 375 m/s et son affût pointé à 45° autorise le tir jusqu'à 6.850 mètres.Au polygone de la société, un de ces matériels a tiré 25 coups en une seule minute!

Canon de 65 mm à recul différentiel (Système Deport) construit par Saint-Chamond.
Cordialement,
Guy François.