Bonjour à tous,
• L’Ouest-Éclair — éd. de Rennes —, n° 2.900, Mercredi 19 décembre 1906,
p. 4, en rubrique « Dépêches maritimes ».
VOILIERS L0NG-COURRIERS
L’EXPLOSION DU MEZLY
Le navire a coulé. — L’état des blessés.
Port-Talbot, 18 décembre. — Pour éteindre l’incendie allumé hier matin à son bord par l’explosion de gaz que je vous ai annoncée, le voilier nantais Mezly a coulé dans les docks de Port-Talbot. On va décharger le navire, afin de pouvoir le renflouer plus aisément.
Il y a eu exactement sept hommes de l’équipage blessés, qui ont été conduits hier à l’hôpital de Swansea. Tous sont sérieusement atteints. Voici leurs noms : Pierre Huet (charpentier), Joseph Loizel (matelot léger), Pierre Gorry, François Robert, Charles Lemaire, François Charmelet, François Picard, tous bretons.
L’état de Huet et Loizel est si grave qu’avant leur transport à l’hôpital, on leur a administré les derniers sacrements ; on ne croit pas qu’ils survivront à leurs blessures.
• L’Ouest-Éclair – éd. de Rennes –, n° 2.904, Dimanche 23 décembre 1906,
p. 4, en rubrique « Dépêches maritimes ».
L’explosion de Mezly
Le rapport du capitaine Hervé. — Le trois-mâts coulé après l’explosion.
— Devant le Coroner. — Acquittement général.
Swansea, 22 décembre. — Voici le rapport du capitaine Hervé, commandant le Mezly, à la suite du grave accident qui s’est produit à son bord :
Je soussigné François Hervé, capitaine du trois-mâts français Mezly, du port de Nantes, armateur : Société nouvelle d’armement, jaugeant 1.390 tonneaux 96 et armé de 21 hommes d’équipage, se trouvant en partance de Port Talbot pour Caleta Coleso (Chili), avec un complet chargement de charbon à vapeur de la Mine North Navigation, déclare :
Que le 17 décembre 1906, à 10 h. 15 du matin, au moment où je me trouvais sur le vapeur Baroda, amarré le long du Mezly, m’en allant à terre pour expédier le navire en douane, il s’est produit à bord une formidable explosion qui, partant du panneau de l’avant ouvert, a suivi comme une traînée de poudre jusqu’à l’arrière où le panneau était également ouvert, faisant sauter le pont et les superstructures d’un bout à autre du navire. A tribord en dessous des préceintes, il s’est produit une déchirure de plus de 20 mètres.
Sept homme de l’équipage et un jeune homme des « Port Talbot Graving Docks » travaillant aux réparations ont été brûlés dans l’explosion, deux plus grièvement qui venaient de descendre dans la cale, les nommés François Robert et Joseph Loisel. Les autres blessés moins grièvement sont les nommés : Huet, Kermelet, Coya, Picard et Lemarié, ce dernier est hors de tout danger.
Grâce à la célérité déployée par le capitaine du port, les blessés ont pu être dirigés presque aussitôt par train spécial sur l’hôpital de Swansea, après avoir reçu les premiers soins des docteurs accourus en hâte sur les lieux.
Les capitaines français présents sur rade sont venus aussitôt avec des hommes de leurs équipages pour donner des secours. Le canot de la Jacqueline est arrivé premier avec une pompe à incendie qui du reste n’a pas servi, le feu n’ayant pris que dans quelques débris dont se sont rendus maitres les pompiers du port.
Le navire faisant de l’eau par l’avant, apparemment à bâbord, j'ai fait mettre à la pompe, mais la voie d'eau était trop considérable pour que l’on put espérer maintenir le navire à flot. Ce que voyant, j’ai insisté auprès du capitaine de port pour qu’il fit conduire le navire dans un endroit moins profond au moyen du remorqueur des docks ; mais le capitaine du port a refusé, prétextant qu'il prenait le navire sous sa responsabilité étant maître des docks.
Il ne restait plus qu’à sauver le plus tôt possible le matériel du navire. Les équipages français ont commencé à 12 h. 30, aidés plus tard vers 2 heures par des ouvriers anglais. Tout ce qu’on a pu sauver en fait de papiers de bord, toiles, voiles et filins a été remisé à terre en lieu sûr sous la surveillance de la police.
A 6 heures du soir, le navire coulait par 27 pieds d’eau, le gaillard et la dunette seuls émergeant.
A quoi faut-il attribuer l’explosion ? L’enquête l’établira et il ne m’appartient pas de trancher cette question. Tout ce que je puis dire et affirmer, c'est que le navire a terminé son chargement le 13 à 9 heures du matin, que tous les panneaux sont restés ouverts jusqu’au 15 au soir, c’est-a-dire plus de 48 heures après la fin du chargement. Le 15 au soir seulement, j’ai fait condamner le grand panneau, paré à prendre la mer. Mais le panneau de l’avant et celui de l’arrière sont restés ouverts tout le temps ainsi que les puits à air de l'avant et de l’arrière, établissant ainsi un courant d’air qui eut dû être suffisant.
