Bonjour à tous,
Un petit complément sur l'UTRECHT avec les télégrammes et rapports échangés
22 Mars 1918 16h35 DEHORTER à Marine Paris
18 Mars à 18h00 remorqueur français UTRECHT 41°00 N 11°50 E de Messine à Toulon. A été canonné par un sous-marin. Commandant LAGNEL Victor Enseigne de Vaisseau de 1ère classe tué. Pétrolier italien BRONTE arrivé à Naples le 20 Mars avec 7 survivants dont 1er maître Jacques NEDELLEC blessé grièvement, mécanicien COQUET Jean brûlures graves, matelot chauffeur VIGIER François blessé légèrement.
Ministre Marine, Toulon, MARCEAU et Messine prévenus.
Survivants mis en subsistance sur DEHORTER sauf 3 admis à l’hôpital de Naples
NEDELLEC Blessures par éclats d’obus à la cuisse
COQUET Brûlures au 2e et 3e degré aux mains et à la figure
VIGIER Brûlures légères aux bras
23 Mars 1918 11h20 Marine Paris à Consul France Naples
Télégraphiez urgence en clair, sans spécifier nom de bateau et circonstances de la perte liste des survivants du remorqueur français UTRECHT ramenés Naples par pétrolier italien BRONTE.
Indiquez nom, prénom, grade, matricule et spécialité. Renseignez-moi sur état de santé de chacun d’eux.
23 Mars 1918 Etat Major Général à Inscription Maritime Rouen
EV1 auxiliaire LAGNEL Victor Paul Marie, Rouen 79, commandant remorqueur UTRECHT a été tué dans un combat contre un sous-marin. Informer famille avec tous ménagements et présenter condoléances du Ministre. Rendez compte.
24 Mars 21h15 Préfecture Maritime Toulon à Marine Paris
Sont arrivés ce matin, Dimanche 24 Mars par train venant de Tarente des marins du remorqueur UTRECHT qui déclarent se nommer :
LOY François Sd maître mécanicien Lorient 2386
MOUNIER Antoine QM mécanicien 3e dépôt
TURBE Louis QM de manœuvre Ile d’Yeu 880
MIHAN Henri QM timonier Bordeaux 9125
GUYOMARD François Matelot canonnier Lorient 9135
HUGUET Marcel QM TSF 3e dépôt
MAGNE Edouard Matelot chauffeur Marseille 2338
SEMLIN Alfred Matelot timonier Noirmoutier 458
LE PAN Jean QM fourrier
BRIAND Jean Matelot sans spécialité Concarneau 4972
MAHE Daniel Matelot sans spécialité Belle Ile 2041
Le chef de détachement dit avoir laissé à l’hôpital de Rome
MALINE Edouard Matelot mécanicien
LE GUILLOU Charles Matelot mécanicien
Il considère comme disparus
BONNEAU Emile Matelot chauffeur
COMPAIN Marcel QM mécanicien
Les huit autres hommes d’équipage, dont l’officier, ont du prendre place dans l’autre canot lors de l’abandon. Voici leurs noms
LAGNEL Victor EV1 Commandant (tué)
NEDELLEC Charles 1er maître de manœuvre Second (blessé) Lorient 655
BERGER Maurice Sd maître chef de quart Le Havre 7522
COQUET Jean Matelot mécanicien (blessé) 3e dépôt
VIGIER François Matelot chauffeur (blessé) Les Sables d’Olonne 2095
CHABROUT Louis Matelot cuisinier 2e dépôt
CROS Marcel Matelot canonnier 5e dépôt
VERDIER Louis Matelot sans spécialité Bordeaux 6583
UTRECHT était parti de Corfou le 15 Mars, avait mouillé à Messine le 17 à 09h00 et en était reparti le même jour pour Toulon.
La première embarcation est arrivée à la côte à Fiumicino le 19 Mars à 17h00. Pas de nouvelles de l’autre.
Rapport établi par
- LV de Kerviler Commandant DEHORTER
- LV Cochin Commandant BISSON
après interrogatoire des survivants ramenés à Naples par le BRONTE.
Le sous-marin a été aperçu le 18 Mars à 18h00. Il a évolué pour présenter le travers et pouvoir tirer avec ses deux pièces. UTRECHT n’avait qu’une pièce de 90 mm à l’avant, ancienne pièce de campagne de la guerre, armée par Guyomard (chef de pièce), Cros, (servant de culasse) et Briand (chargeur). Feu commencé en même temps de part et d’autre à 5000 m. Le sous-marin tire par salve et attend de voir les points de chute avant la salve suivante. Il a tiré environ 60 coups, dont 30 après l’abandon au rythme d’un coup toutes les 15 secondes.. Les 20 premiers coups n’ont pas porté. UTRECHT a tiré 20 coups au rythme d’un coup par minute. Ceci est dû à la difficulté de pointage de la pièce, mais aussi au manque d’entraînement des hommes ;
Un premier SOS est lancé à 18h25. Pas de réponse, bien que le signal ait bien été enregistré à cette heure sur le cahier d’inscription des signaux du BRONTE.