Pour rendre justice à l’exacte vérité, je dois reconnaître que l’on a trouvé après l’explosion le puits à air de l’avant fermé, mais je ne puis expliquer le cas que par un choc en retour produit pendant l’explosion, qui aurait rabattu le couvercle sur l’ouverture après avoir fait larguer le crochet de retenue.
Tel est mon rapport que je déclare véritable en tout son contenu.
Je ne veux pas terminer sans exprimer ma reconnaissance à mes officiers et à tous mes hommes restés indemnes qui m’ont aidé dans cette triste circonstance avec un dévouement admirable et sont resté jusqu’à la nuit sans prendre pour ainsi dire aucune nourriture.
Je dois ajouter que les ravages de l’explosion dans le poste de l’équipage furent tels que les marins n'ont pu sauver que très peu de leurs effets d’habillements et encore ces débris sont-ils pour ainsi dire inserviables.
En prévision de la suite que comportera ce terrible accident, je me réserve le droit d’amplifier le présent rapport si nécessaire.
Fait a Port Talbot, le 18 décembre 1906.
Le capitaine,
F. Hervé.
Ajoutons que la Cour anglaise, composée du Coroner et de douze jurés, a acquitté à l’unanimité le capitaine et les officiers de toute négligence ayant pu occasionner l’accident. En France, pour l’opinion publique qui les connaît, nos estimés compatriotes étaient acquittés d’avance.
• L’Ouest-Éclair – éd. de Rennes –, n° 2.909, Vendredi 28 décembre 1906,
p. 4, en rubrique « Dépêches maritimes ».
VOILIERS L0NG-COURRIERS
L’EXPLOSION DU MEZLY
De nouveaux détails sur l'explosion. — Cinq victimes ont succombé.
Le Havre, 27 décembre. — Les hommes composant le Mezly, qui fit récemment explosion à Port-Talbot, viennent de rentrer en France. En arrivant au Havre, l’un d’eux, le matelot Allanic, a donné sur l’événement des détails inédits dans les termes suivants :
« Tous les hommes étaient occupés à terminer les préparatifs en vue de l’appareillage.
« Cinq hommes : le maître d’équipage Kermarec, le charpentier Huet, les matelots Picard et Robert, le matelot léger Loisel, se trouvaient dans la cale, occupés à arrimer 100 madriers qui devaient nous servir à former des bardis pour la cargaison de nitrate que nous devions prendre au retour. D’autres se trouvaient dans les soutes à voiles ou dans la mâture.
« Le capitaine venait de quitter le bord pour aller à terre régler ses comptes et préparer ses papiers. Il n’avait pas encore atteint le quai qu’une violente détonation ébranla l’air. Une explosion s’était produite au panneau avant, et les débris du pont allaient briser, en s’éparpillant, les agrès et les cale-haubans.
« Un matelot, le nommé Cohit, âgé de 23 ans, originaire de Bordeaux, qui se trouvait sur la vergue de misaine, fut enlevé et retomba dans le panneau de la cale mais, à ce moment, la flamme ayant gagné la partie arrière, provoqua une nouvelle déflagration des gaz.
« Cohit se trouva à nouveau soulevé, avant d’avoir atteint le chargement et fut projeté sur le pont. Sa chute fut en quelque sorte amortie et il dut à cette circonstance de n’être que légèrement blessé.
« Malheureusement, d’autres marins étaient plus gravement atteints, notamment les cinq malheureux qui se trouvaient dans la cale.
« Le pauvre charpentier, affolé, les vêtements en feu, ne sachant où il allait, se sauva dans la mâture, où il demeura désespérément cramponné. Je dus aller le chercher pour le ramener sur le pont.
« Avec mes autres camarades, nous sommes allés ensuite dans la cale pour tâcher de sauver les autres victimes. D’abord Robert, puis Loisel et Kermarec, enfin, Picard furent tirés de la cale. Ce dernier était défiguré, méconnaissable, horrible. Tous étaient brûlés, les vêtements en lambeaux.
« Un autre marin, Marier, avait reçu sur les reins la vole que nous avions disposée sur le roof. Il était assez fortement contusionné.
« Au bruit produit par l’explosion, le capitaine s’empressa de regagner le bord, pendant que de tous côtés arrivaient les remorqueurs et les embarcations. Un quart d’heure plus tard deux voitures d’ambulance emportaient vers l’hôpital nos cinq camarades.
« Marier et Cohit, dont l’état n’est pas grave, y sont encore. Quant aux cinq autres, après avoir vécu plusieurs jours, ils sont morts successivement dans d’horribles souffrances. »
Seuls le capitaine et le second sont restés à Port-Talbot pour s’occuper du navire.