A 18h30, le commandant renonce provisoirement à l’attaque, le parc à obus étant épuisé. Il y a sans doute eu manque d’approvisionnement comme l’assure le second maître chef de quart Berger, et comme le fait soupçonner la déposition du premier maître Nedellec. Il a du forcer les approvisionneurs à descendre en bas.
UTRECHT vient alors au N40W mettant le sous-marin hors du champ de tir de son unique pièce et présentant l’arrière. Il lance des fumigènes pour se dérober. Le sous-marin stoppe momentanément son tir mais se rapproche rapidement.
A 18h45, un 2e SOS est lancé signalant route au N40W à 10 nœuds. Le sous-marin reprend alors son tir et UTRECHT vient en grand sur bâbord pour présenter à nouveau l’avant quand un obus touche le kiosque de navigation mettant hors d’usage le servo-moteur de la barre. Le remorqueur ne peut plus manœuvrer ni tirer.
L’évacuation est ordonnée et un canot s’éloigne avec une dizaine d’hommes. La baleinière est difficilement dégagée et mise à l’eau. Restent à bord le commandant, le second, le second maître chef de quart, le canonnier Marcel Cros qui revient à sa pièce qu’il trouve renversée par un obus et le matelot mécanicien Coquet, gravement brûlé dans la machine et qui n’a pu prendre place dans les canots. Il va mettre à l’eau les petits radeaux de l’arrière.
Le sous-marin continue à tirer et chaque coup porte. Un obus explose sur la passerelle. Le commandant est criblé d’éclats et a les deux jambes brisées. Le 1er maître Nedellec est touché à la cuisse. On veut descendre le commandant sur un radeau mais il dit « Laissez-moi là » et demande seulement qu’on lui laisse une ceinture de sauvetage. Il sera seul sur la passerelle quand le navire en feu coulera lentement. Le QM Compain avait été tué par un obus dans sa cabine et le matelot chauffeur Bonneau dans la machine.
Nedellec, Berger et Cros se jettent à l’eau et gagnent un radeau. C’est alors que Nedellec est à nouveau touché, au cou cette fois. Berger parvient à repêcher et sauver Coquet, qui était dans l’eau. Les 4 hommes du radeau sont finalement recueillis par la baleinière qui arrive le lendemain soir en vue de la côte et rencontre un voilier italien.
(Nota : il s’agit en fait du pétrolier italien BRONTE, 4769 tx JB 6000 tpl, qui naviguera jusqu’en 1946 pour la marine de guerre italienne, sauf une brève interruption de 1941 à 1945 où, sous le nom d’EMPIRE PERI il se retrouvera momentanément dans la British Navy)
Dans cette affaire, la bravoure et le sang froid des gradés ou matelots n’a pas suffi à compenser le manque d’entraînement militaire, l’infériorité de l’artillerie et les défauts d’un matériel de fortune. L’adversaire était un sous-marin des mieux armés. Il a fait usage de pièces d’environ 140 mm.
Récompenses proposées
Citation à l’Ordre de l’Armée
LAGNEL Victor EV1
Blessé grièvement dans un combat de son bâtiment contre un sous-marin, a donné un bel exemple d’abnégation et de sacrifice en refusant de se faire porter sur un radeau. A coulé avec son bâtiment
Citation à l’Ordre de la Division
NEDELLEC Jacques 1er maître de manœuvre
A accompli bravement son devoir militaire dans un combat de son bâtiment contre un sous-marin. A été grièvement blessé.
COQUET Jean Matelot mécanicien
A accompli bravement son de voir militaire dans un combat de son bâtiment contre un sous-marin jusqu’au moment où il a été gravement brûlé par l’explosion d’un obus.
Citation à l’Ordre du bâtiment
BERGER Maurice Second maître chef de quart
A fait preuve de calme et de sang froid lors du combat de son bâtiment contre un sous-marin. Etant sur un radeau, s’est jeté à l’eau pendant la nuit pour sauver un matelot.
CROS Marcel Aide canonnier
Est resté sur son bâtiment après que l’évacuation ait été ordonnée, cherchant à résister jusqu’au bout et donnant un bel exemple de courage et de sang froid.
Le sous-marin attaquant
C’était donc l’UB 49 du KL Hans von MELLENTHIN.
Ce commandant venait de recevoir la Croix « Pour le Mérite » le 25 Février précédent. Il est décédé en Juin 1971.
Pour l’histoire de ce sous-marin UB 49 qui s’était un temps réfugié à Cadix, voir ce lien.
pages1418/Forum-Pages-d-Histoire-aviati ... _1.htm#bas
(Voir aussi la fiche du voilier MOINA)
Cdlt